Heure supplémentaires, remplacements au pied levé ou encore manque d'effectifs. Le refrain est devenu habituel dans les couloirs des hôpitaux suisses.
Pour tenir le coup, Mélanie, infirmière au CHUV depuis 5 ans, a dû changer ses pratiques. "Je ne suis pas à l'écoute de mes patients, je les déshumanise complètement, et je me coupe de mes sentiments, autrement je n'y arriverais pas", témoigne-t-elle.
"On se débrouille un peu par nous-mêmes. Il m'est arrivé d'aller sur Google regarder ce que je devais faire comme surveillance ou sur Youtube pour regarder comment effectuer un geste (...) Avec une collègue, on a eu une discussion avec l'une de nos cheffes. On a dit qu'on n'acceptait plus ces conditions parce que des patients étaient en danger et que nous aussi, on se mettait en danger... la réponse a malheureusement été de dire que le flux continuait et qu'on ne pouvait rien y faire et qu'il fallait juste baisser la qualité de nos soins et notre empathie", ajoute-t-elle.
"Pas de diminution de la qualité des soins"
Du côté de la direction du CHUV, on admet qu'il faut améliorer les relations entre le personnel soignant et les patients, mais on réfute l'idée selon laquelle ces derniers subiraient des dommages lors des traitements.
"Nous n'avons aucune évidence de la diminution de la qualité des soins. Nous avons toute une structure d'encadrement, en particulier avec des infirmières cliniciennes spécialisées qui sont là pour former les plus jeunes à la prise en charge des patients. Chaque personne qui entre dans notre institution, notamment au niveau infirmier, suit tout un programme d'introduction à son travail", assure Philippe Eckert, directeur de l'établissement.
Presque 8% d'absentéisme chez les infirmiers et infirmières
Dans une récente enquête publiée par le CHUV, plus d'un tiers des collaborateurs désignent la surcharge de travail et l'absentéisme comme les deux sources principales de pénibilité, un cercle vicieux qui touchent tous les hôpitaux du pays.
Au CHUV, c'est ainsi presque 8% d'absentéisme chez les infirmiers et infirmières en 2022, contre 12% au HUG de Genève. L'hôpital Riviera-Chablais s'en sort mieux, avec moins de 5%.
Conscient du poison que représente ce phénomène, la direction joue sur deux tableaux: d'un côté, l'augmentation constante des contrats intérimaires et de l'autre, l'embauche.
"Nous créons chaque année 150 postes supplémentaires dans notre institution pour renforcer les secteurs en souffrance et puis, dans le domaine des soins infirmiers, nous engageons plus de 200 soignants à l'automne quand ils sortent de l'école", précise Philippe Eckert.
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"Le CHUV fonctionne comme une entreprise"
Année après année, c'est donc grâce à ces nouvelles recrues que le CHUV parvient à éviter la fermeture de lits, contrairement à d'autres hôpitaux. Mais pour les syndicats, il s'agit là d'une stratégie d'usure.
"Le CHUV fonctionne comme une entreprise qui doit dégager des bénéfices. Evidemment, dans ce contexte-là, le personnel et les salariés sont des agents au service de ces bénéfices-là et c’est les patients et les salariés qui en paient le prix", juge David Gygax, Secrétaire SSP-Vaud.
Pour tenter d’inverser la tendance, le CHUV a récemment annoncé le remplacement systématique des congés maternité. Une mesure insuffisante pour Mélanie, qui craint surtout de voir son état empirer. "De travailler sous cette tension constante, pour moi c’est... j’ai juste envie d’arrêter mon métier", explique-t-elle. L’année dernière, au CHUV, ce sont 150 infirmiers et infirmières qui ont franchi le pas et quitté la profession.
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Sujet TV: Thomas Epitaux-Fallot
Adaptation web: ther