En octobre 2021, un rapport d’audit révélait une série de "dysfonctionnements en matière de ressources humaines et de communication" au sein de la Fondation du BBL.
Un peu plus d’un an après la grave crise qui a secoué l’institution, la compagnie retrouve le public lausannois.
>> Lire à ce sujet : Une nouvelle gouvernance pour le Béjart Ballet Lausanne après l'audit
Mais le séisme a laissé des traces. Et dans les milieux culturels, des voix s’élèvent. Elles questionnent l’héritage de Maurice Béjart, décédé en 2007. Et se demandent si le BBL, qui bénéficie d'une aide de 5,3 millions de francs de la Ville de Lausanne, a encore toute sa raison d'être dans sa forme actuelle.
Tournée "locale"
Première observation, les prochaines dates de spectacles du prestigieux ballet se tiennent dans des lieux très locaux. Aux côtés de quelques dates à l’étranger – Anvers ou Milan – la troupe va danser à Cossonay, Mézières (VD) ou dans la commune fribourgeoise de Guin. Des salles éloignées du circuit des grandes compagnies de danse auquel nous avait habitué la compagnie.
Outre le franc fort et le Covid qui contrarient les voyages à l’étranger, le ballet est mû par la volonté de se rapprocher d’un public plus régional, assure Solange Peters, la présidente de la Fondation Béjart Ballet Lausanne.
Critiques contre le BBL
Un discours rassurant qui tranche avec les critiques recueillies dans les milieux de la danse et des producteurs de tournée par la RTS.
Selon eux, le Béjart Ballet ne serait plus en phase avec son époque. Le monde de la danse a évolué depuis la disparition de Maurice Béjart il y a 15 ans.
Les acteurs culturels pointent aussi le dégât d’image provoqué par la crise de l’année dernière. Ils critiquent également les chorégraphies du directeur artistique du BBL, Gil Roman. Des chorégraphies qui font partie des spectacles de la compagnie aux côtés des pièces de Maurice Béjart.
Le Ballet Béjart, c'est comme un musée. Mais Béjart n'était pas un peintre, mais un chorégraphe. Il a donc produit de l'art vivant. Et l'art vivant, on ne peut pas le conserver. Il faut qu'il évolue, sinon, les productions du Ballet Béjart auront un goût un peu poussiéreux
Beaucoup, sous couvert de l’anonymat, reconnaissent que le Béjart Ballet a marqué son temps, mais qu'il faut aujourd'hui faire autre chose de ses créations.
C'est l'avis de Pius Knüsel, l’ancien directeur de Pro Helvetia. "Le Ballet Béjart, c'est comme un musée. Mais Béjart n'était pas un peintre, mais un chorégraphe. Il a donc produit de l'art vivant. Et l'art vivant, on ne peut pas le conserver. Il faut qu'il évolue, sinon, les productions du Ballet Béjart auront un goût un peu poussiéreux."
Pour ce spécialiste de la politique culturelle, il faut aujourd'hui réformer. "Il faut arriver à une conclusion simple et claire: on transforme le Ballet Béjart en Ballet de Lausanne, comme ça Lausanne aurait une compagnie de ballet qui sait danser tout ce qui est actuel et tout ce qui intéresse le grand public, pas seulement les amateurs de Béjart."
Quel avenir pour l'école?
Concernant l'école du BBL, beaucoup se demandent si elle va rouvrir. Sa fermeture, il y a un an, a été un épisode marquant de la crise qui a secoué l'institution.
A la suite de la plainte de jeunes danseurs, le directeur de l'école Rudra-Béjart était renvoyé pour cause de comportements humiliants, puis l'école a fermé.
Un audit retentissant s'en est suivi. Quant au directeur artistique Gil Roman, l'enquête à pointé des comportements inacceptables. Mais il est resté en poste et a été recadré.
"Maurice voulait une école"
Solange Peters promet que l'école va rouvrir. Selon elle, il faut respecter la volonté du chorégraphe décédé.
"Maurice voulait qu'il y ait le ballet, et il voulait qu'il y ait une école. Il souhaitait qu'on puisse identifier les meilleurs danseurs, peu importe d'où ils viennent. Il voulait que les danseurs aient une chance d'apprendre à danser Béjart et de se retrouver éventuellement dans le monde du ballet", explique-t-elle.
"Je me sentirais, en tant que présidente, dans la trahison de ce qu'il a mis dans son testament si je me disais moi-même, toute seule, dans mon coin, qu'on peut laisser tomber l'école", conclut Solange Peters.
Nouvelle école en 2024
Il est prévu que cette nouvelle école voie le jour à l'horizon 2024. Selon Solange Peters, Gil Roman en serait désormais le responsable artistique.
Cette école ne serait plus gratuite, car il faudra des rentrées financières puisque la Fondation assure qu'elle ne demandera pas un sou de plus à la ville de Lausanne, qui subventionne la Fondation BBL.
D'ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, le fort soutien de Lausanne à l'institution a fait l'objet de questions au législatif de la commune.
Le PLR a voulu raboter la subvention de 200'000 francs, soit la somme dévolue à l'école, puisque celle-ci n'existe plus. Mais au final, l'assemblée a voté le maintien de l'intégralité de la subvention pour la Fondation BBL. Les élus ont redit leur attachement à Béjart, mais veulent être davantage informés sur ce qui s'y passe.
Position de la ville de Lausanne
Pour le syndic Grégoire Junod, qui est aussi vice-président de la Fondation Béjart Ballet Lausanne, il est impensable de limer le soutien de la commune au BBL et de tirer la prise maintenant, après les crises traversées par l'institution. Il faut laisser du temps au temps, dit-il.
Il estime par ailleurs que le BBL continue à faire rayonner le nom de Lausanne au niveau international.
Selon lui, le BBL a ainsi encore toute sa raison d'être dans la forme actuelle. Les chorégraphies de Maurice Béjart représentent un patrimoine à conserver, selon lui. Et la compagnie resterait un blockbuster qui attire les foules. Bref, c'est le public qui aura le dernier mot.
Quelles mesures?
Si le soutien de la Ville de Lausanne semble acté à ce stade, comment se porte le BBL? Les recommandations de l’audit ont-elles été suivies? Parmi celles-ci figurait l’engagement d’un directeur général. En place depuis le mois de septembre, ce dernier, Giancarlo Sergi, s’exprime samedi dans le 19h30 de la RTS. Il assure que les choses ont changé.
"Moi depuis que je suis là, je n’ai pas vu d’humiliation, pas du tout, au contraire. Je vois quelqu'un (Gil Roman) qui motive les gens, quelqu'un qui est là, qui est présent. Il y a une très bonne coordination entre Gil Roman et moi. Ça se passe vraiment de mieux en mieux et l’ambiance est vraiment très bonne à l’interne avec les danseurs, qui sourient aujourd'hui, et qui dansent très bien", explique le directeur.
Pour le Syndicat suisse romand du spectacle, difficile de savoir si les autres recommandations ont véritablement été mises en place.
Selon la secrétaire générale du Syndicat Suisse Romand du Spectacle (SSRS) Anne Papilloud, "on n’a aucun signal d’alarme important, a priori ça va dans le bon sens. Par contre, c’est vrai qu’on a aucun moyen de pouvoir s’assurer que les recommandations ont été suivies", relève-t-elle. "Quand il y a une crise aussi importante qu'au BBL, une communication plus transparente, plus proactive, serait une bonne chose."
Le directeur général rétorque que l'institution avance comme elle peut, et qu'elle est transparente. "Bien sûr, dans cette phase de restructuration, il y a beaucoup de travail, qui est mis en place, de mesures aussi, mais ce n’est en tout cas pas l’intention de BBL de cacher quoi que ce soit, puisqu’il n’y a rien à cacher."
Sujet radio: Martine Clerc
Sujet TV: Léandre Duggan
Adaptation web: Julien Furrer