Pour les 2000 habitants de La Bourdonnette, la fermeture, après faillite, de l’unique épicerie des lieux est très mal vécue. Pour la première fois depuis des décennies, il n'y a ainsi plus de commerce d'alimentation générale dans ce quartier populaire qui compte près de 500 logements subventionnés et des dizaines de nationalités.
Cela pose de véritables problèmes de mobilité dans ce quartier enclavé. Construit il y a cinquante ans pour répondre au besoin de logements, la Bourdonnette est en effet coincée au bord de l’autoroute et encerclée par le trafic.
"On est vraiment embêtés. Dans un grand quartier comme ça, ce n'est pas normal de ne pas avoir au moins une petite Migros", regrette dans La Matinale une retraitée qui vit à la Bourdonnette depuis plus de 35 ans. Sans voiture, il est difficile pour elle d'aller faire les courses. "Nous, les personnes âgées, des fois on n'est pas bien, on n'aime pas se déplacer ailleurs. Mais là on est obligés."
"On doit obligatoirement prendre les transports publics si on n'a pas de voiture", déplore Amina Sy,qui a des problèmes de santé. Elle compte une bonne vingtaine de minutes pour rejoindre le magasin le plus proche. "On galère un peu. Les gens qui sont malades, les gens qui ont des bébés..."
Manque de rentabilité
Mountazar Jaffar, un élu local qui a grandi et vit à la Bourdonnette, a déposé une interpellation au Conseil communal de Lausanne pour dénoncer un "désert alimentaire". Le socialiste demande aux autorités d'agir en urgence pour inciter un commerce à s’installer dans les locaux vides.
"En moyenne, le revenu médian annuel du quartier est 20% inférieur à la moyenne lausannoise. Parfois, les habitants de ce type de quartiers ont moins l'habitude que d'autres d'aller faire des pétitions, d'aller faire part de leurs problèmes. C'est une des raisons pour laquelle j'ai déposé cette interpellation", explique-t-il.
Le syndic de Lausanne Grégoire Junod oeuvre en coulisse via la fondation qui gère le quartier, propriété de la ville. Il annonce qu'un repreneur aurait été trouvé.
Sur le fond du problème, l'élu reconnaît toutefois une certaine impuissance des autorités: "La situation commerciale est compliquée, pas seulement en raison du pouvoir d'achat des habitants, mais parce qu'il s'agit d'un quartier de 2000 habitants, et ce n'est pas un nombre suffisant pour faire bien vivre un commerce local."
L’élu rappelle que différents développements immobiliers sont prévus à proximité de la Bourdonnette, de quoi atteindre une taille critique, mais pas avant 2030.
"Où se rencontrer sans commerces?"
Ce constat est partagé par Vincent Kaufmann, directeur du Laboratoire de sociologie urbaine à l'EPFL. Invité dans La Matinale, il explique que cette problématique se retrouve dans la plupart des agglomérations romandes. "Quand on a moins de 6000 ou 7000 habitants dans un quartier, c'est difficile d'y maintenir des commerces, ou plus généralement des équipements qui nécessitent un modèle économique pour perdurer."
Vincent Kaufmann alerte sur le fait que ces commerces sont indispensables pour permettre à la population d'un même quartier de se rencontrer. "Un commerce, un café, une brasserie sont essentiels pour créer du lien social dans un quartier. Où peut-on se rencontrer s'il n'y a pas de commerces? Ce n'est pas évident."
La mort des petits commerces est notamment due à la multiplication des centres commerciaux à l'entrée des villes, détaille le sociologue. Il estime cependant que ce processus n'est pas inéluctable. "On voit à travers toute une série de travaux de recherche récents que les courses sont moins hebdomadaires et se font à nouveau sur une base quotidienne. De nombreux habitants ont une volonté de retour vers plus de proximité."
Observatoire du commerce à Genève
Le pouvoirs publics peuvent également jouer un rôle important. A Genève, par exemple, la question est prise très au sérieux. Tant la Ville que le Canton ont réalisé des cartographies de la présence des commerces sur le territoire. Un Observatoire du commerce vient également d’être créé.
Les autorités de la cité de Calvin ont par ailleurs développé un outil qui détermine précisément quel type d'activité économique doit s’installer sur telle ou telle surface. Pour faire simple, lorsqu'un commerce alimentaire déménage, seul un autre commerce alimentaire peut venir s'installer. Cet instrument intéresse d'ores et déjà plusieurs villes romandes, dont Lausanne.
Sujet radio: Martine Clerc
Version web: Antoine Schaub