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Valérie Dittli, ministre vaudoise des Finances jamais taxée dans le canton

La conseillère d'Etat Valérie Dittli n'a jamais été taxée dans le canton de Vaud
La conseillère d'Etat Valérie Dittli n'a jamais été taxée dans le canton de Vaud / Forum / 3 min. / le 3 mars 2023
La conseillère d'Etat vaudoise Valérie Dittli, élue en 2022, vit à Lausanne depuis 2016, y a travaillé et s'y est engagée en politique. Mais selon une enquête de la RTS, l'élue du Centre a conservé son domicile principal à Zoug et n'a donc jamais été taxée dans le canton de Vaud. Le PS va déposer une interpellation.

Durant presque six ans, jusqu'à fin 2021, Valérie Dittli a vécu à Lausanne tout en conservant son domicile principal - et donc fiscal - dans le canton de Zoug. C'est là qu'elle a payé ses impôts. Or, cette pratique interpelle, au regard de son implication professionnelle et politique dans le canton de Vaud.

Engagée par l'Université de Lausanne en 2016 comme assistante-doctorante en droit, la jeune femme y a travaillé durant quatre ans. En parallèle, elle s'est engagée activement en politique. Elle a repris en main la section vaudoise du parti Le Centre, dont elle est devenue présidente. Elle a tenté aussi sa chance aux élections municipales à Lausanne en 2021 avant d'être élue, à la surprise générale, au Conseil d'Etat vaudois au printemps dernier.

Aller-retour entre Zoug et Lausanne

Pendant tout ce temps, elle conserve son domicile principal dans la commune zougoise d'Oberägeri, où elle a grandi et où vit sa famille. A une exception près en 2021: à 29 ans, Valérie Dittli déplace provisoirement sa résidence principale à Lausanne, pour se présenter aux élections municipales. Elle échoue alors dans les urnes et presque immédiatement après, redéménage son domicile principal à Zoug.

Cette mobilité fiscale prend fin en janvier 2022. En campagne pour accéder au Conseil d'Etat, la candidate du Centre installe alors sa résidence principale, et donc fiscale, à Lausanne.

>> Voir l'enquête de la RTS dans le 19h30 :

Une enquête de la RTS révèle que la conseillère d'État vaudoise Valérie Dittli n'a jamais été taxée par le fisc vaudois. Elle nie toute forme de fraude
Une enquête de la RTS révèle que la conseillère d'État vaudoise Valérie Dittli n'a jamais été taxée par le fisc vaudois. Elle nie toute forme de fraude / 19h30 / 2 min. / le 3 mars 2023

Une question sujette à interprétation

A partir de quand doit-on considérer son domicile comme sa résidence principale, et donc y être taxé par le fisc? La question est sujette à interprétation et fait l'objet d'une jurisprudence foisonnante.

Selon trois spécialistes en droit fiscal consultés par la RTS, la question du lieu de travail est généralement un critère prépondérant pour fixer le domicile principal d'un ou d'une jeune contribuable célibataire. Selon eux, dans ce cas précis, les impôts auraient dû être payés à Lausanne.

"Sans pouvoir me prononcer sur le cas précis de Valérie Dittli, si j'avais un client qui était dans des circonstances un peu similaires, avec un lieu de travail et un cercle de vie très actif dans cet endroit, je pense qu'il faudrait qu'on ait une discussion sur le canton où il doit être fiscalisé", a expliqué Aurélien Barakat, avocat et expert fiscal à Genève, dans le 19h30.

Selon les estimations de la RTS, Valérie Dittli, qui a perçu un salaire moyen de 4500 francs par mois pendant ses 4 ans de doctorat, aurait économisé jusqu'à 20'000 francs en étant imposée dans le canton de Zoug plutôt que dans le canton de Vaud. Cette estimation a été réalisée avec "Swiss tax calculator", un simulateur en ligne développé par la Confédération.

La conseillère d'Etat vaudoise précise toutefois qu'elle a régulièrement payé ses acomptes 2022 sur sol vaudois et qu'elle s'apprête à déposer sa déclaration pour l'année dernière.

Un parcours entre Zoug, Lausanne, Berne et Zurich

Invitée dans l'émission Forum, Valérie Dittli a rejeté ces accusations par un long retour en arrière sur ces années où elle était encore aux études. "Ces questions relèvent de ma sphère privée, de laquelle il ne reste plus grand-chose", a-t-elle lancé d'emblée (…) "Nous parlons de ma vie d'étudiante, de doctorante, de stagiaire, à un âge où on se cherche encore, où tout est ouvert".

La conseillère d'Etat est revenue longuement sur son parcours, entre Zoug, Lausanne, Berne ou Zurich, de 2016 à 2021. "Et il ne faut pas oublier qu'il y avait le Covid", a-t-elle aussi rappelé.

En 2021, Valérie Dittli assure ne rien avoir gagné financièrement avec son domicile fiscal à Zoug, au contraire. "Vu que j'étais avocate stagiaire à Berne et que je gagnais 1700 francs par mois, dans ce cadre-là, le canton de Vaud était plus avantageux que le canton de Zoug."

"Je souhaite que tout contribuable paie ses impôts où il considère qu'il a son centre de vie", ajoute-t-elle encore, avant d'encourager "les Vaudois à payer leurs impôts".

>> L'interview de Valérie Dittli dans Forum :

Valérie Dittli s’explique sur son domicile fiscal à Zoug
Valérie Dittli s’explique sur son domicile fiscal à Zoug / Forum / 6 min. / le 3 mars 2023

Martine Clerc et Yoan Rithner/oang

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Des réactions contraires

Interrogé dans le 12h30 de samedi, le président des socialistes vaudois Romain Pilloud estime "qu'étant donné ses études en droit, il n'y a pas beaucoup d'excuses sur le fait que Valérie Dittli ne pouvait pas savoir un certain nombre de choses. Ce qu'on attend maintenant, ce sont des réponses extrêmement claires de la part du gouvernement et de Madame Dittli en particulier". Le PS va donc déposer une interpellation dans ce sens.

A droite en revanche, la présidente vaudoise du PLR Florence Bettschart-Narbel prend la défense de la conseillère d'Etat du Centre. Le va-et-vient fiscal de la jeune Alémanique ne la dérange pas. Après avoir déposé brièvement ses papiers à Lausanne, elle a remis ses papiers à Zoug: "A ce moment-là, je pense qu'elle n'avait pas l'idée d'être candidate au Conseil d'Etat vaudois".

>> Ecouter le sujet du 12h30 :

La conseillère d'Etat Valérie Dittli lors de la présentation du budget du canton de Vaud pour 2023 le 22 septembre 2022. [Keystone - Laurent Gillieron]Keystone - Laurent Gillieron
Les réactions fusent sur l’affaire fiscale de la ministre des Finances vaudoises Valérie Dittli / Le 12h30 / 2 min. / le 4 mars 2023

Contacté par Keystone-ATS, le président du Centre Vaud, Emilio Lado, souligne que la situation fiscale de Valérie Dittli, du temps où elle était étudiante et pas encore ministre, relève de "la sphère privée". Et d'autant plus qu'elle a toujours payé ses impôts, préférant simplement, "comme de très nombreux étudiants en Suisse", conserver son domicile fiscal dans son canton d'origine, "le temps de stabiliser sa situation professionnelle."

Selon Emilio Lado, la conseillère d'Etat a toujours joué "la carte de la transparence" et n'a rien à se reprocher. Cette affaire relève, selon lui, du procès d'intention. "On sent bien que certains cherchent à instrumentaliser la question pour des motifs politiques", a-t-il remarqué.

La démarche de la RTS

Pour réaliser cette enquête, la RTS a demandé à l’Administration cantonale des impôts de l’Etat de Vaud le revenu et la fortune imposables des sept conseillers et conseillères d’Etat entrés en fonction l’été dernier.

La loi vaudoise permet une telle démarche, qui semblait d’intérêt public après une précédente législature passablement chahutée par ce qu’on a appelé alors "l’affaire Broulis".

Deux des sept taxations n’ont pas pu être transmises par l’Administration fiscale: celle de la ministre de l’Economie Isabelle Moret, dont la dernière taxation définitive remonte à 2015 (une situation déjà connue liée à son divorce et qui n’a donc guère évolué). L’autre absence de renseignements concerne Valérie Dittli, grande argentière vaudoise qui a succédé à ce poste à Pascal Broulis.