Isabelle Moret: "Placer des personnes qui ont fui la guerre à côté d'une place de tir n'est pas judicieux"
Face aux arrivées toujours plus massives de demandeurs d'asile en Suisse, les places disponibles dans les centres d'asile fédéraux commencent à se faire rares. La Confédération prévoit ainsi la création prochaine de quelque 3000 places supplémentaires. Elles verront le jour dans des hébergements temporaires sur des terrains mis à disposition par l'armée.
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Le Secrétariat d'Etat aux Migrations (SEM) a dévoilé mardi les quatre sites retenus. Il s'agit de Tourtemagne en Valais, de Bière dans le canton de Vaud, de Bure en terres jurassiennes, et enfin de Thoune dans le canton de Berne. Soit trois sites situés en Suisse romande. Ce choix fâche dans les cantons concernés sur le coût à supporter, sur la cohabitation avec la population locale, la sécurité ou encore les conditions d'hébergement.
Canton mis devant le fait accompli
Le Canton de Vaud, par la voix de sa conseillère d'Etat en charge de la politique migratoire, se sent par exemple mis devant le fait accompli. Comme le détaille Isabelle Moret au micro de La Matinale mercredi, il y a selon elle un problème de fond et de forme dans la manière de faire de la Confédération.
"Sur la forme tout d'abord, il n'y a eu aucune discussion ou négociation avec les cantons et les communes concernés", déplore Isabelle Moret. Selon elle, le choix de Bière, situé à proximité d'une place d'arme en exercice où il y a des tirs journaliers d'obus, n'a pas été réfléchi. Elle s'explique: "Placer des gens qui fuient des pays en guerre juste à côté de tirs journaliers, ce n'est pas judicieux." Une visite préalable du SEM aurait permis de le constater, souligne-t-elle, ce qui n'a pas été fait.
Bien consciente que les sites retenus sont des places fédérales et que la décision finale ne lui appartient pas, Isabelle Moret avait tout de même pris la peine d'écrire au SEM pour s'opposer au choix de la place de Bière. Sans succès. "Un jour, j'ai reçu un SMS du SEM m'annonçant que Bière avait été retenu sans autres explications", regrette-t-elle.
Une meilleure répartition régionale souhaitée
Et sur le fond, la conseillère d'Etat vaudoise aurait souhaité une meilleure répartition régionale de ces centres d'hébergement provisoires. "Pourquoi à part Thoune, n'y a-t-il aucun centre en Suisse allemande?", s'interroge-t-elle. Avant de continuer: "Est-ce que c'est pour éviter des polémiques en pleine campagne électorale fédérale? Car il me semble qu'en Suisse allemande, il y aurait des possibilités aussi."
Quand la Confédération a décidé d'ouvrir un centre d'asile provisoire à Moudon, nous n'avons rien dit pour participer, comme tous les cantons, à la solidarité intercantonale
Surtout que le canton de Vaud compte actuellement déjà quatre centres fédéraux d'asile: celui de Vallorbe, celui des Rochat sur les hauts de Provence, celui de Chamblon, et depuis novembre dernier celui de Moudon. "Quand la Confédération a décidé d'en ouvrir un à Moudon, nous n'avons rien dit pour participer, comme tous les cantons, à la solidarité intercantonale", souligne-t-elle. Mais là, avec un cinquième centre fédéral, c'en est trop: "Cette solidarité spontanée a atteint ses limites." Sans compter qu'à Bière, ajoute-t-elle, on parle d'un centre où on mettrait jusqu'à 1000 personnes. "Et ce, dans un village de 1700 habitants."
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Suisse romande davantage ouverte?
Selon l'élue, la Confédération doit cesser de profiter de la plus grande ouverture de la Suisse romande sur la question de l'accueil des migrants. "Nous nous inscrivons peut-être davantage dans cette lignée de la tradition humanitaire de la Suisse que je salue, mais ça n'est pas une raison pour qu'elle privilégie des endroits situés surtout en Suisse occidentale."
Il n'y a aucune base légale pour obliger les cantons à payer la phase fédérale
Et cerise sur le gâteau: la Confédération demande aux cantons de participer aux coûts de l'accueil de ces migrants alors qu'ils sont en phase fédérale. Un point qui énerve Isabelle Moret au plus haut point.
"Il n'y a aucune base légale pour obliger les cantons à payer la phase fédérale alors qu'ils ont déjà tous les coûts d'accueil et d'intégration des requérants en phase cantonale à prendre en charge. Pour arriver à faire face, il est nécessaire que toutes les instances puissent travailler ensemble main dans la main avec confiance et discussion. Et qu'il n'y ait pas de menaces et de fait accompli."
Propos recueillis par David Berger
Texte pour le web: Fabien Grenon
"C'est une honte", selon le syndic de Bière
Pour le syndic de Bière Michel Dénéraz, envisager de placer des personnes migrantes, parfois venues de pays en guerre, sur une place d'arme, c’est totalement irrespectueux.
Son message au Secrétariat d'Etat aux Migrations (SEM) est très clair. "Si on nous impose ce centre, on va négocier le plus de compensations. On veut des garanties sécuritaires, on ne veut pas qu'on nous limite nos ressources en eau potable et il est évident que tous les moyens seront bons pour obtenir le maximum de compensations pour notre population."
A Bure, on relativise
Du côté de Bure dans le canton du Jura, qui a été également retenu pour accueillir un centre provisoire, le maire relativise. Pour Michel Vallat, qui affirme avoir pu discuter avec le Secrétariat d’Etat aux migrations, il va falloir trouver des solutions.
"Je pense que c'est possible partout et que c'est difficile partout. Ce qui est demandé, c'est un défi pour la Confédération et les cantons de mettre en place ces centres. Dans tous les cas, on ne va pas forcer la population si elle n'en veut pas."
Un communiqué de l'Etat du Valais
Dans un communiqué, l’Etat du Valais affirme prendre acte de cette démarche fédérale qui ne relève pas de sa compétence. Il demande par contre que les communes soient accompagnées.