Le loup est de retour dans le Jura vaudois depuis une dizaine d’années. Survenues il y a deux ans, les premières attaques sur des jeunes bovins ont alors chamboulé toute une région. Alors qu'une cinquantaine de bêtes ont péri à ce jour sous les crocs du prédateur, découvrez notre immersion de 24 heures avec celles et ceux qui tentent de trouver des solutions en faveur de la cohabitation.
Le soleil se couche sur les Begnines, un pâturage situé aux confins de la Vallée de Joux. François Duruz rend une dernière fois visite aux génisses avant la nuit. Depuis près d’une quinzaine d’années, le berger s’occupe des bêtes, les nourrit et les soigne durant la saison d’estivage. Mais le loup est venu troubler la quiétude de son alpage.
Cette menace, le berger l'appréhende avec philosophie. "Quand on gère des bêtes à la montagne, on n’est pas en plaine dans une ferme moderne, mais dans un lieu sauvage”, souligne-t-il.
François Duruz n’a pas pu éviter une première prédation l’été dernier, survenue durant son sommeil. Depuis, les jeunes veaux sont rentrés dans l’étable à la tombée de la nuit. Faute de place, les génisses, elles, dorment à la belle étoile. "C’est clair qu’on ne sait jamais ce qu’il se passe la nuit, je ne suis pas avec elles."
Épisode 2
22h00 - Les bénévoles d’OPPAL
RTS - Léandre Duggan
A quelques kilomètres de là, sur l’alpage de la Foirausaz, les veaux rejoignent leur parc de nuit. Au crépuscule, des bénévoles de l’Organisation pour la protection des alpages (OPPAL) prennent le relais des bergers durant leur nuit de repos.
Armés de jumelles thermiques, d’une lampe torche, d’un sifflet et d’une corne de brume, François et Aliki surveillent le troupeau. Si un loup pointe le bout de sa truffe, ils ont été formés pour l’effaroucher. Ce couple de Genevois prend des vacances pour remplir cette mission.
OPPAL propose ce programme de surveillance depuis trois ans en Valais et deux ans dans le canton de Vaud. À ce jour, l’association n’a jamais connu d’attaque sur le bétail durant sa surveillance nocturne. "On peut dire que la présence humaine durant la nuit fonctionne", constate Jérémie Moulin, directeur d’OPPAL.
Il est toutefois impossible de surveiller les 600 lieux d'estive vaudois. L’action d’OPPAL se concentre donc là où la pression du loup est la plus forte. “Il y a des zones sur lesquelles on peut tout à coup être d’une grande aide et vraiment faire une différence”, assure Jérémie Moulin. Depuis cette année, des civilistes complètent les contingents pour prêter main forte aux bergers et aux éleveurs.
Le jour se lève après une nuit particulièrement calme. Or 24 heures plus tard, François et Aliki repéreront quatre loups rôdant à quelques centaines de mètres du troupeau.
Épisode 3
8h00 - Les éleveurs
RTS - Léandre Duggan
Ce matin-là, au-dessus du lac de Joux, personne ne manque à l’appel. Un soulagement pour Kim Berney, qui a déjà perdu une quinzaine de bêtes en deux ans. Cette saison, au moins deux prédations ont eu lieu en pleine journée. Du jamais vu jusqu'alors.
Au-delà du temps et de l’argent perdu, c’est le moral de l'éleveur des Bioux (VD) qui en a pris un coup. "C’est dans la tête que c’est le plus difficile, avoir une boule au ventre en montant travailler, ce n’est pas agréable". Au point que Kim Berney a aujourd'hui décidé de remplacera progressivement ses vaches Highlands - qui avaient pourtant fait sa signature pendant plus de 20 ans - par une autre race de bovins, plus robuste.
Toujours à la Vallée de Joux, Marc-André Golay et Clément Magnin testent quant à eux un parc de protection de nuit permanent. Dès le retour du loup, ces deux associés ont pris les devants. "Pour l’instant on n’a pas eu d’attaque”, se réjouissent-ils, conscients que le risque zéro n’existe pas. "S’il arrive quelque chose, on n’aura au moins pas rien fait...".
Sur leur alpage des Grands Plats de Vent, deux hectares ont été clôturés avec sept fils électrifiés, atteignant quasi deux mètres de haut. Coût de l’opération: 8000 francs. Une mesure en guise de projet pilote, financée par le canton de Vaud et la Confédération.
À ce jour, le Jura vaudois ne compte toutefois que trois parcs de protection permanents. Car si la demande est bel est bien là, elle se heurte régulièrement à des obstacles liés à la protection de la nature et à un manque de subventions.
En attendant, certains misent sur la prévention. Sur la commune de Le Vaud, François-Lionel Humbert a par exemple réduit la taille de ses troupeaux à trente têtes par alpage. "Au-delà, le troupeau va se désynchroniser. Et lorsque les vaches sont réparties dans tout le pâturage, la surveillance est beaucoup plus compliquée.”
Malgré ces mesures, l'écrasante majorité des éleveurs reste convaincue que la régulation reste la meilleure solution, à l’heure où la population de loups poursuit son expansion dans la région.
Épisode 4
13h00 - Les amoureux du loup
RTS - Léandre Duggan
Le loup, il y a ceux qui l’abhorrent et ceux qui l’adorent. Quand il montre l’endroit où il a vu et entendu des loups, Eric Jaquet a les yeux qui brillent. “C’est quelque chose une meute de loups qui gueule, qui chante comme nous on dit!”
En février 2022, ce passionné participe à la création d’Avenir loup lynx Jura. Pour cette association vaudoise qu’il préside, le moindre tir est inimaginable. “En 2021, ils ont tiré deux loups, ça n'a rien changé. L'année d’après, il y a eu encore plus d’attaques.”
Autre défenseur du grand canidé, le Groupe Loup Suisse, lui, a changé sa position, quitte à déplaire aux plus fervents partisans du grand prédateur. “On est conscients que le tir ne peut pas être évité dans certaines situations, qu'il faut des consensus et des compromis”, reconnaît Isabelle Germanier, responsable romande du Groupe Loup Suisse.
Voir une fois le loup “les yeux dans les yeux”, c’est le rêve cette amoureuse de la faune et de la nature. “C’est un animal qui fascine, mais qu’il ne faut pas sacraliser”, met en garde la Valaisanne.
Épisode 5
17h00 - Les scientifiques
RTS - Yoan Rithner
On retrouve les Highlands de Kim Berney en fin d'après-midi. Ce jour-là, elles se voient équipées d’un collier GPS. Inédite en Suisse, l'expérience s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche de la Fondation KORA et de l’Université de Lausanne, soutenu par le canton de Vaud et AGRIDEA.
"Ces colliers vont nous permettre de prendre des positions toutes les heures, ainsi que des données d’activité", explique Philippine Surer, doctorante en biologie. “Ces informations permettront de savoir si le stress des bovins est vraiment plus haut dans les territoires où des meutes de loups sont présentes.”
Avec ses collègues, la scientifique espère aussi poser prochainement des colliers GPS sur des loups, avec l'objectif d’améliorer les connaissances sur le grand prédateur et de mieux comprendre son comportement et ses attaques sur les animaux de rente. "Le but est aussi de pouvoir donner des recommandations de gestion pour ces loups problématiques avec les bovins", précise Philippine Surer. Car aujourd’hui, la Confédération juge les bovins non-protégeables.
Parallèlement aux mesures prises par les éleveurs, la Fondation Jean-Marc Landry (FJML) explore des pistes pour empêcher les attaques. Depuis l’année dernière, Jean-Marc Landry et ses collègues testent une nouvelle méthode d’effarouchement. Celle-ci consiste à tirer des fusées explosives et éblouissantes à proximité du loup lorsqu’il s’approche du bétail.
"L’idée, c’est qu’il pense que le bétail l’a puni. C’est quelque chose qui reste ancré parce que ça passe par un système ancien du cerveau qu’on appelle le système lymbique”, explique l’éthologue. Et de conclure. “Si on est capables de modifier le comportement du loup sur un moyen ou long terme, ça signifie qu’on peut protéger les troupeaux et qu’on peut cohabiter avec la présence du loup."
Épisode 6
Épilogue
RTS - Yoan Rithner
Passé l’émotion suscitée par les premières attaques sur les bovins et les premiers tirs de régulation, la question du loup reste extrêmement sensible.
Selon le décompte du canton de Vaud, sept bovins ont été tués cette année (situation au 31 juillet 2023). En 2022, le loup avait fait 26 victimes.
Or si le loup fait autant parler de lui, ce n’est pas seulement en raison des prédations - celles-ci ne représentent en réalité qu’un infime pourcentage (2-3%) des pertes de bovins durant la saison d’estivage. Il n’en demeure pas moins que ces dommages constituent une contrainte supplémentaire pour les éleveurs, qui s'ajoute à l'augmentation des charges administratives et aux changements climatiques notamment.
Aujourd’hui, le loup est donc indiscutablement devenu une question politique. Au parlement vaudois, les agriculteurs sont bien représentés et exigent des solutions rapides. Ils estiment que ce n’est pas à eux d’assumer les conséquences (notamment financières) liées au retour du loup. Quant au “Plan loup” déployé par le canton au printemps dernier, il peine à les convaincre.
Reste que si le grand prédateur dérange certaines et certains, c’est peut-être aussi parce qu’il représente le symbole ultime de la liberté et de la vie sauvage. En terres vaudoises, il a de surcroît eu l’audace de s'attaquer à un autre emblème du canton: les vaches, paissant paisiblement dans les pâturages. Comme un rappel que l'être humain n'a pas l'entière mainmise sur la nature.
Autant dire que la route menant vers un retour au calme dans les pâturages du Jura vaudois, risque d'être encore longue.