Affaire Camille: "J’ai tout donné pour qu’elle soit protégée", témoigne Priscilla Majani à sa sortie de prison
Cela ressemble à un dénouement, mais Priscilla Majani compte bien ne pas s'arrêter là. Le 20 décembre 2023, à la veille de Noël, la Française quitte la prison des Baumettes de Marseille après plus de 600 jours entre quatre murs.
Son avocate est là pour l'accueillir dehors. "Le combat a été long pour faire sortir cette maman de prison, juste parce qu'elle a voulu protéger sa fille", lance Myriam Guedj Benayoun à l'équipe de Mise au Point ce jour-là.
"11 ans de cavale, 22 mois de prison"
En effet, le parcours chahuté de Priscilla a été long. Presque aussi long qu'une vie d'enfant.
A l’âge de cinq ans, sa fille Camille déclare que son père lui fait des "choses bizarres" avec son zizi. Sa mère prend la chose au sérieux et l’emmène à l’hôpital. L'examen de la fillette s'avère normal, mais le corps médical estime que l’affaire ne devrait pas être classée. C'est pourtant ce que va faire la justice de Toulon, au sud de la France.
Commence alors un long parcours de clandestinité qui va durer 11 années, dont 5 en Suisse. La mère refuse de respecter la garde partagée avec le père de Camille. Elle décide de disparaître avec sa fille.
Après cela, c'est surtout la parole d'Alain qui est relayée par les médias. Au début 2023, il déclarait dans l'émission Mise au Point: "L’enfant n’a jamais été violée. En tout cas pas par moi! Je n’ai jamais fait quoi que ce soit en ce sens".
Fin 2022 pourtant, Camille, alors âgée de 17 ans, a elle-même porté plainte contre son père pour "violences psychologiques, physiques et sexuelles" devant le Tribunal des mineurs à Lausanne.
Au procès en appel de sa mère, l'adolescente maintient sa version dans une vidéo présentée au tribunal. "Mon père me disait toujours: 'Ne parle à personne sinon tu vas voir ce qu’il va arriver à ta mère'", raconte notamment la jeune femme, sans que son visage soit visible.
La justice française décidera finalement de réduire la peine de Priscilla Majani de cinq à deux ans et neuf mois de détention ferme.
En décembre dernier, à sa sortie de la prison des Baumettes à Marseille, l'ancienne détenue déclarait, visiblement émue: "Je tiens à remercier toutes les personnes qui nous ont aidées, donné un travail, des vêtements".
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Une vie en cachette
Mars 2024. Trois mois après sa libération, Priscilla accepte de revenir sur son parcours en Suisse. Dès 2017, après déjà 6 ans de clandestinité, elle s'installe à Morges avec sa fille. C'est en marchant dans les vignes que Camille a eu un coup de foudre pour ce "petit paradis", raconte la maman.
"Les habitants se comportent avec beaucoup de respect, ils ne cherchent pas non plus à être intrusifs. (...) Grâce à cela nous avons pu nous sentir en sécurité dans ce pays", écrit Camille, qui souhaite rester anonyme, dans une lettre.
J’approuve complètement la décision de ma mère, je pense que cette décision m’a sauvé la vie
Sa mère, elle, doit faire profil bas. Elle multiplie les petits boulots au noir pour gagner de quoi vivre: ménages, jardinage, cours particuliers.
"J’approuve complètement la décision de ma mère, je pense que cette décision m’a sauvé la vie. Quand, à 5 ans, la justice n’a pas su m’écouter ni me protéger, ma mère ne m’a jamais laissé tomber", déclare encore Camille, qui vit toujours en famille d'accueil en Suisse actuellement.
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"Injonction contradictoire"
Quant à Priscilla Majani, elle estime que son dernier jugement en date est "une toute petite avancée". Les juges du procès en appel réduisent sa peine à un peu moins de trois ans et ils ont écarté la dénonciation calomnieuse et mensongère.
Elle ne comprend cependant pas que la relaxe et la condamnation pour soustraction de mineur figurent les deux à la fois sur un même document.
"On dit que vous n’avez pas menti ni manipulé [votre fille], mais que vous auriez quand même dû la remettre à l’agresseur qu’elle désignait", lance la maman.
Transformer sa colère
Et même si elle dit garder une "sainte colère" envers le système judiciaire, Priscilla compte bien continuer le combat aux côtés de son avocate. Cette dernière est en charge de plusieurs affaires similaires impliquant des enfants abusés.
"Quand on ouvre les yeux sur la réalité judiciaire, sur ces enfants qui ne sont pas protégés, on ne peut pas rester les bras croisés", ajoute la mère de Camille, tremblante.
Elle souhaite désormais transformer cette colère en action, peut-être auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme. Avec l’espoir aussi de retourner en Suisse quand la justice française lèvera son interdiction de quitter le pays (pendant 3 ans). Et enfin pouvoir rejoindre sa fille laissée en Suisse. "J’ai tout donné pour qu’elle soit protégée et j’en suis fière", conclut Priscilla.
Reportage TV: Raphaël Guillet
Adaptation web: Doreen Enssle