L'absence de plan d'assainissement irrite dans les quartiers lausannois pollués aux dioxines
Voilà maintenant trois ans qu'une pollution aux dioxines a été découverte par hasard au cœur de Lausanne. Trois ans durant lesquels le canton de Vaud et la Ville de Lausanne ont mis l'accent sur la prévention et agi principalement au niveau sanitaire.
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En février dernier, les autorités déployaient encore certaines mesures dans ce domaine: avec l'envoi de courriers à des locataires vivant à proximité de terrains faiblement pollués et la pose de panneaux informatifs notamment aux abords de certaines places de jeux (parc de Mon Repos, promenade du Devin, parc de Milan).
Reste qu'aujourd'hui, il n'y a pas de plan d'assainissement concret. Le financement de tels travaux n'est pas réglé, tout comme l'épineuse question des responsabilités. Canton de Vaud et Ville de Lausanne en sont encore à faire de la prévention.
Agacement des habitants
Contactés par la RTS mais préférant rester anonymes, plusieurs propriétaires privés, tout comme des habitants des quartiers lausannois les plus concernés, expriment aujourd'hui un certain ras-le-bol. Ils pointent du doigt des informations lacunaires et déplorent que de nombreuses questions sur l'assainissement et son financement restent sans réponse.
"Les solutions de dépollution telles qu'elles existent aujourd'hui sont extrêmement coûteuses et longues. Il va donc plutôt falloir vivre avec [la pollution]", déclare de son côté dans La Matinale Dominique Hugon, membre du comité du quartier du Vallon, où se situait l'usine d'incinération des déchets responsable de la pollution.
"Mais comment fait-on? Est-ce qu'on se contente de ces mesures de prévention? Est-ce qu'il faut changer la terre des terrains de jeu ou des jardins, où il y a une vraie activité sociale? C'est difficile de réagir dans l'urgence. On ne peut pas dépolluer comme cela d'un seul coup. Aucune solution idéale et rapide ne semble se profiler", soulève Dominique Hugon.
Les autorités se défendent de tout laxisme
Confrontés à ces critiques, la Ville et le Canton expliquent avoir priorisé leurs efforts: en mettant d'abord l'accent sur les sites les plus pollués, afin d'en limiter l'accès ou l'usage, en élaborant des recommandations sanitaires aussi, puis en évaluant le périmètre de la pollution. Les autorités rappellent aussi la création d'une task force dédiée, l'élaboration de pages internet spécifiques à cette crise ou encore l'ouverture d'une hotline téléphonique, toujours active aujourd'hui.
Ce qui n'explique pas encore précisément pourquoi il a fallu attendre février 2024 pour voir des panneaux de prévention apparaître dans certains parcs de la ville, dont les sols ont été analysés entre 2021 et 2022.
"On est sur des degrés de pollution en dessous de 100 nanogrammes par kilogramme. Le risque et l'urgence étaient moindres", soutient Jérémie Blaser, le secrétaire général ad intérim de la direction de l'environnement de la Ville de Lausanne.
"Cela dit, les panneaux ne sont que la partie visible de l'iceberg. Durant l'année, nous avons continué à informer, notamment nos locataires des plantages. Nous avons aussi informé sur notre site internet", souligne-t-il. Les employés des écoles ont aussi été touchés par ces informations, mentionne-t-il encore.
Un plan d'assainissement en cours d'élaboration
Quant au plan d'assainissement, toujours inexistant, la Ville et le Canton expliquent que les travaux sont en cours. Avant tout au niveau des méthodes de dépollution. Pour ce qui est du déploiement concret de l'assainissement, le dossier est particulièrement compliqué. Une base légale claire fait toujours défaut et est en discussion à Berne. Et puis, sur le papier, quelque 3000 parcelles, publiques et privées, doivent potentiellement être assainies.
Le Canton a tout de même accepté de lever un coin du voile sur ses intentions. L'idée est de ne pas dépolluer toutes les parcelles, mais seulement celles qui ont une certaine concentration en dioxines (plus de 20 ng/kg) et sur lesquelles jouent régulièrement des enfants.
Un question d'ordre juridique
Selon des informations de la RTS, le Canton élabore ce plan sur la base d'une lettre de l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), qui est très impliqué dans ce dossier.
Mais il est difficile de savoir si ce courrier daté de mars 2022 peut faire office de loi. Certains experts juridiques en doutent. Par conséquent, le Canton ne veut pas se précipiter.
Besoins à déterminer
"Un des grands travaux qui attendent les autorités, c'est de définir le besoin d'assainissement", indique Sylvain Rodriguez, le chef de la Direction de l'environnement industriel, urbain et rural du canton de Vaud.
"C'est-à-dire déterminer quelle parcelle est à assainir en fonction des concentrations dans le sol. Ces analyses vont être demandées aux propriétaires. D'autre part, quelle est l'utilisation de ce sol? Là, les autorités devront fournir les outils pour bien déterminer si ce sont des parcelles où les enfants jouent vraiment", explique-t-il.
En toile de fond se joue aussi la probable perte de valeur de nombreux terrains pollués. Le Canton veut donc être le plus solide possible au niveau juridique, pour s'éviter une avalanche de recours. Des recours qui potentiellement retarderaient encore davantage la dépollution.
150 millions pour dépolluer
L'assainissement pourrait coûter quelque 150 millions de francs, selon Sylvain Rodriguez. Une révision de loi, actuellement débattue à Berne, prévoit une participation de la Confédération à hauteur de 40%. Mais qui paiera le reste?
Pour cela, il faudra clairement identifier les responsables de la pollution. L'étude historique publiée mercredi esquisse les débuts d'une réponse. Formellement, c'est au canton de statuer sur cette question très sensible. Un canton, semble-t-il, juge et partie dans cette affaire.
Marc Menichini, Pôle enquête RTS