Modifié

La famille du preneur d'otages tué par la police porte plainte

La famille du preneur d’otages de 13 personnes dans un train près d’Yverdon-les-Bains porte plainte
La famille du preneur d’otages de 13 personnes dans un train près d’Yverdon-les-Bains porte plainte / 19h30 / 3 min. / le 18 février 2024
La mort du requérant d’asile qui a séquestré 13 personnes dans un train près d’Yverdon le 8 février est considérée comme "une injustice" par sa famille. Le procureur général vaudois a confirmé au Pôle enquête de la RTS le dépôt d’une plainte pénale.

Qader B., 32 ans, est décédé le 8 février vers 22h15, après avoir retenu en otage et terrorisé pendant près de quatre heures les douze passagers et le mécanicien d’un train régional du Nord vaudois immobilisé à Essert-sous-Champvent (VD). Il a perdu la vie après avoir été mortellement touché par le tir d’un membre du groupe d’intervention de la police vaudoise.

"Nous ne soutenons pas son acte, mais il ne méritait pas d’être tué. C’est une injustice", a déclaré au Pôle enquête de la RTS Vafa B., frère cadet du défunt, joint par téléphone au domicile de cette famille dans le nord-ouest de l’Iran.

Le 15 février, les parents du requérant d’asile kurde iranien ont ainsi déposé une plainte pénale auprès du Ministère public vaudois contre "toute personne ayant illicitement contribué au décès de notre fils". Contacté, l’avocat de la famille ne souhaite pas s’exprimer pour l’heure.

>> Voir les précisions de Ludovic Rocchi dans le 19h30 :

Les explications de Ludovic Rocchi, sur la suite de la procédure après que la famille du preneur d’otages du 8 février dans un train près d’Yverdon-les-Bains a porté plainte
Les explications de Ludovic Rocchi, sur la suite de la procédure après que la famille du preneur d’otages du 8 février dans un train près d’Yverdon-les-Bains a porté plainte / 19h30 / 1 min. / le 18 février 2024

Légitime défense?

L’instruction pénale devra notamment déterminer si le tir policier était justifié. Selon le communiqué de la police cantonale vaudoise du 9 février, au moment des faits, le preneur d’otages était armé d’une hache, d’un marteau et d’un couteau.

Il se serait "précipité" sur les agents et un membre du groupe d’intervention aurait alors "fait usage de son taser pour l’immobiliser". L’individu aurait toutefois "continué sa course dans la direction des policiers et des otages" et un autre membre du groupe d’intervention aurait "fait usage de son arme à feu afin de le neutraliser". Le requérant d’asile est mort sur le coup.

Le policier a-t-il agi en état de légitime défense? Cette question est au cœur de l’enquête du Ministère public vaudois. Contacté vendredi, son procureur général Eric Kaltenrieder confirme le dépôt d’une plainte, mais n’a "aucun commentaire complémentaire à apporter en l’état de la procédure".

Pour le jeune frère du défunt, en tout cas, les agents n’auraient jamais dû faire feu. "Pourquoi n’ont-ils pas utilisé d’autres moyens pour le neutraliser?", s’interroge-t-il.  "Il a très mal agi, mais il voulait seulement qu’on l’écoute, il voulait crier, c’était un appel au secours".

L’état psychique fortement dégradé du preneur d’otages est confirmé par la famille et plusieurs proches en Suisse et à l’étranger interrogés par le Pôle enquête de la RTS. "Deux jours avant son acte, il m’a contacté", raconte Vafa B. "Il m’a dit qu’il en avait marre de sa vie mais il n’a pas parlé de son projet. Il répétait qu’il se sentait malheureux, qu’il allait mal, mais aussi que personne ne l’écoutait".

Une attirance obsessionnelle

Arrivé en Suisse en août 2022, Qader B. a demandé l’asile en raison de son engagement politique et militaire dans la lutte indépendantiste kurde en Iran et en Irak. Il disait craindre pour sa vie s’il restait dans son pays. A son arrivée à Boudry (NE), il présentait des troubles physiques, notamment en raison d’une prothèse à la jambe gauche qui le faisait souffrir.

Il a cependant rapidement souffert de graves problèmes psychiques qui ont nécessité plusieurs internements forcés en asile psychiatrique à Genève. Ce canton lui avait été attribué par le Secrétariat d’Etat aux migrations après trois mois passés dans différents centres fédéraux d’asile romands.

C’est précisément dans un de ces centres que le jeune Kurde a commencé à développer une attirance obsessionnelle pour une employée. Une attirance qui ne l’a jamais quitté et qui est au cœur de l’affaire. Dans une vidéo prise par un otage, on entend d’ailleurs le forcené dire qu’il veut à tout prix voir cette femme.

Cette obsession, qui a duré plus d’un an et demi, est confirmée par une proche du défunt rencontrée par la RTS. Cette sexagénaire originaire du même village que lui en Iran était une sorte de confidente. Le soir du drame, à 20h20 exactement, elle a reçu un appel vidéo du preneur d’otages alors qu’il se trouvait dans le train.

"Au téléphone, il m’a dit: 'grande sœur, ces gens, je n’ai rien contre eux'. Il a ajouté: 'soit ils me tuent, soit la police accepte d’amener la femme. Ou je me tue, je me tue'. Voilà ce qu’il a dit".

La confidente a tenté sans succès de le convaincre de mettre fin à sa prise d’otages. "Je l’ai supplié plusieurs fois d’arrêter son acte. Il m’a répondu: 'grande sœur, c’est la fin de ma vie'". Selon la sexagénaire, il semblait dans un très mauvais état et il s’en rendait compte. "Il m’a dit: 'La vie n’a plus de sens, je me sens très mal'". Un otage contacté par la RTS confirme que lors de cet appel, le forcené a changé d’attitude, semblant troublé et douter de ce qu’il faisait.

Crise de nerfs avant la prise d’otages

Un épisode survenu à peine deux jours avant le drame semble attester le dérèglement psychique de cet homme qui se disait ensorcelé, mais aussi victime d’empoisonnement dans sa nourriture ou dans les médicaments qu’on lui prescrivait. Dans la soirée du 6 au 7 février, après une crise de nerfs, il a renversé une table dans le foyer de Palexpo où il était hébergé à Genève.

Selon des sources concordantes, il aurait alors affirmé que l’employée du centre fédéral d’asile qui l’obsédait l’empêchait de voir son fils. Des propos incohérents, si ce n’est que le défunt était bel et bien père d’un garçon de 12 ans élevé dans le village de sa famille et de la mère dont il était séparé. Un enfant dont l’assaillant a d’ailleurs posté plusieurs photos sur les réseaux sociaux la veille de son passage à l’acte.

D’autres proches du preneur d’otages évoquent également la fixation qu’il faisait sur cette employée. "Il est parti en Angleterre l’été dernier pour l’oublier puis il a voulu revenir en Suisse en prétendant qu’elle voulait se marier avec lui", indique un témoin. Un autre explique que Qader B. est ensuite reparti de Genève pour l’Allemagne et la Pologne, où il a été arrêté et renvoyé en Suisse cet hiver. "Il voulait aller combattre et mourir en Ukraine", raconte cette source.

Otages traumatisés

Autant d’indices d’un comportement suicidaire et difficile à suivre médicalement en raison de ses soudaines disparitions et réapparitions. Rien n’aura visiblement réussi à apaiser cet homme avant le coup de folie ultime de cette prise d’otages dont les circonstances restent à éclaircir. Dans la plainte pénale, il est d’ailleurs demandé au Ministère public "de déterminer si Qader a pu bénéficier d’une prise en charge médicale conforme aux règles de l’art ou si, à défaut, des manquements dans ce contexte ont pu contribuer à son décès".

Pour la famille, la priorité est de pouvoir récupérer sa dépouille, explique le frère cadet: "Nous souhaitons que la Suisse, que la police qui l’a tué et qui n’aurait pas dû, rendent au moins le cercueil. On ne pourra plus le serrer dans nos bras, alors qu’on nous rende le cercueil".

Un hommage a déjà été rendu au défunt en l’absence de sa dépouille au sein de la mosquée de sa communauté kurde dans la vallée de Piranchahr, au nord-ouest de l’Iran. "Des centaines de personnes ont rendu les honneurs à sa famille, preuve d’une grande émotion et de l’engagement du défunt pour notre peuple et notre parti", confie un membre de la communauté kurde iranienne réfugié de longue date en Suisse et militant du Parti du Kurdistan d’Iran. Il condamne le geste "odieux et honteux" de son compatriote, mais déplore, lui aussi, que la police ne soit pas parvenue à la maîtriser sans entraîner sa mort.

Les treize otages, eux, se remettent difficilement de leur traumatisme. Il n’y a pas eu de blessés, mais les séquelles psychologiques sont importantes.

>> Revoir le témoignage d'un des otages dans Forum :

Témoignage d’un otage du train d’Essert-sous-Champvent: interview de Brad Smith [RTS]
Témoignage d’un otage du train d’Essert-sous-Champvent: interview de Brad Smith / Forum / 12 min. / le 13 février 2024

Ludovic Rocchi, Fabiano Citroni, Raphaël Leroy, Pôle Enquête RTS

Publié Modifié