Les pentes des Monts Chevreuils ne verront plus jamais passer de skieur alpin
Il n'aura pas fallu plus d’une heure pour en venir à bout: avec la démolition de la gare de départ des téléskis des Monts Chevreuils, c’est tout un pan de mémoire du Pays d’Enhaut que l'on met à terre, tel un chêne centenaire. Arrêtés en 2001 par manque d’enneigement et suite à plusieurs années déficitaires, les téléskis des Monts Chevreuils vont disparaître du paysage, non sans émotion.
"Ça fait toujours un pincement au cœur, parce que là, on est en train de démonter quelque chose, alors que le but, pour une commune, c’est de créer quelque chose", a confié mardi dans le 19h30 de la RTS le syndic de Château-d'Œx Eric Grandjean.
"Je suis en train de casser les Monts Chevreuils"
Avec la Braye, autre domaine skiable désaffecté récemment [lire deuxième encadré], les Monts Chevreuils étaient l'un des deux sites de Château-d'Œx dédiés au ski alpin. Le départ des installations était situé dans le hameau des Moulins, à un peu plus de deux kilomètres du centre de la station.
"Je suis en train de casser les Monts Chevreuils. Parce que c’est fini, voilà", témoigne Michel Tille, un paysan du coin, seul au volant d'une pelle mécanique. Emu.
"Ceux de ma génération ont appris à skier et ont skié ici jusqu’à ce que ce soit terminé en 2001", se remémore pour sa part Eric Grandjean.
Hôte des championnats de Suisse en 1989
Inauguré en 1945, le téléski des Monts Chevreuils, qui dessert le versant nord-est de la montagne entre 960 mètres et 1660 mètres d'altitude, est l'un des premiers du canton de Vaud. Avec ses 2,5 km de long, il est même l’une des remontées les plus longues de Suisse et fait la fierté de tout le village, venu en nombre le jour de son inauguration.
Dans les années 50, une courte installation est ajoutée au pied des pistes pour rejoindre le départ du téléski depuis le centre du hameau des Moulins, puis une troisième – dont la durée de vie sera brève – pour grimper jusqu'au point culminant de la montagne: on skie à ce moment-là aux Monts Chevreuils de 895 à 1750 mètres d'altitude. Dans les années 70, le téléski principal, jugé trop long, est renouvelé et scindé en deux parties.
C'est à la fin des années 80 que le domaine connaîtra son heure de gloire: en 1989, les Monts Chevreuils accueillent les championnats de suisse masculins de ski alpin, sur une piste décrite comme "absolument géniale" par le syndic Eric Grandjean. Dans la discipline reine, le Schwytzois Franz Heinzer, futur triple vainqueur de la Coupe du monde de descente, y remporte son premier titre national.
Reconversion forcée
Composé uniquement de téléskis et implanté à basse altitude sur des alpages entourés de forêts, le domaine skiable est longtemps à l'abri des aléas climatiques. En février 1999, alors que les stations ferment les unes après les autres en raison de conditions météorologiques extrêmes dans les Alpes qui vont conduire aux dramatiques avalanches d'Evolène (VS) et de Montroc (F), près de Chamonix, les pistes des Monts Chevreuils peuvent par exemple rester ouvertes.
Mais la station finit par être rattrapée par les difficultés économiques et une série d'hivers moins enneigés. Le pied des pistes, à 900 mètres d'altitude, manque souvent de neige malgré une orientation au nord favorable. Et faute de télésiège ou de télécabine, il n'est pas possible de n'ouvrir que le haut du domaine skiable. Les téléskis ferment provisoirement en 2001. Malgré divers projets de réouverture [lire troisième encadré], ils ne rouvriront plus.
Il faut donc se renouveler pour durer. Aux Monts Chevreuils, le haut des pistes est appelé à devenir un sentier didactique en collaboration avec le Parc régional Gruyère-Pays d’Enhaut. Dans ce cadre, les socles des pylônes du téléski sommital pourraient être réutilisés en tant que bancs, de quoi ravir les adeptes de la randonnée.
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Sujet TV: Yvan Thorimbert, Pierre Jenny
Article web: Vincent Cherpillod
Le ski alpin sinistré dans la région
Le démantèlement des installations des Monts Chevreuils ne constitue qu'une ligne sur la longue liste des remontées mécaniques mises à l'arrêt ou déjà démontées dans la région. A commencer par la station voisine, La Braye: le principal site dédié au ski alpin à Château d'Œx est fermé depuis 2018. Divers projets de réouverture n'ont pas abouti depuis. Les skieurs du Pays d'Enhaut doivent désormais aller jusqu'à Rougemont (VD) pour glisser sur des pistes préparées.
>> Lire notamment : La commune de Château-d'Oex ne financera plus ses remontées mécaniques
De l'autre côté du Col des Mosses, la fermeture en 2017 du domaine skiable d'Isenau, aux Diablerets, a laissé un goût amer à de nombreux habitants de la région. Là aussi, un projet de réouverture est évoqué, notamment parce que le site, ensoleillé et souvent bien enneigé, est réputé avoir du potentiel.
>> Lire à ce sujet : Aux Diablerets, l'impossible deuil de la station d'Isenau
Dans les environs, la situation n'est guère meilleure. A Schönried, près de Gstaad, le domaine skiable du Rellerli a fermé en 2019. Le domaine voisin du Wasserngrat a été amputé de la partie inférieure de ses pistes dans les années 2000. Même sort pour le village bernois de St-Stephan, qui a perdu son accès mécanisé aux pistes de Gstaad en 2018.
Mais dans la région, la fermeture qui a coûté le plus cher aux skieurs est antérieure aux années 2000 et à son manque de neige. Jadis fleuron des Alpes vaudoises, le Pic Chaussy et ses plus de 2300 mètres d'altitude, au-dessus des Mosses, a perdu ses télécabines et ses pistes à la fin des années 80 déjà, pour des raisons financières.
Projet de réouverture avorté
Le canton de Vaud se pose la question de la pérennisation de ses installations dédiées au ski alpin depuis le tournant du XXIe siècle. En 2003, il confie au bureau de consultants ARW du spécialiste haut-valaisan des remontées mécaniques Peter Furger un mandat d'étude. Face aux difficultés rencontrées par la branche, il est chargé de fournir une première analyse du secteur et de proposer des solutions.
Bien connu dans la région, le "rapport Furger", paru fin 2003, identifie les principaux problèmes et propose une réorganisation en profondeur des domaines skiables, soulignant la nécessité impérative d'une meilleure collaboration entre sociétés de remontées mécaniques, communes et offices du tourisme.
Son idée de base: fermer les domaines les moins favorables au ski (basse altitude, orientation défavorable, installations anciennes), comme celui de la Braye ou une partie de celui des Mosses, pour les remplacer par de nouvelles zones de ski plus en altitude, en réhabilitant par exemple les pistes du Pic Chaussy [lire deuxième encadré].
En 2012, une nouvelle mouture du rapport propose de relier les stations des Alpes vaudoises entre elles par des remontées mécaniques, quitte à abandonner les domaines en partie isolés, comme celui d'Isenau, ce qui provoque un tollé au sein d'une partie de la population.
>> Lire à ce sujet : Une station géante dans les Alpes vaudoises?
C'est dans cette version 2012 du rapport que figure la mesure qui redonnera, un temps, un espoir aux partisans d'une réouverture des Monts Chevreuils. L'analyse propose de fermer les installations de la Braye, au-dessus de Château d'Oex, car les contraintes d'exploitation sont trop nombreuses. En échange, elle suggère de remplacer les trois téléskis des Monts Chevreuils par un télésiège en deux sections, avec une zone de ski dédiée aux familles. Une liaison vers les pistes des Mosses-La Lécherette est même envisagée, mais jugée difficile à réaliser.
Un temps retenu par le canton dans le cadre de sa planification 2020, le projet de réouverture tombe finalement à l'eau, notamment parce que le remplacement du télécabine de Rougemont, arrivé en bout de course, est priorisé. Lorsque la station de La Braye ferme en 2018, elle n'est finalement pas compensée par la réouverture des Monts Chevreuils.
Un démantèlement observé par d’autres petites stations
Le démantèlement des Monts Chevreuils est scruté de l’autre côté du col des Mosses. Au téléski de la Forclaz, entre Leysin et Les Diablerets, les cinq prochaines années de fonctionnement sont assurées grâce à une convention fraîchement renouvelée. Mais ensuite?
"On verra. L'installation est aussi vieillissante... On fait beaucoup d’entretien, mais viendra un moment où il faudra faire des investissements plus gros. Je pense qu'à ce moment-là, de nouvelles questions se poseront", anticipe Armand Lugrin, responsable d’exploitation du téléski Les Thays – La Forclaz. "Mais actuellement, on a une installation qui fonctionne. Il faut profiter de l’exploiter quand on peut, quand il y a de la neige".