Malaise autour du maintien en poste d'un prof vaudois sous enquête pour comportement déplacé
Malgré les enquêtes en cours, le professeur vaudois a conservé un poste d'enseignant, même s'il n'est actuellement pas en contact avec des élèves, selon plusieurs sources. Ce poste n'est pas dans le collège dans lequel il travaillait depuis plusieurs années, mais dans une autre école secondaire du même district, où il a été transféré cet été, ont confirmé plusieurs sources à la RTS. Ce transfert suscite la consternation chez certains parents, car les reproches à son encontre sont lourds [lire aussi l'encadré].
L'enseignant fait l'objet d'une procédure pénale depuis juin dernier, comme l'a confirmé le Ministère public à la RTS. Il aurait montré à des élèves mineurs des images à caractère pornographique. Une enquête est en cours afin d'établir si les faits revêtent ou non un caractère pénal. A ce stade, l'enseignant bénéficie de la présomption d'innocence.
La RTS a appris vendredi en fin de journée qu’une procédure pouvant aboutir à un licenciement serait en cours.
Photos de vacances dénudées
Alice*, l'une de ses anciennes élèves, raconte un épisode qui s'est produit en 2018, en 10e année Harmos, alors qu'elle avait 13 ans. "Depuis le début du Secondaire, il nous a beaucoup inclus dans sa vie privée. Il a souhaité nous montrer des photos d'un voyage qu'il a fait avec sa femme. Il a branché son téléphone et a fait défiler sa galerie. Parmi les photos de vacances, on a vu plusieurs photos de sa femme entièrement nue", a témoigné la jeune fille auprès de la RTS.
"Pour moi, il était conscient de nous montrer ces photos. Il les regardait avec nous. Certains élèves ont ri. On lui a demandé de les enlever. Il n'y a pas eu de commentaires, ni d'excuses. Il a juste enlevé les photos, puis le cours a repris. On ne savait pas trop à qui en parler. On s'est dit que ça n'était peut-être pas si grave que ça... En fait, c'est avec le recul que je me suis rendu compte que ça n'était pas normal", poursuit Alice.
Vérifié par la RTS, ce témoignage fait aussi partie de ceux, nombreux et portant sur plusieurs années, qui ont été transmis au Département vaudois de la formation et de la formation professionnelle à la fin de cette année scolaire. Ils ont provoqué l'ouverture d'une procédure administrative, a appris la RTS. Là encore, la présomption d'innocence s'applique.
Malaise chez plusieurs adolescentes
D'autres reproches dont la RTS a eu écho ont également été formulés contre lui. Cet enseignant n'hésiterait pas à complimenter ses élèves sur leur physique et leur habillement, assez pour créer un malaise chez de nombreuses adolescentes. Quand elles le lui font remarquer, l'enseignant tendrait à répondre que ses intentions sont mal interprétées.
Ce professeur tiendrait aussi régulièrement des propos dévalorisants à l'égard des élèves les plus faibles scolairement. De l'avis de la médecin de l'école où il enseignait, plusieurs d'entre eux ont développé une phobie scolaire.
Alcoolisé durant des camps
Le Département de l'enseignement et de la formation professionnelle aurait aussi reçu le témoignage d'une enseignante qui reproche à son collègue de l'avoir malmenée lors d'une soirée entre professeurs. Alcoolisé, il aurait simulé, pour rigoler, une strangulation à l'aide d'un linge de cuisine.
L'alcool apparaît d'ailleurs comme central dans ses dérapages, en particulier lors des sorties scolaires. En 2019, lors de la dernière soirée d'un camp, il aurait tenu à raccompagner certaines filles dans leurs dortoirs. Ivre, il aurait alors dû être sorti de force à deux reprises par des collègues.
A son retour, l'enseignant est sanctionné. Mais le temps passe et il retourne en camp... L'an dernier, des parents signalent à la direction que leurs filles ont vu leur prof alcoolisé. Et cette année, lors d'une semaine de ski, des adolescentes informent une accompagnante qu'il entrait sans frapper dans leurs dortoirs.
Il y a enfin cette excursion en 2022 avec une classe d'anciens élèves. Une sortie privée de trois jours, mais organisée pour la fin de leur scolarité. Seuls quelques participants sont majeurs. Aux parents, il fait signer un courrier: consommer de l'alcool sera interdit. Mais lors de la dernière soirée, selon les informations de la RTS, l'enseignant se rend dans un bar avec le groupe puis dans sa chambre, où il organise un jeu à boire. Le lendemain, il poste un message WhatsApp sur le groupe de classe que la RTS a consulté dans lequel il laisse le choix à un participant soit de venir nettoyer, soit de lui faire une fellation.
Critiques pas unanimes
Les critiques ne sont toutefois pas unanimes à l'encontre de ce professeur. Bon nombre d'élèves, d'anciens élèves et de collègues disent l'apprécier beaucoup. Il est décrit comme très investi dans son rôle d'enseignant et dans la vie de son ancien établissement.
Pour des observateurs, cela a pu conduire la direction de l'école à un manque de fermeté sur ce dossier durant plusieurs années. Des parents estiment en effet que leurs inquiétudes et remarques n'ont longtemps pas été suffisamment prises au sérieux. A sa décharge, la direction de l'établissement n'a été informée des faits les plus lourds qu'à la fin de l'année scolaire 2023-2024.
Contactée, la direction de l'établissement scolaire n'a pas commenté et renvoie au Département vaudois de l'enseignement qui a répondu à la RTS "ne pas pouvoir faire de commentaire pour le moment".
L'enseignant conteste
Interpellé par la RTS, l'enseignant a répondu par l'intermédiaire de son avocat. Pour lui, les informations tirées de nos sources ne sont "pour le moins pas exactes" et nos assertions s'éloigneraient dans une très large mesure de la procédure administrative en cours.
Aujourd'hui, plusieurs parents se disent soulagés de savoir que cet enseignant n'est plus en contact avec leur enfant. Mais ils ne comprennent pas que le Département ait pu le muter sans le suspendre, au moins le temps de l'enquête.
Sujet radio: Céline Fontannaz
Adaptation web: Vincent Cherpillod
*Prénom d'emprunt
L'Etat ne surprotège pas ses employés, estime un spécialiste du droit du travail
Interrogé vendredi soir dans l'émission Forum de la RTS, l'avocat à Yverdon-les-bains spécialisé dans le droit du travail Philippe Ehrenström est revenu sur la polémique liée au choix de maintenir en poste – dans un autre établissement – plutôt que suspendre l'enseignant visé par l'enquête.
Pour l'homme de loi, qui a défendu plusieurs fois des fonctionnaires d'Etat en situation de litige, ce choix "découle d'une appréciation des risques que fait l'autorité sur la base des éléments qu'elle a dans son dossier. Et c'est une appréciation qui peut changer avec le temps", explique-t-il, précisant bien évoquer le cas général et pas le cas particulier de l'enseignant vaudois incriminé, l'enquête étant en cours.
Le mythe de l'employé public indéboulonnable, c'est terminé. L'Etat réagit plus vite. Dans la pratique, je trouve qu'il a même plutôt tendance à surréagir qu'à sous-réagir
Selon lui, il n'existe pas d'impunité et de surprotection pour les employés de l'Etat. "Le mythe de l'employé public indéboulonnable, c'est terminé. L'Etat réagit plus vite. Dans la pratique, je trouve qu'il a même plutôt tendance à surréagir qu'à sous-réagir", observe Philippe Ehrenström, qui parle même d'évolution très nette dans ce sens. "C'est assez peu vraisemblable de dire que l'Etat mettrait les choses sous le tapis".
Il indique également ne pas avoir constaté davantage de transferts que de suspensions. "C'est vraiment une décision d'opportunité [...], une évaluation fine des choses. Si l'autorité estime que la personne a la possibilité de continuer à travailler, le transfert peut être une solution adéquate", note-t-il.
S'il dit naturellement comprendre le sentiment des parents d'élèves scandalisés qu'un enseignant problématique puisse se retrouver à nouveau face à des élèves, l'avocat souligne que l'autorité, "prise entre deux feux", a aussi le devoir d'investiguer sérieusement et d'établir les faits avant de prendre une décision.
Interviewé lui dans le 19h30 de la RTS, l'avocat David Raedler, également spécialisé dans le droit du travail, a livré une analyse un peu différente. "Par principe, on va toujours appliquer la mesure la plus proportionnée. Pour choisir entre mutation et suspension, il faut voir quelle est la nature des faits", a-t-il pointé.
"S'ils sont uniquement propres au lieu de travail, la mutation est une bonne solution. Mais si c'est la personne qui pose problème, alors il ne faut pas muter; c'est la suspension qui se justifie", défend-il.
Le syndicat des enseignants romands partisan d'une suspension
Pour le président du syndicat des enseignants romands David Rey, "il faut idéalement, le temps de l'enquête, que l'enseignant soit suspendu" dans les cas où une procédure pénale est en cours. "On se doit quand même de préserver la profession et le reste des enseignants, avec des mesures strictes", a-t-il estimé dans le 19h30.
Il a également pointé les conséquences du fédéralisme, qui peut faire varier la pratique en fonction du canton dans lequel une affaire se déclare. "Ca peut poser quelque fois des problèmes d'harmonisation", constate-t-il.