Dès le printemps prochain, le nouvel hôpital des enfants (NHE) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) accueillera ses premiers patients dans un écrin flambant neuf, en plein cœur de la cité hospitalière. Ce projet à 200 millions de francs rassemblera des activités actuellement réparties sur deux sites, l'un d'eux étant l'actuel hôpital pédiatrique de Montétan, un établissement vétuste, situé à quelques kilomètres du CHUV.
Le déménagement en perspective en avait réjoui plus d'un, au sein même du centre hospitalier mais aussi à l'externe. Le NHE proposera ce qui se fait de mieux en matière de prise en charge d'enfants malades: "Un environnement plus fonctionnel, moderne et chaleureux, capable de répondre aux missions actuelles et futures de la médecine pédiatrique", peut-on lire sur le site du CHUV.
Sur le plateau du 19h30 de la RTS, la conseillère d'Etat vaudoise chargée de la Santé Rebecca Ruiz parlait le 1er décembre d'un "projet majeur pour les enfants et les familles du canton".
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Des coûts d’exploitation en forte hausse et non couverts
Mais une ombre plane au-dessus de ce projet stratégique. D'ici à 2026, le nouvel établissement générera des charges supplémentaires de l'ordre de 25 millions de francs, selon une estimation faite en 2022 par le CHUV et rendue publique en octobre dernier, lors de la présentation du plan d'économie du centre hospitalier.
Des coûts d'exploitation qui dépassent largement ceux qui avaient été esquissés en 2013 lors des débats au Grand Conseil pour la construction du NHE. De quoi susciter aujourd'hui un certain malaise parmi les députés vaudois de droite comme de gauche (voir encadré ci-dessous).
Ce nouveau montant comprend principalement des coûts en personnel: au niveau clinique (infirmier, médecin), logistique (nettoyage, restauration, blanchisserie) et administratif (accueil). "Il y a une partie de ces 25 millions qui seront pérennes, à savoir les emplois, puis une partie sera plutôt ponctuelle avec l'achat de matériel et d'équipement", a précisé à la RTS Emmanuel Bourquin, le directeur administratif et financier du CHUV.
Mais le problème aujourd'hui, vu la santé financière fragile du CHUV, c'est qu'une partie de ces charges supplémentaires ne sont tout simplement pas couvertes. Un constat inquiétant aggravé par le fait qu'en Suisse, l'activité pédiatrique est déficitaire dans tous les hôpitaux. La situation financière à venir du NHE pourrait donc plomber les comptes généraux du CHUV.
Une double stratégie face au risque d’un déficit majeur
Pour éviter ce scénario du pire, le CHUV a d'abord choisi de repasser par la case du Grand Conseil, et ce pour obtenir des fonds supplémentaires: 6 millions de francs cette année, 12 millions pour l'année prochaine (un montant qui doit encore être voté par le Grand Conseil). Au total, 18 millions de francs serviront à recruter du personnel et permettront donc au NHE d'ouvrir ses portes le printemps prochain.
Mais comme cela ne sera pas suffisant, le CHUV cherche maintenant à réduire au maximum les coûts d'exploitation de son nouvel écrin. Sans pour autant toucher à la qualité et à la sécurité des soins.
"Premièrement, nous avons regardé avec le personnel clinique si nous pouvions réduire certaines activités, idem du côté de la logistique, cela a été fait", a expliqué à la RTS Emmanuel Bourquin, le directeur financier et administratif du CHUV. "Nous avons aussi prévu de réallouer temporairement certains espaces du nouvel hôpital pour des activités stratégiques, afin de maximiser l'efficacité des nouvelles infrastructures."
Comprenez par là, utiliser des espaces du NHE pour des activités plus lucratives hors pédiatrie. Cela étant, la direction du CHUV espère aussi générer quelques recettes supplémentaires au niveau de certaines activités pédiatriques (IRM, radiologie, urgences).
Marc Menichini, Pôle enquête de la RTS
Le personnel du CHUV déçu
Contactées par la RTS, plusieurs personnes à l'interne du CHUV se disent déçues par cette situation. Si elles se réjouissent d’aller travailler dans une nouvelle infrastructure, elles déplorent toutes le plan d’économie actuel.
Dans un contexte de sous-effectif chronique et de surcharge de travail, les employés que nous avons contactés relèvent certaines améliorations à venir, mais regrettent que certaines de leurs demandes aient été écartées faute de moyens.
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Exemple particulièrement parlant: le bloc opératoire de l'actuel hôpital de l'enfance ne fonctionne pas 24 heures sur 24. Pour les urgences, la nuit et les week-ends, un enfant doit être transféré au bloc central du CHUV. Une situation qui – même si les distances seront moins grandes – va donc perdurer pour "ne pas augmenter les coûts d'exploitation du nouvel hôpital", a indiqué la direction du CHUV à la RTS.
Un surcoût identifié sur le tard
Les coûts d'exploitation à venir du NHE dépassent largement ceux qui avaient été esquissés en 2013 au moment des débats sur la construction de ce bâtiment. De quoi susciter aujourd'hui un malaise parmi les députés vaudois de droite comme de gauche.
"Tout ceci est gênant, d'autant plus qu'à l'époque, on nous avait plutôt parlé d'économies par rapport à ce nouvel hôpital", a critiqué Alexandre Berthoud, député PLR au Grand Conseil. "J'aurais souhaité qu'à l'époque, on nous ait clairement communiqué combien cela allait coûter et pas qu'on l'apprenne par surprise et sans avoir de choix."
Un sentiment que partage le député Vert Kilian Duggan, vice-président de la commission des finances. "Il est clair que cela est toujours dérangeant de découvrir sur le tard qu'une planification financière n'a pas été faite. Après, il faut revenir à la genèse de ce projet qui a plus d'une dizaine d'années. Il a été mis en place lorsque les caisses de l'Etat étaient pleines, il y avait une certaine politique du 'on construit et on regardera ce que ça coûtera'. Mais la réalité financière ayant passablement évolué ces 4-5 dernières années, c'est clairement une situation que l'on ne peut plus admettre aujourd'hui."
Avoir un premier budget déficitaire pour une nouvelle infrastructure hospitalière, ce n'est pas vraiment une surprise
De son côté, le chef du groupe socialiste au Grand Conseil vaudois Sébastien Cala se veut optimiste: "Ce nouvel hôpital est un superbe outil qui va sérieusement renforcer les soins pédiatriques vaudois et globalement romands. Avoir un premier budget déficitaire pour une nouvelle infrastructure hospitalière, ce n'est pas vraiment une surprise. Il faut que la population s'approprie le nouvel hôpital, et que les processus se mettent en place. Il faut laisser le temps à l'hôpital des enfants de trouver son rythme de croisière. Et ça ne va pas se faire du jour au lendemain. Ça va prendre probablement quelques années."
La direction du CHUV tout comme le Département vaudois de la santé (DSAS) se défend de toute erreur ou cachotterie. Ils ont indiqué à la RTS que les analyses de l'époque ne couvraient pas les coûts globaux d'exploitation du bâtiment.
De plus, "les changements de standards dans la qualité et la sécurité des soins, les changements en termes de financements (tarifs) et la réalité financière actuelle, notamment avec l'inflation, impactent directement les estimations financières faites à l'époque", a précisé le DSAS. "Mais à l'avenir, les projets présentés au Grand Conseil en lien avec des constructions du CHUV devront intégrer davantage de précisions sur les coûts d'exploitation, afin de les anticiper au mieux et au plus juste".