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Une affaire de dons sème la pagaille au Département d’oncologie du CHUV

Le CHUV encore dans la tourmente, trois patients auraient payé de leur poche leur traitement en oncologie
Une affaire de dons agite le service d’oncologie du CHUV / La Matinale / 3 min. / le 17 septembre 2024
Comme l’a appris la RTS, une enquête externe doit faire la lumière sur les raisons qui ont motivé trois patients à donner des centaines de milliers de francs au Département d'oncologie du CHUV, en faveur de thérapies contre le cancer, dont ils ont eux-mêmes ou leurs proches pu bénéficier.

C’est une affaire qui occupe depuis des mois la direction générale du CHUV et le Département vaudois de la santé (DSAS). Une affaire qui mêle enjeux éthiques et juridiques, des enjeux de réputation aussi. Elle est maintenant entre les mains de l’ancien procureur du canton de Vaud Eric Cottier et de la professeure d’éthique médicale Samia Hurst, de l’Université de Genève.

Comme l’a confirmé le DSAS à la RTS, ils ont été mandatés par le Canton "suite à un signalement parvenu à la connaissance de la direction du CHUV qui interroge des situations de patients ayant bénéficié de thérapies expérimentales individuelles, compassionnelles". La conseillère d’Etat chargée du DSAS Rebecca Ruiz l’avait brièvement évoqué dans les colonnes de 24 Heures mardi dernier.

Des dons de 200'000 à 600'000 francs

L'enquête de la RTS permet aujourd’hui de remonter aux origines de cette affaire. Il est question de trois patients qui, à titre exceptionnel, ont pu accéder entre 2019 et 2021 à ce qu’on appelle une thérapie individuelle expérimentale, et ce pour tenter de soigner leurs cancers. Selon nos informations, ces traitements ont été validés par l’autorité fédérale compétente en la matière, Swissmedic, et par la commission cantonale d’éthique.

Il est préférable de ne pas coupler l’accès aux traitements à des dons car cela correspondrait à s’acheter un traitement avec un don, ce qui n’est pas cohérent avec les règles du système de santé suisse."

Un responsable éthique du CHUV

Le problème se situe au niveau du financement de ces traitements individuels. Suite à une alerte lancée à l’interne du Département d’oncologie du CHUV, la direction de l’hôpital a mandaté en mai dernier son service d’audit pour savoir si ces trois patients ont payé leur thérapie de leur poche. Car l’une des personnes malades et les proches des deux autres ont versé des dons importants en faveur précisément de la recherche dont ils ont bénéficié. Des dons compris entre 200'000 et 600'000 francs, selon le rapport d’audit interne que la RTS a pu consulter.

La temporalité des dons interpelle

Les enquêteurs sont interpellés, entre autres, par un point. Le versement ou la promesse du versement des dons sont intervenus avant la première injection du traitement expérimental. Une temporalité qui, au regard de la loi relative à la recherche sur l’être humain, est problématique. Son article 14 consacre le principe de la gratuité de toute participation à une recherche médicale ou un essai clinique.

Dans leur rapport confidentiel daté de juin dernier, les enquêteurs citent aussi un avis du responsable éthique du CHUV, qui leur aurait dit: "Il est préférable de ne pas coupler l’accès aux traitements à des dons car cela correspondrait à s’acheter un traitement avec un don, ce qui n’est pas cohérent avec les règles du système de santé suisse."

 Seul l’intérêt et la situation clinique des patients ont été pris en considération

L'un des avocats des professeurs

L’audit n’en dit pas davantage sur les finalités exactes et l’usage précis des dons, mais il estime que des principes éthiques n’ont pas été respectés et pointe du doigt deux professeurs du Département d’oncologie. Des éminents spécialistes de la thérapie cellulaire à qui il est reproché d’avoir eu connaissance de cette temporalité problématique.

Un audit contesté

Contactés par la RTS, les deux professeurs n'ont pas répondu, secret de fonction oblige. Ni le DSAS, ni le CHUV n’ont voulu confirmer les reproches retenus contre leurs collaborateurs. Tout au plus, ils précisent dans un mail qu’il n’y a "pas eu d’enrichissement personnel".

Mais une chose est sûre, les deux chercheurs ont vigoureusement contesté les conclusions de l’audit. Leurs avocats nous l’ont confirmé. L’un d’eux a précisé: "Notre client conteste intégralement, tant sur le fond que sur la forme, l’audit interne commandé par la direction du CHUV. Seuls l’intérêt et la situation clinique des patients ont été pris en considération, à la demande et avec la collaboration étroite de médecins traitants et des experts multidisciplinaires, pour entreprendre une thérapie cellulaire expérimentale, la décision ayant toujours été prise dans le plus strict respect des règles légales, déontologiques et éthiques."

Plus précisément, d’après nos informations, les deux chercheurs ont catégoriquement nié avoir demandé de l'argent aux patients. Fort de nombreuses preuves et documents officiels, ils ont aussi indiqué ne jamais avoir été responsables de la gestion des donations, tâche qui est, selon eux, du ressort avant tout de la fondation philanthropique du CHUV et de la direction administrative et financière de l’hôpital.

L’affaire aurait peut-être pu en rester là, mais le DSAS en a décidé autrement en ouvrant une enquête externe confiée à Eric Cottier et Samia Hurst. Ces derniers vont maintenant passer au peigne fin de nombreux flux financiers, clarifier les règles en vigueur, notamment en matière de don, évaluer le rôle des uns et des autres, mais aussi constater d’éventuels manquements et donc des responsabilités. Un des deux professeurs n’est toutefois pas concerné par cette deuxième enquête.

Marc Menichini/boi

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La sécurité des patients garantie

Comme l’ont relevé avec insistance le CHUV et le DSAS, cette affaire ne concerne en aucune façon les soins prodigués aux personnes souffrant d’un cancer. Leur sécurité a toujours été et demeure garantie.