Modifié

Cancer en rémission: reprendre sa vie... mais quelle vie?

Il existe des outils pour mieux vivre avec une maladie chronique.
ridofranz
Depositphotos [ridofranz]
Cancer en rémission: reprendre sa vie... mais quelle vie? / Dingue / 33 min. / le 14 octobre 2024
Un homme sur cinq et une femme sur six développeront un cancer au cours de leur vie. Après des traitements souvent lourds et invasifs, environ deux tiers des patients atteignent une phase de rémission, ce que l’on souhaite à toute personne atteinte du cancer. Pourtant, de manière contre-intuitive, c'est souvent la période la plus délicate psychologiquement.

Interrogée dans le podcast "Dingue", Ghizlaine a raconté le profond décalage qu'elle a ressenti à l’annonce de la fin de sa thérapie contre un cancer du sein. Pendant neuf mois, elle a suivi des traitements intensifs.

"Tout le monde me dit: 'tes cheveux ont repoussé, c'est bon, c'est derrière toi, reprends ta vie!' Mais en fait, je la reprends où, ma vie? Je reprends quoi ? C’est comme si j'étais restée coincée sur cette planète Cancer", témoigne-t-elle. Certains souvenirs des traitements revenaient sans cesse. "Des souvenirs pénibles, comme des réminiscences. Comme si je n'avais pas compris quelque chose".

Une situation fréquente

La psychiatre Olivia Laurent, spécialisée en psycho-oncologie, estime qu’environ 50% des personnes ayant subi un traitement lourd développent des troubles psychologiques qui nécessitent un accompagnement spécifique.

"Souvent, le patient traverse les soins de manière presque passive, en mode pilote automatique, et un trop-plein s’accumule", explique-t-elle. Généralement, les émotions sont mises de côté. Ghizlaine le confirme: "J’étais tellement prise par le traitement que c'est comme si mon cerveau avait switché. Je me suis mise en mode combative et j'ai mis de côté toutes mes peurs".

Accompagnement post-traumatique

Ghizlaine n’a pas immédiatement trouvé l’aide psychologique dont elle avait besoin. "Là où je suivais mes traitements, on m’a dit: 'il y a une seule psycho-oncologue et elle est overbookée'". Elle a finalement trouvé un soutien adéquat, notamment un traitement pour ses réminiscences pénibles liées au stress post-traumatique via une thérapie dite EMDR, qui utilise des mouvements oculaires pour aider les personnes à surmonter des souvenirs traumatiques.

"Au fur et à mesure, je n'avais plus ces réminiscences, et c'était comme un accélérateur d'acceptation", analyse-t-elle. L’acceptation de sa maladie et de sa situation est une clé en psycho-oncologie, mais comme le souligne Olivia Laurent, "ce n'est pas confortable d'accepter d'être vulnérable, de perdre le contrôle, de vivre l'impuissance".

Rétablissement

Le rétablissement de Ghizlaine a été soutenu par différentes expériences en plus de la thérapie EMDR. "Un groupe de parole de la Ligue genevoise contre le cancer, dédié aux jeunes patients, m'a beaucoup aidée. Je ne me sentais plus seule. Et pouvoir parler, avec des gens qui le comprennent, de ce décalage que l’on ressent à la fin des traitements, ça a été vraiment bénéfique", se félicite-t-elle.

Ghizlaine s'est également engagée dans une association. "J'étais en colère, parce que maintenant, le cancer du sein touche aussi des jeunes de moins de 40 ans. Pourtant, quand j'ai consulté mes radiologues, ils m'ont dit que ce n'était rien, juste un kyste. J'ai perdu trois mois durant lesquels le cancer s’est propagé. Grâce à l’Association savoir patient (ASAP), j'ai pu transformer cette colère en action".

>> Lire à ce sujet : La détection du cancer du sein chez les femmes de moins de 50 ans est souvent tardive

Déconstruire le mythe de la force mentale

Dans la lutte contre le cancer, l’injonction à rester positif impose souvent une pression supplémentaire. Ghizlaine explique à quel point cette attente peut être angoissante. "Dans l'imaginaire collectif, il faut rester mentalement fort. Cela représenterait 50% du travail, mais c'est beaucoup demander à ce pauvre mental", objecte-t-elle. Olivia Laurent partage cette analyse et observe que ces injonctions épuisent les patients. "C’est très culpabilisant", note-t-elle aussi.

Au terme de son parcours éprouvant contre le cancer, Ghizlaine ne voit pas sa rémission comme un retour à la normale, mais plutôt comme une ascension vers un sommet. "J'ai souvent eu l'image d'une montagne que je gravissais. J'ai choisi le Toubkal, parce que je suis d'origine marocaine. Mais en fait, pas besoin de courir ni de rester toujours positive. L'important, c'est d'avoir un entourage qui nous aide. C'est un travail d'équipe. Parfois, on se met sur un mulet, parfois sur une brouette, parfois on marche. L'important, c'est d'y arriver".

>> Ecouter aussi l'épisode du Point J consacré à "Octobre rose", le mois de sensibilisation au cancer du sein :

Ça change quoi Octobre rose? [Pexels /Anna Shvets]Pexels /Anna Shvets
Ça change quoi Octobre rose ? / Le Point J / 11 min. / le 10 octobre 2024

Adrien Zerbini/vic

Publié Modifié