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Les projets pour changer le climat et filtrer le CO2 ne font pas l'unanimité

Les ingénieurs au secours du climat
Les ingénieurs au secours du climat / 19h30 / 2 min. / le 15 décembre 2018
Stocker le CO2 sous terre, fabriquer des parasols spatiaux ou la fertilisation des océans. Les projets de géo-ingénierie se multiplient à l'échelle planétaire pour contrer le changement climatique. Mais ils ne font pas tous l'unanimité.

Le CO2 est le moteur principal du réchauffement de la planète. Il faut donc réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais l'effort, même drastique, ne suffirait pas pour respecter l'Accord de Paris, qui fixe à 2°C la limite du réchauffement climatique à ne pas dépasser. Selon le rapport du GIEC, il faudrait en plus éliminer 12 gigatonnes de CO2 par an à l'échelle mondiale.

Des "solutions" pour refroidir la planète sont évoquées depuis plus d'un demi-siècle et des ingénieurs planchent sur différentes technologies. Longtemps considérées comme des méthodes d'apprentis sorciers par la communauté scientifique, les techniques de géo-ingénierie ont eu du mal à être lancées à grande échelle.

Ces projets sont soutenus par les lobbies économiques. Leurs opposants craignent que ces solutions mettent un frein à la politique climatique, empêchant des changements fondamentaux nécessaires comme le développement d'alternatives durables.

Les mesures "correctives" ne peuvent plus être exclues

Face à l'urgence de limiter le réchauffement climatique, l'organisation des Académies suisses des sciences a estimé, dans son rapport de novembre dernier, que les techniques visant à éliminer ultérieurement les émissions de CO2 de l'atmosphère "ne peuvent pas être exclues des discussions sur la limitation du changement climatique".

Les experts notent par ailleurs que ces techniques "correctives" de géo-ingénierie peuvent s'avérer moins coûteuses que certaines mesures de réduction des émissions.

Mais de quelles mesures parle-t-on exactement?

Intervenir à la source

Parmi les concepts les plus avancés, celui d'intervenir à la source de l'émission de CO2, par exemple dans les centrales électriques. Le gaz carbonique émis par l'industrie est alors injecté sous terre, à plus de 800 mètres de profondeur dans une couche poreuse.

Système de capture et de stockage du CO2 dans le sol. [RTS]
Système de capture et de stockage du CO2 dans le sol. [RTS]

Le professeur de l'EPFL Lyesse Laloui tente d'identifier des sites de séquestration possibles en Suisse. "Des études préliminaires démontrent que la Suisse dispose de sites géologiques sur le plateau suisse permettant de séquestrer des volumes de l'ordre de 2,7 gigatonnes de CO2, soit l'équivalent de 60 ans d'émissions en Suisse", explique-t-il au 19h30 de la RTS. Reste à trouver un site précis et à la Confédération de mettre en place un système qui permette de réaliser ce type de gros oeuvre.

Dans le reste du monde, en revanche, ces projets avancent. Selon Lyesse Laloui, on compterait déjà 18 grands ouvrages de séquestration de CO2 dans le monde. Un grand ouvrage représente plus d'un million de tonnes de CO2 piégé. En comptant les plus petits, un total de 37 millions de tonnes de CO2 sont séquestrées annuellement, soit l'équivalent de toutes les émissions émises par la Suisse chaque année.

Cette technologie est déjà bien avancée, contrairement à d'autres concepts de la géo-ingéniérie qui n'ont pas encore été évalués à grandes échelle.

De l'élimination du CO2 à la chasse au rayons du soleil

D'autres projets sont proposés depuis des décennies pour éliminer le CO2 en piégeant le dioxyde de carbone directement dans l'air. Une idée serait de créer ou d'augmenter la biomasse, comme des arbres et des algues, qui consomment du CO2 pour leur photosynthèse.

Les Académies suisses des sciences montrent toutefois les limites de cette dernière solution, qui semble la plus naturelle à première vue. Le boisement à grande échelle se heurte à la gestion de l'espace, car il nécessite une surface suffisamment grande, qui entre en concurrence avec d'autres utilisations, comme la production alimentaire, notamment. Quant à la fertilisation des océans pour augmenter la quantité de phytoplanctons absorbant le CO2, il faudrait attendre des années voire des décennies pour commencer à observer des effets.

Outre les tentatives pour éliminer le CO2, les ingénieurs planchent également sur des solutions pour refroidir la terre en chassant les rayons du Soleil. Avec des particules réfléchissantes, des miroirs dans l'espace et des villes peintes en blanc, par exemple.

Ces dernières solutions pourraient certes apporter un petit "soulagement à court terme" pour ce qui est du réchauffement climatique, estime la communauté scientifique. Mais elles ne prennent pas en compte la concentration croissantes de gaz à effet de serre, ni les conséquences qui ne sont pas liées à la température, comme l'acidification des mers.

Risques élevés et méfiances scientifiques

L'ensemble de ces idées ne fait pas l'unanimité. Dominique Bourg fait partie des fervents opposants à cette "manipulation à grande échelle". Ce philosophe à la Faculté des géosciences et de l'environnement à l'Université de Lausanne (UNIL) déplore les risques liés aux effets secondaires inconnus: "On va miser sur un effet immédiat. Mais il peut y avoir des effets à plus long terme, qu'on ne peut absolument pas connaître au début et qui peuvent être plus dommageables que les dangers qu'on a essayé d'éviter. C'est cela tout le problème de la géo-ingénierie."

Les Académies suisses des sciences reconnaissent également que les connaissances techniques de ces mesures font encore défaut. "Les risques élevés, souvent difficiles à évaluer et les nombreux effets secondaires indésirables possibles constituent un obstacle majeur à l'utilisation des techniques d'éliminations du CO2 et surtout celles de la limitation du rayonnement solaire", écrivent-ils.

Feriel Mestiri et Aurélie Coulon

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