Un appareil de communication devenu prothèse de l'être humain. Dans son essai intitulé "Le troisième cerveau" paru à l'automne dernier, le chercheur français Pierre-Marc de Biasi cherche à comprendre comment le smartphone a modifié nos habitudes et notre vision du monde.
Jusqu'à faire partie intégrante de son utilisateur. On lui confie les détails de sa vie, les numéros de ses proches et ses souvenirs sous forme de photos. "Si vous interrogez des jeunes, cela ne les étonnerait pas du tout que dans les vingt années qui viennent, le smartphone soit greffé et introduit dans le corps", raconte dans le 12h45 celui qui est également spécialiste de littérature.
Aujourd'hui déjà, nombreux sont ceux qui ont du mal à se passer du précieux appareil. Un Suisse sur deux estime être trop souvent sur son téléphone portable, selon une enquête de la société d'audit Deloitte. Et 23% affirment avoir constamment besoin de consulter leur téléphone.
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"Une pulvérisation de l'attention"
Dans son ouvrage, Pierre-Marc de Biasi alerte notamment contre l'illusion de pouvoir faire plusieurs activités simultanément grâce au téléphone portable. A l'image de l'ordinateur, le cerveau humain deviendrait multitâche. Une illusion entretenue par l'appareil lui-même.
"C'est le smartphone qui incite à cela en sollicitant son utilisateur de toutes parts sur des sujets différents", rappelle le chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). En moyenne, un usager consulte son téléphone 84 fois par jour, selon une étude universitaire autrichienne.
Des pratiques qui favorisent le déficit d'attention. "Le temps de concentration sur un sujet a diminué jusqu'à 15-20 secondes", précise Pierre-Marc de Biasi. "Dès la 20e seconde, l'usager est sollicité par une autre notification. Et au bout du compte, on se retrouve avec une pulvérisation de l'attention."
Vers une "amnésie numérique"
Autre concept développé par le médiologue, spécialiste de la transmission entre technique et culture, l'amnésie numérique. A force de déléguer son vécu à l'appareil, on perd l'habitude de mémoriser les informations.
"L'archive d'une photo se substitue ainsi à l'événement lui-même. Une fois que l'utilisateur a cadré et cliqué, c'est cela qu'il a vécu", souligne Pierre-Marc de Biasi.
Plutôt que cerveau de substitution, le chercheur appelle à considérer le smartphone comme un enfant numérique. "Actuellement, nous sommes les enfants de cet objet, il nous conduit par le bout du nez." Alors qu'il faudrait plutôt le traiter comme un gamin à éduquer.
Reportage et interview: Fanny Moille
Adaptation web: Tamara Muncanovic
Des efforts moindres pour consolider notre mémoire
Avec l'apparition du smartphone, "nous faisons moins d'efforts pour consolider notre mémoire", constate Virginie Sterpenich, chercheuse en neurosciences, interrogée dans le 19h30.
"Ce qu'il faut faire, c'est s'habituer à trouver les chemins pour mémoriser, être attentif à une chose à la fois", relève-t-elle, précisant que "la clé, c'est de varier ce que l'on fait, nous n'avons pas un seul type de mémoire, il y a la mémoire déclarative, la mémoire procédurale, la mémoire motrice, la mémoire spatiale. Ce qui est important est de varier, par exemple faire des mots croisés, se promener dans la rue... sans oublier faire du sport et dormir suffisamment".