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Une double invasion en Australie fait craindre "l'apocalypse des méduses"

Une méduse sur la plage de Surfer's Paradise dans le Queensland, en Australie. [Keystone - Queensland Ambulance Service]
Les invasions méduses touchent de plus en plus l'écosystème marin / Tout un monde / 7 min. / le 17 janvier 2019
Une invasion de méduses bleues et Irukandji sur les côtes australiennes ravive la crainte d'une "apocalypse de méduses", terme utilisé pour désigner ce moment où il n'y aura plus que ces animaux dans les océans.

Depuis début décembre, quelque 25'000 vacanciers ont été piqués par des méduses bleues dans le Queensland australien, un chiffre deux à trois fois plus élevé que l'été dernier, selon les estimations locales. De même, vingt piqûres de méduses Irukandji - pas plus grande qu'une pièce de deux francs et parfois mortelles puisqu'elles peuvent provoquer des hémorragies cérébrales - ont été recensées. C'est le double de la moyenne annuelle.

Pour expliquer cette hausse, la spécialiste Lisa-Ann Gershwin évoque non seulement le réchauffement climatique qui accélère le métabolisme des méduses, mais également la surpêche, notamment du thon. Débarrassées de leurs prédateurs, les méduses prospèrent.

Cette invasion contraint les autorités du Queensland à fréquemment fermer les plages, ce qui crée une menace sur l'industrie touristique et les 9 milliards de francs qu'elle génère chaque année. Mais au-delà des considérations économiques, elle ravive les craintes sur "l'apocalypse des méduses".

Installation durable

L'Australie n'est en effet pas le seul pays touché. Royaume-Uni, France, Japon, Etats-Unis, Israël ou encore Namibie ont également enregistré des augmentations.

La méduse Irukandji. [Keystone - AP/Brian Cassey]
La méduse Irukandji. [Keystone - AP/Brian Cassey]

"Ce qu'on observe de plus en plus c'est une installation durable des méduses dans les écosystèmes marins. Au lieu d'être là une quinzaine de jours, elles restent parfois de manière permanente, par exemple en Namibie. Elles envahissent l'écosystème marin", note jeudi dans Tout un monde Philippe Cury, spécialiste des écosystèmes marins, directeur de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement.

Le danger du chalutage

En plus du réchauffement climatique et de la surexploitation, Philippe Cury évoque le problème du chalutage. "Le chalutage rabote le fond des océans et supprime toute la biodiversité, ce qui favorise la multiplication des méduses. C'est une sorte de cocktail fantastique, température, surexploitation des autres espèces prédatrices et chalutage."

Au-delà des problèmes de santé et des risques pour le tourisme, la prolifération de ces animaux gélatineux a des impacts sur ceux qui vivent de la mer. Les méduses peuvent se coincer par exemple dans les entrées de refroidissement des usines électriques ou des grands navires. "En Namibie, quand vous pêchez, il y a deux fois et demie plus de méduses que de poissons, il y a donc un impact direct sur la pêche", ajoute Philippe Cury.

Disparition des oiseaux

Autre impact, les oiseaux meurent de faim. "En Namibie, 90% des oiseaux, des fous du Cap, ou encore des manchots ont disparu, faute de nourriture. Sitôt installée, la méduse mange à son tour tous les oeufs et larves des petits poissons et les oiseaux n'ont plus rien à manger. C'est un bouleversement écosystémique et de fonctionnement du milieu marin", s'inquiète le spécialiste.

Alors que faire? Les Chinois installent sur la coque de leurs navires militaires des sortes de hachoirs à méduses pour les réduire en bouillie avant qu'elle ne se coincent dans les machines. Mais pour Philippe Cury, il y a une solution plus globale: "La variable sur laquelle on peut agir, c'est la bonne gestion des ressources marines. Bien préserver une abondance suffisante dans les océans des poissons prédateurs de méduses et limiter le chalutage. Sur le changement climatique, on pourra peut-être faire des choses mais à plus long terme."

Quoi qu'il en soit, il est nécessaire d'agir pour éviter "l'apocalypse des méduses". Sinon le monde devra se préparer à faire face à cette invasion silencieuse.

Reportage en Australie: Caroline Lafargue

Sujet radio: Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Victorien Kissling

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