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Blindées, isolées, des maisons se rêvent en havres pour électrosensibles

Les personnes électrohypersensibles - qui souffrent de symptômes en présence de champs ou d'ondes électromagnétiques - sont entravées sévèrement dans leur quotidien. Un projet fribourgeois veut leur offrir un habitat protégé.

Avec l'arrivée de la technologie ultra-rapide pour la téléphonie mobile 5G en Suisse, de nombreuses personnes atteintes d'électrohypersensibilité (EHS) se demandent où elles pourront survivre. Ces personnes, à l'instar du Bernois Sosthène Berger (lire encadré), présentent une intolérance aux champs et ondes électromagnétiques émis par les technologies sans fil, comme les antennes-relais, les ordinateurs ou téléphones portables, les réseaux wi-fi, etc.

Pensé pour elles, un projet innovant se dessine dans le canton de Fribourg. Trois immeubles - 27 logements - destinés à protéger leurs occupants des rayonnements extérieurs sont actuellement mis à l'enquête à Schmitten dans le district de la Singine.

Se protéger, bientôt une norme?

"Leur enveloppe extérieure sera blindée - avec aluminium et graphite en façade. A l'intérieur, une peinture isolante et un revêtement de sol isolera les différents logements pour empêcher que le wi-fi passe d'un appartement à l'autre", explique Gédéon Abebe, architecte du bureau Aaag qui élabore ce projet.

Ce type de construction pourrait à l'avenir se généraliser avec l'apparition de la 5G, estime l'architecte. "Protéger les locataires des rayonnements deviendra une norme."

800'000 personnes concernées

Selon les associations de défense des personnes électrohypersensibles, il y aurait en Suisse 800'000 personnes concernées, un nombre qui a impressionné le promoteur du projet.

"Quand l'architecte m'a présenté son idée, j'ai été surpris par le nombre de personnes concernées par ce problème", confirme Alain Deschenaux, directeur du groupe Nordmann Fribourg. Ce qui se présente actuellement comme une niche pourrait devenir un marché prometteur pour l'ensemble des constructions de demain, à en croire le promoteur. "C'est l'occasion de tester aujourd'hui une construction différente sur une de nos opérations immobilières", indique-t-il.

Coûts plus élevés

Le coût de construction de ces immeubles protégés est environ 10% plus élevé que pour une construction traditionnelle, en raison notamment des matériaux utilisés. Il faut également démagnétiser les dalles en béton, adapter l'électricité, les sanitaires et le chauffage.

Sans surprise, les loyers des appartements seront également un peu plus élevés. Un prix qui reste néanmoins modeste, en échange d'une situation nettement améliorée pour les personnes souffrant d'EHS, estime Alain Deschenaux.

En Suisse, il n'existe pour l'heure qu'un seul exemple de ce type, un bâtiment zurichois qui accueille depuis 2013 des personnes atteintes de ce trouble, ainsi que d'intolérance aux produits chimiques.

5G attendue fin 2019

L'avènement de la 5G est attendue à la fin de l'année en Suisse, si l'on en croit les trois opérateurs Swisscom, Salt et Sunrise qui ont obtenu les fréquences.

>> Lire aussi : Les fréquences 5G ont été attribuées à Swisscom, Salt et Sunrise

Cette technologie est toutefois encore controversée. En septembre 2017, 170 scientifiques (dont deux Suisses) ont signé une pétition recommandant un moratoire sur le développement de la 5G, en raison d'un risque potentiel pour la population.

Reportage: Maurice Doucas

Adaptation web: Katharina Kubicek

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Un quotidien mis à rude épreuve

Sosthène Berger, la cinquantaine, est électrosensible. L'ingénieur vit avec sa famille dans un immeuble à La Neuveville (BE). Sur les murs de son appartement, des couvertures de survie, métallisées à l'aluminium, permettent de blinder provisoirement son logement contre le réseau wi-fi des voisins ou contre une antenne relais. Son moulin à café - à l'ancienne, manuel - atteste également de l'incompatibilité entre appareils électroménagers et électrohypersensibilité.

Quels sont les effets ressentis lorsqu'un portable est allumé dans son entourage? "Sur le moment, je ne ressens rien. Les effets viennent avec une hystérèse (latence) de plusieurs dizaines d'heures, environ 42 heures. J'ai des maux de tête, des insomnies, je ressens de la fatigue ainsi que des bourdonnements dans les oreilles", explique-t-il.

Les "zones blanches" de plus en plus rares

Après l'apparition des premiers symptômes en 2011, et avoir consulté sept médecins qui ne lui seront d'aucune aide, Sosthène Berger se résigne à sortir "déguisé" - lunettes, cagoule et vêtements en fibre d’argent. Il doit également renoncer à une grande partie de sa vie sociale, devenue incompatible avec son intolérance aux milieux "saturés" d'ondes.

Dans son immeuble, chaque câble électrique a été blindé, tout comme les murs mitoyens contre l'électrosmog du voisinage. "Il faudrait davantage d'habitations à l'abri des ondes, sauf que les parcelles non irradiées deviennent de plus en plus rares, et situées dans des régions reculées", déplore le Bernois.

Une reconnaissance lente et difficile

S'il est devenu plus visible depuis quelques années, le phénomène de l'électrohypersensibilité peine toutefois à être reconnu, et soutenu par des aides étatiques. L’Office fédéral de la santé publique stipule qu’il n’existe pour l’instant "aucune base scientifique permettant de relier les symptômes de l’EHS à une exposition aux champs électromagnétiques". Il ne reconnaît donc pas cette maladie et les personnes concernées ne peuvent pas bénéficier de l’AI.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) se montre même plus circonspecte. Si elle reconnaît aux symptômes "une réalité certaine", "de gravité très variable", elle souligne néanmoins qu'il n'existe "ni critères diagnostiques clairs pour ce problème sanitaire, ni base scientifique permettant de relier les symptômes de l'électrohypersensibilité à une exposition aux champs électromagnétiques".

Plusieurs pays franchissent le pas

Selon elle, il existe aussi certains éléments indiquant que ces symptômes peuvent être dus "à des maladies psychiatriques préexistantes, ainsi qu'à des réactions de stress résultant de la crainte inspirée par les éventuels effets sur la santé des champs électromagnétiques, plutôt que de l'exposition aux champs elle-même".

Certains pays ont malgré tout reconnu l’électrosensibilité comme une maladie, à l'instar de l'Italie, de l'Australie, de l'Allemagne et de la France.