Les travaux des chercheurs, qui viennent d'être publiés dans la revue Science, mélangent linguistique, science du langage et paléoanthropologie. Ils renforcent l'idée que le langage n'est pas le simple produit aléatoire de l'histoire, mais qu'il est lié à des changements biologiques à partir du Néolithique (6000 à 2100 ans avant notre ère), époque de l'invention de l'agriculture et de la domestication des animaux.
Cette idée va à l'encontre d'une idée reçue qui veut que la sonorité des langues - ce qu'on appelle les phonèmes - est restée inchangée tout au long de l'histoire de l'humanité. La diversité des langues en la matière est extraordinaire, avec plus de 1000 sonorités différentes, mais on la pensait jusqu'ici indépendante des changements biologiques liés à notre espèce Homo Sapiens.
Evolution morphologique de la mâchoire
L'étude ébranle ce dogme en démontrant que la prolifération de sons comme "f" et "v", qui se retrouvent aujourd'hui dans 50% des langues du monde, est un phénomène récent dû à des changements morphologiques de notre mâchoire liés à notre régime alimentaire. Cela prouverait que notre langage est façonné par la biologie humaine.
Homo Sapiens, avant la période du Néolithique, usait ses dents rapidement pour mâcher les produits de sa chasse et de sa cueillette. Alors que les incisives supérieures des enfants recouvraient les inférieures, chez les adultes l'usure finissait par faire toucher les dents de devant comme en témoignent des crânes préhistoriques. Il était alors impossible de prononcer les consonnes labiodentales "f" ou "v", qui nécessitent l'action combinée de la lèvre inférieure et des dents supérieures.
Des consonnes plus faciles à prononcer
"Avec le développement de l'agriculture et de technologies comme la meule par exemple, les humains modernes ont conservé à l'âge adulte une occlusion dentaire de type juvénile où les incisives supérieures sont décalées vers l'extérieur de la bouche, la mâchoire inférieure étant légèrement en retrait" explique Paul Widmer, professeur de linguistique comparée au Centre de linguistique de lʹUniversité de Zurich, vendredi dans l'émission CQFD. "Et dans ces conditions, les consonnes labio-dentales sont prononcées plus facilement."
Une étude pour ouvrir le débat
"J'espère que notre étude déclenchera un débat sur le fait qu'au moins certains aspects du langage et de la parole doivent être traités comme les autres comportements humains complexes qui se situent entre biologie et culture", relève un autre coauteur de l'étude, Damian Blasi.
oang avec Sarah Dirren et l'afp