C'est une image que la communauté scientifique attendait depuis deux cents ans... Le résultat des observations a été publié dans The Astrophysical Journal Letters, le 10 avril.
Le concept du trou noir avait déjà été imaginé au XVIIIe siècle, puis validé par la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein au début du XXe siècle. Mais point d'image capturée par une lunette! Seulement des modélisations mathématiques, comme celle de l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet, en 1979.
Avant que le cliché ne soit dévoilé, Stéphane Paltani, astrophysicien à l'Observatoire de l'Université de Genève, expliquait à l'émission CQFD: "On s'attend à quelque chose d'assez extraordinaire. Imaginez que, il y a cent ans, une théorie – qui a été basée sur pratiquement aucun fait observationnel – prédit une image. Une image d'un objet complètement incroyable. L'image elle-même va être complètement incroyable: on avait aucune intuition de ce que cela donnait à cette époque. Et on va la voir confrontée, cette théorie vieille d'un siècle, à des observations... et je prédis que cela va coller complètement", s'enthousiasme le scientifique.
"C'est absolument spectaculaire sur le plan de la prouesse intellectuelle d'Albert Einstein", ajoute-t-il.
Au vu de ce que l'Event Horizon Telescope (EHT) livre ce mercredi, les images prédites étaient fantastiques d'exactitude et de réalisme. Tout comme ce que l'équipe du film Interstellar avait réussi à visualiser grâce à l'aide précieuse de Kip Thorne, l'un des co-lauréats du Prix Nobel de Physique en 2017.
Un télescope de la taille de la Terre
Cette image du trou noir situé dans la galaxie Messier 87 (M87), qualifiée d'historique, est le fruit de l'EHT, une collaboration internationale de radiotélescopes et d'observatoires.
En avril 2017, ces huit appareils répartis à travers le monde avaient ciblé simultanément deux trous noirs: Sagittarius A* (Sgr A*) au centre de la Voie Lactée – notre galaxie – et son congénère de la galaxie M87, qui se trouve à quelques 53,5 millions d'années lumières de nous. Avec un objectif: tenter d'obtenir une image de ces monstres spatiaux.
Grâce à ses multiples télescopes, l'EHT parvient à créer un télescope virtuel de la taille de la Terre, d'environ 10'000 kilomètres de diamètre. Pour ce faire, les radiotélescopes ont dû être synchronisés grâce à des horloges atomiques, afin que les données récoltées puissent être exploitées: cette technique se nomme interférométrie. C'est l'une des récentes avancées en matière de radio-astronomie: avec un intérêt certain, car plus un télescope est grand, plus il permet de voir de détails. La résolution de l'EHT est 2000 fois meilleure que celle de Hubble, pourtant une référence des observations astronomiques.
"Au lieu de construire un télescope gigantesque – qui risquerait de s'effondrer sous son propre poids – on combine plusieurs observatoires comme s'ils étaient des petits fragments d'un miroir géant", avait expliqué à l'AFP en 2017 Michael Bremer, astronome à l'Institut de radioastronomie millimétrique (Iram) et responsable des observations EHT aux télescopes en Europe.
Sagittarius A*, la première des deux cibles du projet, est situé à 26'000 années-lumière de la Terre. Sa masse est équivalente à 4 millions de fois celle du Soleil.
Son congénère de la galaxie M87 est "l'un des trous noirs connus les plus massifs, six milliards de fois plus que notre Soleil et 1500 fois plus que Sgr A*", précise l'EHT. Il est situé à 50 millions d'années-lumière de la Terre, "à proximité, à l'échelle cosmique, mais 2000 fois plus loin que Sgr A*", ajoutent les responsables de l'immense télescope.
Pour aller d'un bout à l'autre de M87*, les astrophysiciens ont précisé durant la conférence de presse qu'il faut voyager un jour et demi à la vitesse de la lumière. On peut également comparer sa taille à l'orbite de Pluton autour du Soleil.
Définir le pourtour d'un trou noir
Avec ces multiples observations, les astronomes cherchent à identifier l'environnement immédiat d'un trou noir. Un trou noir est un objet céleste qui possède une masse extrêmement importante dans un volume très petit. Comme si le soleil ne faisait plus que six kilomètres de diamètre ou si la Terre était comprimée dans un dé à coudre.
Ils sont tellement massifs qu'ils déforment énormément le tissu de l'espace-temps: rien ne s'en échappe. Ni la matière, ni la lumière, quelle que soit la longueur d'onde. Revers de la médaille: ils sont invisibles.
Selon la théorie, quand la matière est absorbée par le monstre, elle émet une lumière. Le projet EHT, capable de capter les ondes millimétriques émises par l'environnement du trou noir, avait pour but de définir le pourtour de l'objet céleste, pourtour baptisé l'horizon des évènements. C'est à cet endroit que restent en suspension, en quelque sorte, des gaz, des photons, des débris d'étoiles avalées... c'est cela qui est observable. Et nous en possédons désormais – c'est historique! – la première photographie.
Stéphanie Jaquet et les agences
De gros moyens mobilisés
Au total, six grandes conférences de presse se sont simultanément tenues dans le monde entier: en Belgique (Bruxelles), au Chili (Santiago), en Chine (Shanghai), au Japon (Tokyo), à Taipei (Taïwan) et aux États-Unis (Washington).