Née en 1957, Claudie Haigneré a été la première femme française dans l'espace. Alors que le monde célèbre les 50 ans du premier pas sur la Lune, l'astronaute s'exprime longuement dans un grand entretien accordé à la RTS, sur la vie dans l'espace, l'importance de la science spatiale ou les projets de villages lunaires.
L'astronaute Claudie Haigneré raconte la vie dans l'espace
Episode 1
Les sensations dans l'espace
"La sensation première, c’est effectivement de se retrouver en microgravité, avec un corps qui ne pèse plus rien et qui va utiliser les trois dimensions. On vit dans un volume et non plus sur une surface en mètres carrés. Il faut apprendre à réorganiser ses gestes, sa façon de se déplacer."
"C’est vraiment une sensation de liberté qui nous apporte beaucoup de plaisir mais qui, en tant que scientifique, nous interpelle: comment on s’adapte ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se transforme ? C’est tout le propos de la recherche dans les sciences du vivant, la physiologie."
Episode 2
La vie quotidienne dans l'espace
La cuisine:
"C’est du vite fait: dans des fours à micro-ondes ou de la réhydratation de nourritures lyophilisées. On nettoie quand même avec des serviettes humides ses couverts. On n'a pas vraiment d'assiette: parce que qu'est-ce qu'on mettrait dans l'assiette?"
Le ménage:
"Dans la station, il y a de l'eau de condensation à nettoyer ou des choses à ranger. On le fait en général le week-end. On a aussi des lieux personnels, un peu privés, avec son sac de couchage, son ordinateur, les petites choses qu’on a amenées avec soi. Donc on peut se reconstituer une possibilité d’espace privé, qui nous permet de communiquer avec qui on veut."
Le sommeil:
"On dort dans un sac de couchage accroché au mur et dans lequel on se blottit en s’amarrant à la cabine. En me glissant dans mon sac de couchage, j'essayis de prendre une espèce de position fœtale pour avoir le dos bien appuyé sur quelque chose et qui n’était pas un appui lié à la gravité. J’avais du mal à m’endormir si j’étais en free floating complet. Même si cette sensation de relaxation musculaire est quand même très, très agréable."
L'entraînement:
"Dans l'espace, si c’est un vrai plaisir de ressentir cet état de relâchement complet musculaire, il faut aussi le contrecarrer pour éviter d'avoir une perte de trophicité musculaire, une perte au niveau de l’os. Il faut faire deux heures d’entraînement physique par jour."
La toilette:
"On utilise des serviettes humides imbibées d’eau. On a essayé, il y a longtemps dans la station Mir d’avoir une douche, mais imaginez, faire couler de l’eau du haut vers le bas, ça ne veut rien dire dans une station spatiale."
La lessive:
"Le matériel est amené avec des vaisseaux cargos jusqu’à la station spatiale: donc il faut être économe, à la fois dans les vêtements qu’on va changer et dans ses éléments d’hygiène. Mais c’est important pour vivre avec respect entre les différents membres d’équipage. Les hommes essayent de continuer à se raser, de changer de t-shirt quelques fois dans la semaine, de façon à ce qu’on ait une vie estimable, et respectueuse, et digne dans une station spatiale."
Episode 3
Les communications avec la Terre
"Aujourd’hui, à bord de la Station Spatiale Internationale, la couverture rend possible les communications presque à 100 %. Donc on décroche son téléphone et on peut appeler qui on veut sur Terre. Tous les réseaux sociaux fonctionnent et, effectivement, il y a des partages de photographies ou de petits textes qui sont absolument fantastiques."
"On a des contacts très réguliers avec le centre de contrôle de la mission, notamment les contrôles de début de journée, les comptes-rendus d’expérience, les contrôles de fin de journée. Au moindre problème, on peut demander conseil aux experts, aux ingénieurs ou aux scientifiques qui sont au sol."
Episode 4
La science à bord d'une station spatiale
Sciences du vivant:
"Que ce soit avec la médecine, la physiologie ou la biologie, de nombreuses questions sur l'influence de la gravité ne peuvent pas se poser ailleurs que dans cette station: c’est le seul endroit où on est en microgravité. On étudie aussi les fluides, la combustion, les alliages, les plasmas..."
Sciences technologiques:
"Un autre domaine concerne les sciences technologiques: déployer des structures complexes en orbite, construire en trois dimensions, atténuer les vibrations d’une structure qui flotte…"
Sciences spatiales:
"Il y a aussi une science qui se fait à l’extérieur de la Station Spatiale: lors des sorties extravéhiculaires, pour analyser l’effet des radiations, récupérer des poussières cométaires dans des filets ou des attrape-poussières ou exposer au vide spatial, des variations de température ou des radiations."
Sciences de la Terre:
"Depuis l'espace, on peut voir des choses sur la Terre qu’on ne verrait pas de la même façon avec un satellite et une caméra ou un capteur, et que l’œil humain peut détecter."
Episode 5
Une expérience marquante?
"Avoir emporté avec moi des pleurodèles, qui sont des salamandres, des tritons. Ils ont pondu à bord. On sait que notre vie sur Terre est façonnée avec la gravité. Donc avoir accès à ce petit modèle expérimental au tout début de son développement était passionnant."
"Ces petites pleurodèles vivaient leur vie, se déplaçaient. On les sortait parfois de leur boîte et elles essayaient, elles aussi de façon très maladroite, de se déplacer dans la Station. C’était une autre forme de vie qui nous a accompagnée pendant la mission."
Episode 6
Les sorties dans l'espace
"Je n’ai pas fait moi-même de sortie extravéhiculaire. En revanche, je me suis entraînée, et mon mari, qui est aussi astronaute, en a fait une. Déjà, c’est un environnement complètement hostile: c’est le vide spatial, il faut tout embarquer avec soi dans cet énorme scaphandre pressurisé qui permet d'être autonome, de résister aux variations de température et au vide spatial et pouvoir communiquer avec la Station ou le sol."
"Vous êtes obligatoirement très vigilants à tous les éléments de sécurité. Vous êtes accrochés avec un câble, ou avec une plate-forme, avec des mousquetons, pour vous déplacer le long de la Station où, éventuellement, il y a des éléments saillants qui pourraient abîmer votre scaphandre. Et il faut être très concentré parce que vous avez quand même la Terre qui défile à 28’000 km/h sous vos pieds…"
Episode 7
Le décollage de la capsule
"Il y a une accélération énorme, jusqu'à 4G, donc quatre fois le poids de votre corps, pour partir de vitesse zéro et acquérir l’énergie pour aller à 28'000 km/h. On est entraîné en centrifugeuse, donc on sait gérer. D'ailleurs, j’ai trouvé la mise en orbite assez soft, fluide, progressive et j’avais l’impression d’y être préparée."
"Par contre, la phase de retour m'a paru plus dynamique, brinquebalante. Le retour à travers les couches denses de l’atmosphère, les phases de stabilisation, de contrôle d’altitude du vaisseau et le déploiement des différents parachutes de freinage font qu’il y a vraiment beaucoup de sollicitations pour notre système vestibulaire."
Episode 8
Pourquoi la recherche sur l'espace?
"Pour tout ce qu’on va découvrir qu’on ne savait pas pour l’instant dans les mystères de l’univers. On sait voir l’invisible aujourd’hui, comme les trous noirs! On part à l’exploration d’exoplanètes, au-delà de notre système solaire, chercher des traces de vie quelque part. Une recherche, c’est inspirant, ça nous donne envie d’en savoir plus."
"L’espace c’est une matière absolument extraordinaire pour la curiosité et la passion de la découverte. On l'explore depuis 50 ans maintenant, mais de manière limitée - 400 km en orbite - et sur une très courte période - Apollo durait trois jours."
"On a besoin d’aller plus loin pour découvrir l’univers, découvrir les capacités des humains, de notre manière de vivre aujourd'hui et de comment on vivra demain. Comme l'humanité peut mieux se comporter vis-à-vis de sa planète."
Episode 9
A qui appartient la Lune?
"Les corps célestes – la Lune, les planètes, les astéroïdes – sont régis par un traité des Nations Unies de 1967, le Outer Space Treaty, qui dit qu'ils sont patrimoines de l’Humanité. Donc qu'ils ne sont pas appropriables par des gouvernements."
Mais en 1967, on ne pensait pas avoir les capacités un jour d’aller exploiter les corps célestes. On pensait en termes d’exploration. Aujourd’hui, on est dans la réflexion d’une exploitation potentielle de ressources qu’on pourrait trouver dans l'espace (de l’hélium 3, des terres rares, de l’oxygène...). Donc se pose la question aujourd’hui de se dire si ces ressources extraites qui en est le propriétaire? Faut-il rouvrir le traité écrit de 1967?"
Episode 10
Le projet de village lunaire
"Toutes les agences spatiales et même les entreprises privées – on parle d’Elon Musk, SpaceX, de Jeff Bezos, Amazon – ont un objectif qui converge : retourner sur la Lune, y développer un habitat, s’y installer, vivre et travailler avant d’aller plus loin."
"Aujourd’hui, on est un peu dans une course à qui ira le premier, avec quel outil, quel lanceur, pour y faire quoi, où, à quel endroit. Mais il va plutôt falloir essayer d'y penser ensemble, plutôt que de le faire chacun avec ses intérêts particuliers."
"Je trouve que serait une belle leçon pour l’humanité qui attend de ce XXIe siècle les capacités de s’expandre et de se dire: Peut-être, il y a des choses qu’on a mal fait sur Terre, dans notre première période d’expansion terrestre, qu'on pourrait faire différemment au-delà de cette enveloppe terrestre."
Episode 11
A quand le village lunaire?
"Le concept de village lunaire a démarré. Il faut désormais des missions automatiques pour améliorer la cartographie et repérer les lieux d'alunissage, les zones ensoleillées ou bien protégées, les tubes de lave où construire des habitats souterrains, les différentes ressources utilisables, etc..."
"Toutes ces missions sont effectuées par des Landers, des Rovers, des foreurs. Une sonde chinoise est déjà posée sur la face cachée de la Lune et une sonde indienne va arriver dans quelques mois. Toutes ces missions sont les premiers éléments de la maison témoin."
Biographie
Première française dans l'espace
Née en 1957, Claudie Haigneré a été la première femme française dans l'espace, sélectionnée en 1985 comme candidate astronaute par l'agence spatiale francaise (CNES). Médecin spécialiste en rhumatologie et en médecine aéronautique, chercheur en Neurosciences, elle effectue sa première mission spatiale en 1996 à bord de la Station Mir où elle est en charge du programme scientifique et technologique à bord.
En 2001, elle repart dans l'espace pour une seconde mission spatiale à bord de l’ISS. En tant qu’ingénieure de bord n1 et astronaute de l'ESA, Claudie Haigneré y réalise un programme de recherche dans de multiples disciplines influencées par la micro-gravité et est également en charge de l'utilisation et de la maintenance du vaisseau et de la station spatiale.
Après avoir notamment œuvré en politique (ministre de la Recherche puis des Affaires européennes), elle assure la présidence d'un grand musée des sciences à Paris (Universcience). En 2015, elle devient ambassadrice et conseillère auprès du directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), l’équivalent de la NASA au niveau européen.
Bonus
Rencontre avec Fatoumata Kebe
Fatoumata Kebe, astrophysicienne française de 33 ans, spécialiste des débris spatiaux, est auteure du livre "La Lune est un roman", paru aux éditions Slatkine. CQFD l'a rencontrée pour parler notamment de son admiration pour Claudie Haigneré.