Des chercheurs écoutent la forêt pour comprendre les changements environnementaux
La déforestation en Amazonie a augmenté de plus de 80% au Brésil en juin 2019 par rapport à juin 2018, selon un rapport du gouvernement. Le président Bolsonaro, arrivé au pouvoir au début de l'année, tient ses promesses: il encourage l'exploitation des ressources de la forêt dont il voit la protection comme un frein au développement économique du pays.
Cela dit, le rétrécissement du "poumon de la planète" n'avait pas attendu l'arrivée du président brésilien et il inquiète les scientifiques depuis longtemps. C'est là qu'intervient le projet Providence, lancé il y a deux ans dans une réserve brésilienne de la forêt amazonienne. Il veut préserver la biodiversité de cet espace naturel en commençant par l'écouter
La forêt amazonienne, c'est une multitude de sons. Des sifflements, des bourdonnements, des grésillements et des cris... Elle compte près de 1300 espèces d'oiseaux et plus de 420 sortes de mammifères. Moins bruyants, mais tout aussi important, il y a 5000 poissons et 40'000 espèces végétales. Le scientifique Michel André, spécialiste en bio-accoustique, a mis sur pied le projet Providence grâce aux nouvelles technologies.
Découvrir les dessous de la canopée
"Nous avons des informations sur le nombre d'arbres coupés chaque jour, grâce aux images satellites et aux drones, par contre nous n'avons aucune idée de l'impact sur la vie qui se place sous la canopée. L'homme n'y a pas accès. C'est impénétrable. Avec l'audio, nous avons des données à très grande distance. On a ainsi l'état de santé de la forêt, au travers des sons produits par ses habitants."
L'un des buts du projet Providence est de faire une liste des espèces disparues, celles que l'on entend plus. Et c'est là que l'aide de la population locale est précieuse. "Nous les impliquons pour le choix des lieux où nous plaçons nos capteurs intelligents (qui envoient les données en temps réel à nos serveurs). La population nous aide également quand nous enregistrons des sons que nous ne connaissons pas, ils peuvent par exemple désigner une espèce ou un comportement dans la forêt qui nous est inconnu. Nous formons également la population locale et nous leur mettons cet outil à disposition pour mieux comprendre l'état de santé de cette forêt. Le but est de déceler les problèmes et les menaces, qu'ils soient associés à notre action ou au changement du climat."
La population indigène a donc la mémoire des sons. Pour François-Michel Le Tourneau, chercheur au CNRS spécialiste de l'Amazonie, il est crucial d'avoir intégré les locaux. "C'est important pour eux et pour nous. Une grande partie de ces communautés ont une relation extrêmement forte avec la forêt, que ce soit pour se nourrir ou dans leurs pratiques culturelles. Maintenir ces forêts, c'est maintenir ces communautés en vie, même si elles n'échappent pas à des évolutions modernes. Ce qui est également important pour nous, c'est que l'Occident a beaucoup de mal à comprendre la forêt et ses habitants. Les populations locales ont développé un savoir très pointu sur leur environnement, en dehors de la médiatisation scientifique. Ce que nous découvrons, ils le savent déjà. Il est fondamental donc d'échanger avec eux, même si nous n'avons pas le même vocabulaire."
Une opération gagnante - gagnante pour la forêt et ses habitants. Mais quand on parle de la forêt amazonienne, on pense souvent à la déforestation qui ne s'arrête pas. En Colombie, près de 200'000 hectares ont été déboisés en 2018. Mais selon François-Michel Le Tourneau, la déforestation a pourtant bel et bien ralenti. "D'un point de vue statistique, les niveaux de déforestation qu'on enregistre aujourd'hui, même s'ils sont en augmentation par rapport aux 5 dernières années, sont plutôt sur le bas de la fourchette des 30 dernières années. En Amazonie, certains scientifiques alertent pourtant sur le fait que l'on pourrait atteindre le point de bascule. L'écosystème amazonien s'entretient lui-même, et à force de le détruire, quand on en aura enlevé 20-25%, il est possible qu'il s'écroule. Il y a ce sentiment d'urgence quand on sait que la déforestation actuelle représente environ 20% du massif forestier amazonien."
Trop peu de capteurs
Le projet Providence a installé une dizaine de capteurs pour l'instant. Le rêve des chercheurs est d'observer la biodiversité de toute la forêt, ce qui représente tout de même 5 millions et demi de kilomètres carrés. Le projet est titanesque. Mais c'est surtout une manière d'étudier l'impact du changement climatique sur cet environnement et comment les actions de l'homme impactent la canopée, cet habitat particulier et unique.
Michel André, en tant que directeur du laboratoire d'applications bio-accoustiques de l'Université de Catalogne, est un homme perpétuellement entouré de sons. Outre les sons de l'Amazonie, il mesure aussi la pollution sonore des océans pour mieux comprendre ce que vit ou plutôt subit la faune marine.
Le projet Providence devrait durer en tout cas jusqu'en 2025, tant il y a de sons à récolter et à analyser pour mieux comprendre les changements environnementaux.
>> Le site du projet: www.projectprovidence.org
Natacha Van Cutsem