"Quels que soient nos domaines d'expertise, nous faisons tous le même constat: le gouvernement suisse, au même titre que d'autres gouvernements, a été incapable de mettre en place des actions fortes et rapides, sans équivalent, pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l'urgence est relevée tous les jours". C'est l'amer constat dressé mardi par 81 scientifiques suisses dans une lettre ouverte publiée par le journal Le Temps.
Emmenés par le Prix Nobel de chimie Jacques Dubochet, ces chercheurs apportent leur soutien au mouvement écologiste de désobéissance civile Extinction Rebellion, qui a multiplié les actions non-violentes au cours des dernières semaines. Leur nombre ne cesse de grandir: ils sont désormais plus de 120 à avoir paraphé la lettre sur le site Soutien XR.
"Rôle de sentinelles"
Parmi les signataires, Alexandre Aebi, professeur en biologie et en anthropologie à l'Université de Neuchâtel, défend l'idée d'une science engagée dans la défense de valeurs: "J'estime que les chercheurs doivent avoir un rôle de sentinelles. Ils ont accès au savoir et sont capables de faire le point sur des situations problématiques. C'est leur rôle d'alerter l'opinion et les politiques sur les questions environnementales par exemple. Plus encore, c'est leur rôle de viser une transformation de la société afin de préserver la biodiversité et les sociétés humaines face au réchauffement climatique".
Membre du comité élargi de l'initiative fédérale "Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse", Alexandre Aebi se définit lui-même comme un scientifique activiste, même s'il n'appartient à aucun parti, "pas encore du moins".
Elle aussi signataire du texte de soutien à Extinction Rebellion, la climatologue vaudoise Valentine Python a franchi le pas l'an dernier seulement. Avec succès: cette membre des Verts pourrait siéger au Conseil national si sa collègue de parti Adèle Thorens Goumaz est élue aux Etats le 10 novembre prochain. Ses connaissances scientifiques ont dicté son engagement: "Lors des marches pour le climat, il y a eu des attaques très virulentes de la part de climato-sceptiques. Leurs propos démontraient une méconnaissance totale du fonctionnement de notre planète et des conditions qui permettent la vie. Je me suis dit que ce n'était pas possible, il y avait urgence".
Ne pas engager l'institution
Dans un monde académique essentiellement financé par des fonds publics, cette mobilisation politique a-t-elle véritablement sa place? Rectrice de l'Université de Lausanne, d’où proviennent deux tiers des soutiens à Extinction Rebellion, Nouria Hernandez explique que les professeurs ont une pleine légitimité à signer en mentionnant le nom de leur institution car "dans ce contexte-là, leur titre donne du poids à leur compétences en tant que scientifiques".
Elle rappelle surtout que les chercheurs sont "des citoyens et des citoyennes comme les autres qui ont le droit d'exprimer leurs opinions tant que cela n'engage pas l'institution comme cela a été précisé dans la lettre. C'est la limite à ne pas dépasser parce que nous faisons partie du système, nous sommes financés par l'Etat de Vaud".
Kevin Gertsch
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"De la très gentille désobéissance" selon Jacques Dubochet
Interviewé dans le 19h30 de mercredi, Jacques Dubochet a estimé qu'"on met beaucoup d’importance à la désobéissance civile" et qu'Extinction Rébellion "c’est de la très gentille désobéissance". Avant de continuer: "Ces jeunes, ils considèrent que c’est vital . Moi je considère avec eux que c’est vital. Qu’y a-t-il comme autre raison plus importante que la planète ?".
Le Prix Nobel a poursuivi: "La Suisse est capable de faire beaucoup mieux que de sortir du carbone en 2050. On ne peut pas se mettre à la traîne alors que des pays comme l’Inde, comme le Bengladesh, comme [les pays de] l'Afrique auront beaucoup plus de peine que nous à faire cette transition."
Interrogé sur la vague verte des élections fédérales du week-end dernier, Jaques Dubochet s'est dit "plein d’espoir pour ce nouveau parlement".