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Pour les enfants – surtout les garçons – le dominant, c'est l'homme

Dès l'âge de quatre ans, les enfants lient le pouvoir au masculin et pas au féminin et ceci un peu partout dans le monde. [Depositphotos - choreograph]
La perception du pouvoir au masculin n'attend pas le nombre des années / CQFD / 9 min. / le 13 janvier 2020
Dès l'âge de quatre ans, les enfants associent généralement pouvoir et masculinité, selon une étude publiée début janvier dans la revue scientifique Sex Roles. C'est surtout le cas chez les garçons.

"Dans les interactions entre des figures masculines et féminines, les enfants ont tendance à associer l'individu qui domine au masculin", explique Jean-Baptiste Van Der Henst, de l'Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod, coauteur de l'étude internationale, publiée dans Sex Roles, portant sur plus de 900 enfants de 3 à 6 ans.

"Dans cet éventail d'âges, souvent utilisé pour les études, il y a une très grande acquisition de nouvelles compétences", explique Laurence Kaufmann, professeure à l'Institut des Sciences sociales de l'Université de Lausanne. "Dès l'âge de 3 ans et demi, 4 ans, les enfants peuvent adopter le point de vue d'autrui", précise celle qui a aussi participé à l'étude. "Ils peuvent se décentrer de leur monde domestique immédiat pour scanner le monde extérieur et identifier ce qui est pertinent et approprié de faire, en général".

Des tests simples

Sur une feuille, deux enfants sont dessinés. L'un dans une posture de domination, l'autre représentant la subordination.

Dans une première expérience, les chercheurs ont montré aux enfants une image où figuraient deux personnages non genrés dont l'un adoptait une posture physique de dominance et l'autre une posture de subordination. [CC BY-NC-SA - Julien Wolga]
Dans une première expérience, les chercheurs ont montré aux enfants une image où figuraient deux personnages non genrés dont l'un adoptait une posture physique de dominance et l'autre une posture de subordination. [CC BY-NC-SA - Julien Wolga]

Aucun des deux personnages n'offre le moindre indice sur son genre et pourtant, "à partir de quatre ans, une large majorité d'enfants considère que le personnage dominant est un garçon", rapportent les chercheurs dans un communiqué du CNRS. Qu'ils soient garçons ou filles, qu'ils vivent au Liban, en France ou en Norvège.

"Ce qu'on voulait d'abord voir, c'est si les enfants identifient immédiatement une relation de pouvoir", note Laurence Kaufmann au micro de l'émission CQFD. "On a souvent considéré la domination comme étant quelque chose qui nécessite des représentations très complexes, des compétences cognitives, alors qu'en fait, elle tombe sous l'évidence, elle saute aux yeux: c'était la première découverte importante".

Quant aux résultats de ce test en particulier, Jean-Baptiste Van Der Henst avoue: "Nous avons été étonnés de ne pas avoir de différence entre les pays, notamment entre le Liban et la Norvège", considérée comme moins inégalitaire sur cette question. "Cela nous a effarés", souligne Laurence Kaufmann.

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Moins de différences chez les filles

Lors d'une autre expérience, les chercheurs ont demandé aux enfants de choisir dans la peau duquel des deux enfants dessinés ils se verraient bien. Résultat: si les garçons ont désigné le dominant, les filles, lorsqu'elles s'imaginaient face à un garçon, se sont indifféremment identifiées à l'un ou l'autre des personnages: "Les garçons s'identifient massivement avec la position d'autorité", précise Laurence Kaufmann: "C'est une sorte d'évidence pour eux. Alors que les filles, ça pouvait varier de manière un peu plus fine". Certaines filles disant qu'elles ne savaient pas, par exemple.

"Les petites filles sont moins enclines à considérer que le genre qui domine est celui des garçons", note par ailleurs Jean-Baptiste Van Der Henst.

Choix imposés

Poursuivant leur recherche, les chercheurs ont ensuite fait le choix de confronter les enfants à des personnages très genrés: une marionnette fille et une marionnette garçon, aux voix identiques.

En France comme au Liban, la plupart des garçons considéraient que la marionnette qui imposait ses choix était la marionnette masculine. En revanche, les filles des deux pays n'attribuaient pas la position dominante préférentiellement à l'un ou l'autre genre. [CNRS]
En France comme au Liban, la plupart des garçons considéraient que la marionnette qui imposait ses choix était la marionnette masculine. En revanche, les filles des deux pays n'attribuaient pas la position dominante préférentiellement à l'un ou l'autre genre. [CNRS]

Les deux figurines jouent d'abord ensemble devant les enfants puis disparaissent de leur champ de vision tout en continuant à discuter.

Rapidement, l'une impose ses choix à l'autre. "Les garçons avaient tendance à dire que c'était la marionnette garçon qui décidait alors que les filles n'assignaient pas plus la posture de pouvoir à la marionnette garçon qu'à la marionnette fille", résume le chercheur CNRS.

"On a, au niveau global, une tendance à associer masculinité et pouvoir, mais avec des variations selon le genre des participants dans certaines expériences", résume-t-il.

Pourquoi cette variation? Dans la première expérience, le pouvoir est exprimé par une posture. "Peut-être que cette forme de pouvoir un peu agressif, coercitif, est davantage associée à quelque chose de masculin", avance Jean-Baptiste Van Der Henst.

>> Lire le Grand Format : Jouets, miroirs de notre société

Sujet radio: Sylvio Dolzan

Adaptation web: Stéphanie Jaquet et l'ats

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Un saut important entre 3 et 4 ans

"A l'âge de 3 ans, on savait que les enfants identifient les relations de hiérarchie et le genre de manière séparée. Et, à quatre ans, ils ont la capacité cognitive de mixer les deux domaines de connaissances", explique Laurence Kaufmann.

La famille et la société

Une autre explication veut que "à partir de 3 ans et demi, 4 ans, les enfants utilisent moins le milieu domestique comme étant leur lieu de référence, c'est-à-dire dans un lieu domestique où c'est la mère qui est la figure d'autorité – la plupart du temps – ou l'enseignante, ou l'éducatrice", souligne la professeure à l'Institut des Sciences sociales de l'Université de Lausanne.

"L'enfant commence à regarder de manière beaucoup plus générale son environnement, y compris médiatique, les images qui circulent, les fictions, les publicités, etc. Certainement que les enfants en infèrent de nouvelles évidences relationnelles".