Par chance, les ouvriers ont l'idée de montrer ces ossements à
leur contremaître. Celui-ci, pensant qu'il s'agit peut-être d'un
ours des cavernes, envoie les plus grosses pièces à un professeur
du lycée de Wuppertal passionné d'histoire naturelle, Johann Karl
Fuhlrott.
Né il y a 40'000 ans
Fuhlrott identifie tout de suite leur nature humaine et, en
remarquant la voûte crânienne basse avec des bourrelets
sus-orbitaires proéminents et la robustesse des fémurs et du
bassin, il arrive à la conclusion qu'il tient entre les mains des
restes très anciens (les datations actuelles leur donnent 40'000
ans).
Mais à une époque où l'on commence seulement à admettre
l'existence d'animaux «antédiluviens», l'idée est inacceptable que
l'homme en tant qu'être créé par Dieu à sa propre image puisse
avoir porté un tel visage de brute.
Sauvé par Darwin
Pour les savants réunis sous la houlette du professeur berlinois
Rudolf Virchow, virulent adversaire de l'évolution sous toutes ses
formes, il ne peut donc s'agir que d'un cas pathologique.
La situation est néanmoins mûre pour passer à un stade supérieur
de la connaissance. L'homme archaïque allemand est reconnu dans
l'Angleterre de Darwin en 1863, et c'est un professeur irlandais,
William King, qui lui donne son nom savant d' «Homo
neanderthalensis». L'Allemagne «virchowienne» l'ignorera jusqu'à la
fin du XIXe siècle.
Nouveaux fragments
Jusqu'aux années 1980, aucun scientifique ne retournera à
Neandertal, par ailleurs totalement défiguré entre-temps par les
carriers. Ralf Schmitz, enseignant privé à l'université de Tübingen
et l'un des initiateurs de la reprise des fouilles, en présente un
bilan inédit dans les dossiers publiés par la revue française «La
Recherche» à l'occasion du 150e anniversaire de la première
découverte.
«Nous avons maintenant 73 fragments d'os, en plus des 16
découverts en 1856. Trois s'ajustent directement sur ces derniers.
Et une quarantaine appartiennent probablement au même individu»,
précise l'archéologue. Les fossiles de trois individus au moins ont
été déterrés.
Néandertal et Cro-Magnon cohabitaient
Aujourd'hui, la principale interrogation porte sur les liens des
néandertaliens avec les premiers hommes modernes (Cro-Magnon),
longtemps considérés comme leurs descendants. Mais dont on sait
aujourd'hui que les deux espèces ont coexisté pendant une bonne
dizaine de millénaires.
Surprise de plus, les premières analyses de leur ADN maternel ont
suggéré que les hommes de Néandertal n'étaient pas apparentés à
notre propre espèce et qu'ils représentaient donc une branche morte
de l'arbre généalogique de l'humanité. Mais cette conclusion est
loin de faire l'unanimité.
Encore beaucoup d'interrogations
Les examens doivent se poursuivre par l'étude de l'ADN des
noyaux cellulaires, grâce à un projet qui vient d'être lancé par
l'Institut Max-Planck de Leipzig et une société américaine de
biotechnologie, 454 Living Sciences. Ces travaux devraient apporter
des indications plus convaincantes sur leur identité génétique et
peut-être contribuer à la recherche des causes de leur
disparition.
Même si les hypothèses ne manquent pas (consanguinité, maladies,
changements environnementaux, guerres d'inégaux avec
Cro-Magnon...), leur extinction, survenue il y a quelque 28 000
ans, après plus de 300 millénaires d'existence pendant lesquels ils
ont su affronter avec succès la rudesse de l'Europe glaciaire,
demeure une énigme totale.
ats/ruc
Néandertal et les autres
L'homme de Néandertal a d'abord été considéré comme notre ancêtre, avant d'être repoussé vers une branche morte de l'humanité. Il a cohabité avec au moins trois autres grandes espèces d'humains.
La mise au jour en Allemagne, en août 1856, des restes de l'homme de Néandertal, vieux de 40 000 ans a été suivie huit ans plus tard par celle, en France (en Dordogne), de restes d'humains incontestablement anciens (28 000 ans), mais déjà à l'anatomie moderne, les premiers Homo sapiens ou hommes de Cro-Magnon.
En 1891, c'est le tour du «pithécanthrope» de l'île de Java (aujourd'hui appelé Homo erectus, de 700'000 ans), et, en 1924, du premier australopithèque, encore plus primitif (2,4 millions d'années), en Afrique du Sud.
Scénario à revoir
Les grands acteurs de l'évolution semblaient alors identifiés: l'australopithèque était censé s'être métamorphosé en Homo erectus et ce dernier donner naissance au Néandertal, lui-même ancêtre du Cro-Magnon, notre ancêtre à nous.
Aujourd'hui, pour beaucoup d'anthropologues, c'est Homo erectus, descendant d'un contemporain des derniers australopithèques, Homo habilis, vieux de deux millions d'années, qui serait l'ancêtre des espèces suivantes.
Mais nous ne serions pas pour autant les seuls humains actuels. La «distance» génétique entre nous et les chimpanzés serait inférieure à 1%.
Un autre scénario s'ouvre il y a sept millions d'années avec Sahelanthropus tchadensis alias Toumaï, dans lequel les chimpanzés jouent un rôle de trouble-fêtes: selon une nouvelle étude génétique, après s'être séparés de la lignée de l'homme, ils se seraient de nouveau longuement métissés avec nous.