Après avoir confirmé la présence de glace sur la Lune, les scientifiques de la NASA ont annoncé début juillet qu’il y avait une quantité beaucoup plus importante que prévu de métaux sous la surface lunaire. Du fer et du titane notamment.
Alors que l’exploitation de gisements sur la Lune n'est encore que théorique, ces ressources sont déjà l’enjeu de luttes politiques. La colonisation de la Lune est en effet lancée et les Etats-Unis ont annoncé la construction d’une base lunaire permanente pour 2028. Elle servira notamment de tête de pont pour les futurs voyages vers Mars.
La Chine et l’Europe ont également l’ambition de s’implanter sur la Lune, mais à plus long terme. Les matériaux trouvés sur place éviteront des transports coûteux vers l’espace.
Pas de propriété privée dans l'espace
La glace sera la ressource la plus utile pour les colons en arrivant sur la Lune, selon le chercheur à l’EPFL Marc-André Chavy-Macdonald, interrogé dans La Matinale: "La glace pourrait servir aux astronautes à boire, à se laver, à respirer si on la transforme en oxygène. Potentiellement, de l’oxygène liquide pourrait servir comme carburant."
"A plus long terme, s’il y a beaucoup d’activité sur la lune, on pourrait imaginer l’utilisation des métaux pour la construction de bases locales ou aussi comme protection contre les radiations."
Dès lors, à qui vont appartenir ces nouvelles ressources trouvées sur la Lune? Selon le traité de l’espace de 1967, il n’y a pas de propriété privée dans l’espace. Mais les américains ont désormais une autre interprétation. Pour le professeur Philippe Achilléas, spécialiste du droit spatial, ils profitent des zones d’ombre du traité.
"Une entreprise privée, un Etat ou une organisation internationale ne peut pas s’approprier la Lune ou une partie de la Lune. En revanche, le texte est muet concernant les ressources. Ce qui fait dire au président américain, Donald Trump, que si l’appropriation de la Lune est interdite, il est possible de s’approprier les ressources des corps célestes".
>>L'espace, le nouveau Far West? Débat dans l'émission Forum.
Dans son décret du 6 avril 2020, Donald Trump affirme qu'il ne considère pas l'espace extra-atmosphérique "comme un bien commun mondial. En conséquence, les États-Unis auront pour politique d'encourager le soutien international au rétablissement et à l'utilisation publics et privés des ressources dans l'espace". Pour le président américain, "les Américains devraient avoir le droit de s'engager dans l'exploration commerciale, la récupération et l'utilisation des ressources dans l'espace extra-atmosphérique".
Une Space Force
Si on suit la logique américaine, le premier arrivé contrôle de fait le gisement. Un gisement qui, à l’image d’une station-service spatiale, pourrait approvisionner les vaisseaux en partance pour Mars. La course aux zones les plus rentables de la Lune est donc lancée et les missions d’exploration s'enchaînent.
"Cette colonie lunaire, qui va représenter une zone sous juridiction américaine dans l’espace (prévu par le traité de 1967), va permettre aux Etats-Unis de développer un centre de ravitaillement sur la Lune. Et ainsi que contrôler les futures routes spatiales."
Une situation donc hautement stratégique que les Américains sont prêts à défendre. Depuis décembre 2019, l'armée américaine a sa Space Force. Donald Trump a affecté 16'000 hommes à la protection des intérêts américains dans l’espace. Son administration a demandé un budget de 15 milliards de dollars pour l'année prochaine.
La Suisse en observation
Les Etats-Unis ont contacté plusieurs pays pour qu’ils adhèrent à leur nouvelle vision des ressources spatiales, nommée accords Artemis. La France, le Canada et le Japon feraient partie des alliés envisagés. Forer la Lune va coûter très cher, pour des résultats encore incertains. Et des alliés seront nécessaires au moment de payer la facture.
La Suisse ne dispose pas d’une agence spatiale nationale, mais participe aux programmes de l’agence spatiale européenne. Le Swiss Space office défend les intérêts du pays. Son chef Renato Krpoun estime qu’il encore trop tôt pour prendre position.
"On peut avoir des interprétations. La majorité des Etats, pour l’instant, ont convenu que l’espace, la Lune et les corps célestes appartiennent à tout le monde. Un état ne peut pas se les approprier. Mais nous sommes en contact régulier avec les chercheurs et les industriels suisses. A ce jour, il n’y a pas de marque d’intérêt de la part de nos acteurs pour s’approprier un bout de la Lune."
Pascal Wassmer
La politique étrangère de la Suisse en matière de ressources spatiales
Alors que l’intérêt des Etats augmente pour l’espace et ses ressources. Les questions juridiques et politiques se multiplient. Il n’y a pas, pour l’heure, de consensus international autour de l’extraction, de l’exploitation et de l’utilisation des ressources spatiales. Point de la situation avec Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
Quelle est la position de la Suisse ?
La Suisse n’a pas encore formé sa position sur cette question. Mais pour elle, il est important que cette question soit traitée dans le cadre intergouvernemental de l’ONU, plus précisément au sein du Comité des Utilisations Pacifiques de l’Espace Extra-atmosphérique (COPUOS) qui est chargé du droit international de l’espace. En effet, le dialogue multilatéral est essentiel pour éviter toute fragmentation du droit international. Il permet aussi parfois d’arrondir les angles et d’éviter certaines tensions politiques.
Quel rôle peut-elle jouer ?
Comme dans d’autres domaines de politique étrangère, la Suisse cherche à favoriser le dialogue entre grandes puissances pour que des solutions pacifiques puissent être trouvées. En 2020-2021, elle préside le Sous-comité Scientifique et Technique du COPUOS. Dans ce rôle, elle s’engage pour renforcer l’utilisation viable, sûre et pacifique de l’espace sur le long terme. C’est dans notre intérêt parce que les applications satellitaires (GPS, météo, etc.) prennent toujours plus de place dans notre économie et dans notre société, et parce qu’il y a toujours plus d’acteurs suisses actifs dans l’espace qu’ils soient académiques ou commerciaux.
Peut-on parler de ruée vers l’or lunaire ?
Nous n’en sommes pas (encore) là. L’extraction et l’exploitation de ressources spatiales, que ce soit sur la lune ou des astéroïdes, est aujourd’hui attrayante surtout parce qu’elle pourrait soutenir des missions de longue durée et l’exploration plus lointaine du système solaire. On pense par exemple qu’un voyage vers Mars serait facilité par un approvisionnement en hydrogène et oxygène de la Lune. Les technologies doivent cependant encore être développées et éprouvées pour assurer la rentabilité du modèle commercial.
Se dirige-t-on vers une privatisation des ressources lunaires ?
La question n’est pas tant de savoir s’il s’agit d’une privatisation des ressources elles-mêmes, mais plutôt d’appréhender les questions posées par l’exploitation et la commercialisation de ces ressources. Le Traité de l’ONU sur l’Espace, développé par le COPUOS en 1967, prévoit par exemple que l’exploration et l’utilisation de l’espace doivent rester la « province de l’humanité ». Qu’entend-on par-là exactement ? Les juristes en débattent. L’Accord sur la Lune de 1979, lui, est clair : la Lune et ses ressources naturelles sont l’héritage commun de l’humanité, et les Etats parties s’engagent à développer un régime international pour encadrer l’exploitation des ressources naturelles de la Lune et à en répartir les bénéfices. Mais ce n’est apparemment pas le modèle retenu par les grands acteurs dans l’espace, seuls 18 Etats ayant ratifié cet Accord, et aucune des grandes puissances spatiales.
Quel impact pour la Science ?
La science pourrait bénéficier de l’utilisation de certaines ressources naturelles extraites des corps célestes, dont la Lune, en particulier pour rendre possibles des missions d’exploration de l’espace plus lointain.
Y a-t-il des tensions prévisibles ?
Lorsqu’on se représente les marchés potentiels et les enjeux stratégiques qui se cachent derrière l’extraction, l’exploitation et l’utilisation des ressources dans l’espace, l’on peut effectivement s’attendre à ce que des tensions surgissent entre les différents acteurs, qu’il s’agisse des Etats, mais également des compagnies privées.
(Interview réalisée le 10 juillet 2020)
En route vers Mars
Cet été, les Terriens ont un nouveau grand rendez-vous avec Mars: trois missions d'exploration s'envoleront vers la planète rouge, l'ultime frontière pour l'humanité qui nourrit l'espoir, de plus en plus crédible, d'y détecter des signes d'une vie passée, et, à l'avenir, d'y poser le pied.
Le cycle de la mécanique céleste n'offre qu'une fenêtre de tir tous les 26 mois, la distance entre Mars et la Terre étant à cette période plus courte que d'habitude, ce qui rend le voyage plus facile (55 millions de kilomètres, soit environ six mois de voyage tout de même).
Trois pays sont dans les starting blocks. Les Emirats arabes unis ouvriront le bal le 15 juillet en envoyant la première sonde arabe interplanétaire de l'histoire, "Al-Amal" ("Espoir"), étudier l'atmosphère de la planète. Suivra la Chine, qui fera elle aussi son baptême martien avec "Tianwen" ("Questions au ciel"), en expédiant une sonde et un petit robot téléguidé, entre le 20 et le 25 juillet.
La plus ambitieuse, l'américaine "Mars 2020", s'élancera le 30 juillet pour faire atterrir un véhicule conçu pour explorer sa surface, le rover Perseverance, signant le début d'un programme pharaonique encore jamais réalisé de prélèvement d'échantillons, en vue de leur retour sur Terre. Une étape clé dans la quête du vivant.
Une quatrième échappée russo-européenne était programmée, "ExoMars" et son robot de forage, mais a dû être reportée à 2022 à cause de la pandémie de coronavirus. (afp)