Lors d'un essai clinique standard, les participants qui reçoivent le vaccin en cours de test sont renvoyés chez eux, dans des conditions de vie normales. Après plusieurs mois, les scientifiques vérifient si ce groupe vacciné a été mieux protégé que le groupe qui n'a pas reçu de doses. Cette pratique prend donc du temps et il faut que le virus circule.
Lors d'un challenge infectieux, la maladie est injectée aux volontaires. Selon plusieurs interlocuteurs sollicités par la RTS, aucune expérience de ce type n’a encore été entreprise contre le Covid-19.
Certains y pensent sérieusement, car il s'agit d'une option plus rapide. Mais elle est aussi plus dangereuse... Peut-on infecter des personnes en bonne santé et leur faire courir le risque de développer une maladie qui a déjà tué un demi-million de personnes?
Encore trop tôt?
Pour Virginie Masserey, cheffe du contrôle de l'infection à l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), il est trop tôt pour penser à un challenge infectieux. Beaucoup de virus circule dans le monde et cela demanderait une grande préparation.
"Il faudrait pouvoir bien identifier les personnes qui ne risquent pas de faire une maladie sévère si on les challenge avec le virus. Cela demande aussi d'avoir un peu d'anticipation sur les risques liés au vaccin, puisqu'il y a encore un doute qui préoccupe les scientifiques: est-ce que le vaccin conduirait à la production d'anticorps qui pourraient aggraver la maladie plutôt que de la prévenir? Faire un challenge viral, c'est aussi quelque chose que l'on peut envisager en général quand on a un traitement pour la maladie", explique Virginie Masserey dans La Matinale.
Principes éthiques
Pour une étude sur des participants humains, il y a plusieurs principes éthiques à respecter, selon Samia Hurst-Majno, professeure de bioéthique à la Faculté de médecine de l'Université de Genève.
L'étude doit notamment être utile pour des patients futurs, ce qui est le cas ici selon elle. Une commission d'éthique doit aussi donner son aval. Et les participants, consentants, doivent être bien informés. Enfin, le rapport risque-bénéfice doit être acceptable. Sur ce point, la bioéthicienne émet un gros doute.
"Le Covid-19 est une maladie potentiellement mortelle pour laquelle on n'a pas de traitement véritablement efficace. Et même si la probabilité de décéder est faible, surtout sur une population de volontaires jeunes et en bonne santé, ce risque n'est pas absent. Ce serait donc une situation où on demanderait aux personnes de prendre un risque pour leur vie, au nom du progrès de la médecine. C'est quelque chose que, habituellement, on n'accepte pas. Toute la question est de savoir si les temps sont suffisamment extraordinaires pour changer ça ou non. Il y a donc une question du seuil maximum de risque", indique Samia Hurst-Majno.
"Impératif moral"
Pour le bioéthicien américain Arthur Caplan, la situation est tellement extraordinaire qu'on doit "repenser la voie habituelle". Selon lui, "développer et distribuer un vaccin efficace aussi rapidement que possible est un impératif moral".
D'après Samia Hurst-Majno, le risque doit être abaissé, avec un traitement, ou alors avec la certitude d'injecter une maladie bénigne. L'éthicienne pointe un autre problème: celui de la justice distributive.
"On peut faire baisser le risque des participants si on les sélectionne dans une population qui a un fort risque d'attraper le Covid-19. A l'heure actuelle, les populations qui ont un fort risque d'attraper le Covid-19 sont des populations mal protégées. Pour avoir un risque plus faible dans l'étude, on devrait donc recruter de manière ciblée des populations défavorisées... Mais que deviennent les résultats? Est-ce que c'est justement ces personnes-là qui auront un accès privilégié au vaccin le jour où il est disponible? Sans doute pas, et on a un problème de justice distributive", signale la professeure.
Pauline Rappaz/gma
Contexte historique
Utiliser des humains dans le cadre d'expérimentations ne date pas d'hier. La pratique est documentée depuis l'Antiquité, selon Vincent Barras, directeur de l'institut d'histoire de la médecine à l'Université de Lausanne.
"L'exemple le plus parlant est celui de l'émergence de la question du vaccin au 18ème siècle en Europe. A cette époque, on n'avait pas une idée très précise de l'agent infectieux, en revanche on avait déjà des pratiques qui permettaient d'inoculer la variole - on ne savait pas encore que c'était un virus - mais on inoculait quelque chose, une plaie provoquée par la maladie variole, à des personnes saines, de façon à pouvoir les immuniser à l'avenir", explique l'historien.
"La question est de savoir comment est-ce qu'on teste cette technique qu'on a observée de façon empirique. On le fait en prenant des personnes pas toujours très volontaires et des personnes de statut inférieur pour tester ce qui deviendra ensuite une pratique qui donnera naissance à la vaccination. C'est la pratique peut-être qui montre que lorsqu'on arrive avec un nouveau moyen qu'il s'agit de tester, on est toujours confronté à cette question, notamment avec les vaccins. Qui passe en premier?", interroge Vincent Barras.
Une histoire dont il faut tenir compte, selon le médecin. Pour lui, la question du challenge infectieux doit être débattue par les spécialistes concernés, mais aussi dans la société et le champ politique.