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Chloroquine et trottinette, le canular qui a fait le tour du monde

Un homme roule en trottinette éléctrique. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]
Canular autour du Covid-19 pour piéger une revue scientifique: interview de Florian Cova / Forum / 8 min. / le 22 août 2020
La chloroquine, substance qui a fait polémique dans le traitement du Covid-19, pourrait-elle éviter les accidents de trottinettes? Cette idée loufoque a fait l'objet d'une "étude", ou plutôt d'un canular, publié par la revue Asian Journal of Medecine and Health. L'un des auteurs a expliqué la démarche à la RTS.

Florian Cova est professeur de philosophie à l'Université de Genève. Il a co-rédigé l'article pseudo-scientifique qui a été publié le 15 août 2020 avant d'être finalement retiré un jour plus tard, et était l'invité de Forum samedi.

Au-delà de l'idée farfelue selon laquelle la prise, de manière préventive, d'hydroxychloriquine pourrait diminuer le nombre d'accident de trottinette, tout est absurde dans cette étude, à commencer par les pseudonymes des auteurs: Didier Lembrouille, Nemo Macron (le prénom du chien d'Emmanuel Macron) ou encore Otter F. Hantome". Alors comment un tel document a-t-il pu être publié ?

RTSinfo: Avez-vous réussi à faire passer un message, à savoir que toutes les revues scientifiques ne se valent pas ?

Florian Cova: (...) A la base, ce qui nous intéressait surtout, c'était de viser cette revue en particulier (ndlr: Asian Journal of Medecine and Health), parce qu'un autre article prétendu sérieux y avait été publié un mois plus tôt.

Le collectif "Laissons les médecins prescrire", groupe français qui inclut une parlementaire, Martine Wonner, avait publié un article censé montrer l'efficacité de l'hydroxychloroquine et de l'azithromycine contre le Covid-19 et ils avaient brandi cette publication comme preuve que leur étude avait été validée par la communauté scientifique, alors qu'il y avait toutes les raisons de penser que ce journal est un journal scientifique prédateur. C'est-à-dire un journal qui ne filtre pas, ne relit pas, et ne prend pas le temps d'examiner les articles dès lors qu'on paie le prix qu'il demande.

RTSinfo: Et vous vous êtes dits: "chiche, nous aussi on peut le faire et être encore davantage farfelus"?

F.C.: Oui, l'article est complètement farfelu, non seulement parce que le thème à première vue n'est pas plausible mais aussi parce que le contenu est idiot d'un bout à l'autre. Le défi, c'était de n'écrire aucune phrase qui, prise indépendamment, pourrait avoir l'air sérieuse. L'article est truffé de citations, des Bronzés font du ski jusqu'à Batman, et toutes les statistiques sont fausses.

La méthodologie inclut le fait de donner de la chloroquine à des enfants de 13 ans et à les balancer sur une pente à 45 degrés contre un mur en trottinette pour voir si le médicament permet de diminuer les morts. Il y a même un moment où on dit qu'on a essayé de déterrer les participants décédés pendant l'expérience pour tester leur taux d'oxygénation. Mais voilà, apparemment, l'article est passé quand même.

RTSinfo: Mais il a pourtant bel et bien été relu ?

F.C.: Oui, et c'était une grande surprise. Je pensais qu'ils ne regardaient même pas l'article, mais nous avons reçu des commentaires de trois relecteurs scientifiques et c'est là que les choses sont devenues très surréalistes.

Deux d'entre eux nous ont fait des commentaires très ciblés sur l'article, notamment sur des points de détail. Ils nous ont par exemple dit: "là vous citez Wikipédia, ce n'est pas très sérieux comme source". Après de petits commentaires comme celui-ci, dont certains ont été pris en compte et d'autres pas, l'éditeur a finalement accepté l'article.

RTSinfo: Si cela a l'air d'une plaisanterie, c'est en fait assez dramatique...  Est-ce qu'on n'est pas là aux limites de cette course à la publication et de l'existence même de ces revues ?

F.C.: L'existence de ces revues prédatrices a toujours été un problème. C'est quelque chose qu'on apprend quand on commence à faire de la recherche. Très vite, on reçoit des mails qui nous disent qu'ils aiment beaucoup notre recherche et nous invitent à publier chez eux. Mais jusque-là, c'était plutôt un problème pour les chercheurs.

Mais avec cette affaire, les revues prédatrices sont devenues un problème pour la communauté en général, parce que certaines personnes vont y publier pour donner un verni de validation scientifique à des choses qui ne tiennent pas vraiment la route.

Propos recueillis par Thibaut Schaller/ther

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