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Conférence de Bali: sauvez le climat!

Le climatologue et professeur à Genève Martin Beniston
Le climatologue et professeur à Genève Martin Beniston
La conférence de Bali sur le climat, du 3 au 14 décembre, doit faire le point sur les problèmes liés au réchauffement. Le climatologue Martin Beniston nous livre son regard sur cette conférence très attendue.

Le professeur de l'Université de Genève estime que la prise de
conscience écologique a bien progressé depuis quelques mois. La
conférence de Bali tombe donc à pic selon lui pour poser les futurs
jalons de la lutte contre le réchauffement climatique.



Quels sont en quelques mots les enjeux de la
conférence de Bali?




Martin Beniston: Bali est censé préparer l'après
protocole de Kyoto en 2012. L'idée est de faire un bilan de la
période qui s'achève et d'imaginer les solutions économiques,
techniques, industrielles et politiques pour la suite. Aucune
grande décision ne sera prise. Les participants vont établir un
calendrier d'actions et décider les grands principes de lutte
contre le réchauffement du climat. D'autres conférences ou
sous-conférences spécialisées suivront pour penser aux stratégies
pratiques.



Est-ce le moment propice pour une telle
réunion?




Cela s'agite depuis quelques mois, notamment avec le rapport du
GIEC. La prise de conscience est montée au premier plan, y compris
chez les politiciens les plus réfractaires. Je pense donc qu'il va
se passer des choses intéressantes à Bali, notamment avec l'UE qui
a déjà un plan d'actions pour limiter la hausse des températures à
2 degrés de plus qu'aujourd'hui d'ici 2050.



Quels seront les Etats qui poseront problème? Les
USA?




Les USA sont dans une phase délicate avec la fin de l'ère Bush.
Ils vont donc adopter une politique neutre en attendant le prochain
gouvernement qui, s'il est démocrate, sera probablement beaucoup
plus en faveur des politiques climatiques. Les pays du pétrole
semblent aussi moins réticents qu'auparavant à propos de l'effet de
serre. Mais ils peinent à se positionner et à se dire qu'il
vaudrait peut-être mieux garder le pétrole dans leur sous-sol pour
l'utiliser à terme à meilleur escient. Quant à des pays émergents
comme la Chine ou l'Inde, ils ne sont pas partie prenante au
protocole de Kyoto, mais il faudra vite les considérer comme des
acteurs de premier plan.



Quel bilan pour les années Kyoto? Les émissions de gaz
à effet de serre ont augmenté de 30% depuis 10
ans...




Mis en oeuvre après moultes tergiversations et pas suivi par tous,
il n'a pas atteint ses objectifs. Beaucoup de pays, dont la Suisse,
ne réussissent pas à remplir leurs obligations. D'autres y
parviennent artificiellement. Notamment l'Allemagne, qui a intégré
le démantèlement industriel de l'ex-Allemagne de l'est pour remplir
les conditions.



Les mesures décidées jusqu'ici ne sont-elles pas assez
contraignantes? Cela empêche-t-il une
amélioration?




On sait aujourd'hui qu'il faudrait réduire de 50-60% les émissions
actuelles simplement pour ne plus augmenter les gaz à effet de
serre dans l'atmosphère. Quand on sait que l'objectif de Kyoto
d'arriver à une baisse de 5 à 8% n'a pu être atteint, on se rend
compte de la difficile tâche à accomplir. Il y a aujourd'hui deux
voies à suivre. Miser davantage sur les énergies renouvelables,
même si elles n'ont pas encore un grand potentiel pour le moment.
Il faudrait aussi davantage parler des économies d'énergie, le
secteur où les gains pourraient être les plus importants, sans même
fournir de gros efforts.



Quel est le plus grand problème?



L'essentiel des émissions provient des carburants fossiles. Si on
veut réduire de 50% les premières, il faudrait baisser d'autant les
seconds. Et on ne semble pas en mesure d'y parvenir, même avec un
baril à 100 dollars. En Suisse, par exemple, les initiatives
environnementales sont généralement acceptées, à part celles qui
touche à la voiture.



Et les meilleures solutions?



Consommer moins d'énergie, pour les déplacements et les
équipements, et éviter les appareils en stand by: 10-15% de
l'électricité sert à les alimenter! En ajoutant l'énergie utilisée
pour les déplacements inutiles, on arrive à 30%!



Le processus décisionnel n'est-il pas trop lent, alors
que la dégradation du climat est perçue comme
rapide?




Les scientifiques ont perdu une génération à essayer de convaincre
les décideurs que le problème est lié à l'homme. Il serait
souhaitable qu'on n'en perde pas une autre pour agir. Et les
décisions de maintenant seront déterminantes dans 50 ou 100
ans.



La faute aux politiciens?



Le monde politique n'est pas toujours très fiable, car très
opportuniste. Par exemple, lors des dernières élections fédérales,
tout le monde parle climat avant le vote. Mais après il n'y a
souvent plus grand-chose.



Comment conclure?



D'ici la fin du siècle, un été sur deux risque d'être aussi chaud
qu'en 2003. Et six hivers sur dix aussi doux qu'en 2006-07. Des
chiffres qui veulent tout dire.



Swisstxt/Frédéric Boillat

CONTROLER L'ACTIVITE HUMAINE OU LAISSER
FAIRE?




Y a-t-il maintenant unanimité totale sur la
responsabilité humaine dans le réchauffement?




Martin Beniston: Oui. Beaucoup
d'études, et surtout le rapport du GIEC, ont été déterminantes pour
y parvenir. Mais l'homme n'est pas seul responsable. Toutefois, les
volcans et l'énergie solaire, aussi "coupables", ne peuvent être
contrôlés, contrairement à l'activité humaine.

En raisonnant par l'absurde,
ne pourrait-on pas se dire qu'il faut laisser aller sans être trop
restrictif et se concentrer sur les
conséquences
?



Martin Beniston: Ce serait jouer à la roulette russe! Plus le
climat se réchauffera, plus les impacts seront importants tant sur
l'environnement que sur l'économie. Il faudra de plus mettre des
stratégies d'adaptation en place. Et attendre la fin du pétrole
serait grave car le niveau de carbone dans l'atmosphère sera
tellement haut que le régime climatique sera complètement
changé.

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La Suisse et le climat

Et la Suisse? Que dire à sont sujet?

Martin Beniston: Dans les années 90, la Suisse était parmi les bons élèves et était à la limite plus active qu'aujourd'hui. Depuis lors, la polarisation de la politique a empêché une avancée rapide.

La Suisse s'est maintenant fait rattraper par l'UE, qui a accéléré le mouvement. Et dorénavant, Berne s'aligne sur Bruxelles et elle a tout intérêt à le faire car sa position n'est pas mauvaise, notamment avec la réduction des émissions de 50% d'ici 2050.

Mais la Suisse a néanmoins pris des engagements ces dernières années et des réflexions positives sont en cours sur l'approvisionnement énergétique.

En résumé, si Berne pourrait faire un peu mieux, elle n'est pas particulièrement à la traîne.

Pour rappel, Moritz Leuenberger a prévu un plan d'économie d'énergie avec diverses mesures (normes d'économie dans la bâtiment, électroménager moins gaspilleur, ampoules à incandescence interdites, taxes voitures,...).

L'initiative "Pour le climat sain" a récolté en peu de temps les signatures requises. Le texte demande une baisse de 30% des émissions d'ici 2020 par rapport à 1990.

Al Gore et le Prix Nobel

Un mot sur le Prix Nobel attribué à Al Gore et au GIEC. Le climat est-il véritablement un enjeu de paix?

Martin Beniston: Indirectement oui. Le changement climatique tel qu'il pourrait se produire pourrait avoir de vastes conséquences, sur l'eau potable, la montée des océans, l'agriculture, la sécurité alimentaire.

La perte de certaines ressources pourrait vite mener à des conflits, comme c'est déjà le cas dans certains pays: l'eau pose déjà des problèmes importants au Moyen-Orient ou entre l'Egypte et ses voisins africains.

Et les populations les plus pauvres seront les plus touchées, comme on l'a vu avec Katrina à La Nouvelle-Orléans en 2004. Laisser faire exacerberait encore les conflits. Et réfléchir au réchauffement permet de se prémunir.

De plus, la disparition des petites îles du Pacifique à cause de la montée des océans est une réalité à ne pas occulter.

Les changements climatiques auront aussi assurément des conséquences sur la santé et sur l'économie, notamment pour le tourisme, ce qui pourrait aussi mener à des tensions. La végétation sera également changée dans une large mesure, et notamment en Suisse.

Ce Nobel est aussi un moyen de dire clairement que le problème climatique est réel et qu'il s'agit maintenant d'arrêter de tergiverser et de réfléchir aux impacts négatifs.