Jamais YouTube n'avait supprimé autant de vidéos en un trimestre: 11,4 millions de productions ont été modérées par la plateforme entre avril et juin 2020, selon le dernier rapport en date de l'entreprise américaine.
Si la démarche semble être monnaie courante, la suppression ou la modération d'un contenu diffusé par une chaîne de service public de la part de YouTube peut surprendre. C'est ce qui est arrivé à deux vidéos produites par l'émission de la RTS Géopolitis.
La première vidéo, portant sur la situation du Covid-19 en Chine, a été supprimée par la plateforme après sa diffusion en février 2020. La deuxième, abordant la répression policière en Russie, a été soumise à une restriction d'âge de plus de 18 ans.
Coproducteur de l'émission, Jean-Philippe Schaller réagit: "Ce cas de figure est problématique, car il démontre que nous n'avons aucune maîtrise de nos contenus sur la plateforme. Nous n'avons reçu aucun avertissement préalable et nous ne comprenons pas ce qui légitime cet acte".
Rappelons que l'entreprise interdit les contenus à caractère violent, haineux ou pornographique. Elle s'engage aussi à lutter contre les fausses informations ou les pratiques trompeuses.
Covid-19 et algorithmes
Le nombre élevé de suppressions peut s'expliquer par plusieurs facteurs. Dans un premier temps, la crise du Covid-19 a conduit la plateforme à réduire ses modérateurs humains à partir de mars, privilégiant une automatisation poussée de son système d'algorithmes.
Depuis l'apparition de la pandémie, le site d'hébergement a aussi édicté des conditions concernant le coronavirus. Dans un article récent, la plateforme explique qu'elle ne tolère pas "la diffusion de désinformation au sujet du coronavirus, la diffusion de contenus trompeurs sur le traitement, la transmission, le diagnostic ou la prévention du Covid-19". Exemple marquant: le documentaire polémique "Hold-up" a récemment été retiré de la plateforme, car il était jugé non-conforme au règlement.
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Limites floues
Mais une proportion importante des contenus supprimés ne viole aucune règle, selon le responsable des produits chez YouTube Neal Mohan, interrogé sur le sujet dans le "Financial Time".
C'est le cas de la vidéo de Géopolitis, qui n'enfreint pas la déontologie de la charte Youtube. Ce genre de cas de figure semble donc poser des limites sur l'utilisation à grande échelle des algorithmes.
Le secrétaire général suisse de Reporters sans frontières, Denis Masmejan, s'interroge: "On a toujours émis de grandes réserves sur ces mécanismes d'algorithmes, qui permettent à YouTube de faire la police sur leurs contenus. Cela pose une vaste question: quelle est la légitimité d'une plateforme privée et commerciale de filtrer ses contenus, même si cela part de bonnes intentions?"
"On peut comprendre la démarche quand les contenus ne respectent pas les conditions générales, mais c'est plus difficile à expliquer quand il s'agit d'un contenu de qualité, produit par une chaîne d'un média de service public", poursuit Denis Masmejan.
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Pas de nuances
Anna Jobin, chercheuse à l'Institut Alexander von Humboldt pour l'internet et la société, éclaircit certains points: "YouTube a bel et bien le droit d'agir, selon ses propres règles. Ce qu'il faut aussi comprendre, c'est que son siège est en Californie, donc dans un endroit géographiquement éloigné de chez nous, loin de notre contexte local. L'entreprise peut avoir des valeurs culturelles et juridiques qui ne sont pas forcément compatibles avec les nôtres."
Difficile aussi de conjuguer capacité humaine et systèmes automatisés pour la chercheuse. "Quand la vie humaine est soumise à des règles algorithmiques et numériques très strictes, les nuances sont écrasées."
Sarah Jelassi