La France a mené cette semaine son tout premier exercice militaire dans le domaine spatial. Nom de code: "AsterX 2021". Une soixantaine de spécialistes ont dû gérer 18 crises virtuelles, comme des tirs d'armes antisatellites, des débris spatiaux qui chutent et menacent la population ou encore de l'espionnage spatial.
Des faits qui n'ont rien d'utopique. En 2018, la France avait accusé la Russie d'avoir tenté d'espionner son satellite militaire Athena-Fidus directement depuis l'espace. Le vaisseau russe Luch-Olymp, connu pour sa capacité d'écoute, s'était approché d'un peu trop près.
"Essayer d'écouter vos voisins n'est pas seulement inamical, c'est un acte d'espionnage", avait affirmé la ministre française de la Défense Florence Parly. Dans la foulée, en 2019, le commandement militaire de l'espace (CDE) a été créé à Toulouse, devenant ainsi officiellement la seconde armée spatiale, après les Etats-Unis.
La présence militaire dans l'espace plus transparente
"On sait très bien que la Russie a développé des activités spatiales militaires dès le début des années 60. La Chine a conduit des manœuvres militaires dans l'espace", relate Philippe Achilleas, directeur du Master des activités spatiales à l’Université Paris-Saclay, vendredi dans La Matinale.
"La France et les USA ont fait un pas supplémentaire en annonçant officiellement la création de leurs armées. Cela vise à décomplexer la communauté spatiale face à la question militaire. C'était un sujet tabou. On était gêné par la grande proximité entre le spatial scientifique et le spatial militaire".
Pour la période 2019-2025, la stratégie française de défense spatiale dispose d'une enveloppe de 5 milliards d'euros. La Space Force américaine annonce, elle, un budget annuel de près de 25 milliards de dollars.
Tout pour les données
Mais il ne s'agit pas de soldats astronautes équipés de lasers. Pour l'instant, les interventions se font depuis la Terre, avec des ordinateurs. Il s'agit avant tout de protéger les données sensibles.
"L'enjeu du spatial reste un enjeu de données", estime Philippe Achilleas. "On connaît l'importance stratégique des datas dans les relations internationales. On doit protéger nos satellites comme nos infrastructures 5G ou nos câbles sous-marins. C'est la même logique".
Et en Suisse?
En Suisse, il existe également une cellule de l'armée qui s'intéresse au spatial. L'Armée de terre s'occupe de divers aspects tels que les menaces, les applications et les services liés à l'espace depuis plusieurs années, affirme une porte-parole du Département fédéral de la défense.
Les militaires experts de la question sont soutenus par des miliciens issus de la science et du secteur privé. La Suisse ne dispose pas officiellement de satellite à protéger. Mais quelle protection existe pour les satellites des entreprises privées suisses ou des universités? La Suisse ne prend aucune mesure de protection active et compte sur les règles du droit international sur l'utilisation de l'espace.
Pascal Wassmer
Un accès au satellite espion français CSO
L'exercice français arrive alors que lundi le Conseil des États a évoqué un message du Conseil fédéral demandant 82 millions pour un accès au satellite espion français CSO (pour Composante spatiale optique). Pourquoi recourir au matériel d'une armée étrangère?
Ce message dit notamment ceci: "À l’heure actuelle, la Suisse se procure les images satellites dont elle a besoin auprès de fournisseurs commerciaux. Or la résolution de ces images n’atteint pas la qualité de celles produites à des fins de renseignement. En outre, la Suisse dépend de la performance et de la disponibilité de ces fournisseurs. Enfin, cette façon de faire oblige les services de renseignement à divulguer leurs centres d’intérêt et leurs priorités à des tiers et à utiliser des canaux de communication non sécurisés."
L'armée suisse dépend donc aujourd'hui d'entreprises privées pour prendre des photos par satellite. Le système français est lui composé de trois satellites espions. Le constructeur du téléobjectif disposé dans le satellite, Thales Alenia Space, affirme qu'il s'agit de l'appareil photo le plus puissant jamais construit en Europe.
Selon l'armée française, CSO peut faire des prises de vue classiques ou en 3D en très haute résolution, de jour comme de nuit. A terme, le dispositif pourra prendre jusqu'à 800 photos par jour.