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Les espèces invasives responsables de coûts économiques exorbitants

Des frelons asiatiques sur leur nid. [AFP - Alain Jocard]
L'énorme coût des espèces invasives: interview de Daniel Cherix / Le 12h30 / 5 min. / le 14 avril 2021
Les invasions d'espèces exotiques coûtent à l'humanité des sommes "phénoménales", "grandissantes" et pourtant méconnues, d'après une récente étude. Selon les chercheurs, la problématique ne fait que commencer. En Suisse aussi, le phénomène préoccupe.

L'étude publiée fin mars dans la revue Nature dresse un bilan "alarmant", quoi que probablement "sous-estimé". Emportées volontairement ou non par l'humain hors de leur écosystème d'origine, ces espèces qui deviennent nuisibles pour leur nouvel habitat ont coûté au moins 1288 milliards de dollars depuis 1970, soit une moyenne de 26,8 milliards de dollars par an.

Cela concerne autant les plantes et insectes que les oiseaux, poissons, mollusques, micro-organismes ou encore les mammifères. Une partie des coûts est liée à la lutte contre leur prolifération, mais les dégâts que les invasifs provoquent, sur terre ou dans l'eau, pèsent dix à cent fois plus lourd, selon l'étude qui s'appuie sur l'analyse de milliers de données rassemblées dans la base InvaCost.

>> Réécouter le sujet de CQFD sur le prix exorbitant des espèces envahissantes :

Le longicorne asiatique a des répercussions sur de nombreuses espèces d’arbres en Europe.
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Le prix exorbitant des espèces envahissantes / CQFD / 9 min. / le 2 avril 2021

Ces dégradations touchent tous les écosystèmes, comme les forêts américaines attaquées par le longicorne asiatique, mais aussi les pêcheries ou l'agriculture australienne, victime du lapin.

Les infrastructures sont également menacées par les termites, les canalisations bouchées par la moule zébrée dans les grands lacs américains ou encore la valeur immobilière de terrains à Hawaï dépréciés par la grenouille coqui dont le chant à deux notes peut atteindre 100 décibels.

Le pire est à venir

La hausse des espèces invasives s'explique en partie par l'augmentation des recherches sur ce sujet, mais pas uniquement. "Des études montrent une augmentation exponentielle des espèces introduites", insiste Franck Courchamp, directeur du laboratoire Ecologie, Systématique et Evolution à Paris.

Le rapport des experts de l'ONU sur la biodiversité de 2019 - rédigé par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) - classe les espèces exotiques envahissantes parmi les cinq principaux coupables de la destruction de la nature, derrière l'utilisation des terres, l'exploitation directe des ressources, le changement climatique et la pollution.

>> Relire : Jusqu'à un million d'espèces menacées d'extinction à cause de l'Homme

Le document souligne notamment une hausse du nombre des espèces envahissantes de 70% depuis 1970 dans 21 pays examinés. Et le pire est peut-être à venir, s'inquiète Franck Courchamp, qui participe au futur rapport de l'IPBES sur ces espèces invasives.

"Le commerce international et le changement climatique vont faire que de plus en plus d'espèces vont être introduites et s'établir. Les coûts risquent alors d'augmenter au moins aussi vite, voire plus dans le futur", met-il en garde.

Les chercheurs espèrent que la monétisation de l'impact de ces espèces permettra de mieux faire connaître ce problème au grand public et aux décideurs, pointant du doigt l'opportunité de limiter les dégâts et les coûts par des mesures de prévention moins coûteuses, comme une détection précoce.

Un phénomène également observé en Suisse

En Suisse, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) a également effectué une étude sur le coût des espèces invasives. L'estimation des dépenses s'élève à 170 millions de francs pour le pays. La biodiversité souffre principalement de la problématique.

Face aux coûts avancés par l'étude parue dans la revue scientifique, le biologiste et professeur honoraire à l'Université de Lausanne Daniel Chérix, invité dans le journal du 12h30, n'est pas étonné: "On est probablement loin en dessous de la réalité puisqu'on estime que dans quelques années, en comparaison avec les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et la Chine par exemple, le coût des espèces invasives va dépasser le coût de ces échanges."

>> Revoir le sujet du 19h30 concernant l'impact des espèces invasives sur les écosystèmes suisses :

Biodiversité, les espèces invasives un fléau pour la nature en attendant de les intégrer
Biodiversité: les espèces invasives un fléau pour la nature en attendant de les intégrer / 19h30 / 3 min. / le 30 juin 2018

Depuis une centaine d'années, les espèces exotiques arrivent en Suisse par le biais du commerce international et à cause des contrôles insuffisants aux frontières, estime Daniel Chérix. "Le plus souvent, les espèces s'installent très lentement et, d'un coup, elles commencent à exploser".

Plusieurs risques possibles

Selon le spécialiste, le fait que plusieurs espèces asiatiques, telles que les coccinelles ou les frelons, prolifèrent particulièrement bien en Suisse est dû à des similitudes au niveau du climat, même si de manière générale les espèces invasives sont capables de s'adapter aux changements climatiques.

"Pour certaines espèces, comme chez les fourmis, il y a une compétition directe qui s'installe et les espèces invasives vont éliminer les locales, explique Daniel Chérix. Mais en dehors des problèmes sur la biodiversité, il y a aussi des problèmes économiques liés à l'agriculture, comme la punaise diabolique qui s'attaque aux fruitiers, et surtout des problèmes de santé" puisque certains animaux peuvent être porteurs de virus pour lesquels nous n'avons pas de vaccin.

>> Lire aussi notre grand format : La biodiversité en danger en Suisse: "une crise plus grave que celle du réchauffement climatique"

Quant aux autorités politiques, le biologiste constate que des efforts sont bel et bien fournis pour lutter contre la problématique, mais le processus prend du temps à se mettre en place.

Isabel Ares avec ats

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Rats, moustiques tigres et serpents arboricoles

Selon les données incomplètes d'InvaCost, parmi les espèces les plus coûteuses, se trouvent les rats, le bombyx disparate asiatique qui attaque les arbres dans tout l'hémisphère Nord, la fourmi de feu au venin mortel et surtout les moustiques transmettant des maladies.

Ainsi, le moustique tigre venu d'Asie du Sud-est est l'une des pires espèces invasives au monde, arrivé notamment en Europe avec le chikungunya, la dengue et le zika.

Outre l'"ampleur phénoménale" des coûts, "ce qui est assez inquiétant, c'est qu'ils sont en croissance constante depuis 1970, avec un coût annuel moyen qui double tous les six ans et qui triple toutes les décennies", explique l'auteur principal de l'étude Christophe Diagne.

Les chercheurs appellent par ailleurs à combler le manque de données, notamment sur des invasions plus récentes, comme la chenille légionnaire d'automne venue du continent américain qui a ravagé les cultures en Afrique avant de s'envoler vers l'Asie puis l'Australie. "Il est probable que cette espèce soit plus coûteuse au final que les dix qu'on a listées", estime le directeur Franck Courchamp.

Dans le top 10 de l'étude figurent aussi des espèces plus surprenantes, comme le serpent brun arboricole introduit par accident à Guam et qui a non seulement décimé oiseaux et lézards de l'île, mais aussi court-circuité des installations électriques, raconte le scientifique.

Enfin, le chat est également listé comme espèce invasive. Si l'animal domestique "qui a suivi les marins quand ils exploraient la planète" est un cas "un peu particulier", il est malgré tout "envahissant dans presque toutes les îles du monde", note le chercheur, décrivant un prédateur redoutable pour les oiseaux ou reptiles pas préparés.