Variant indien et flambée des cas à New Delhi, l'épidémie est hors de contrôle
Les habitants de la ville de New Delhi ont été reconfinés lundi pour tenter de contenir un nouveau variant, que les médias locaux ont surnommé "double mutant". Dans la capitale indienne, la plus touchée du pays, les malades du Covid-19 manquent de tout. Les centres de test et les hôpitaux débordent, tout comme les crématoriums. (Lire le témoignage de notre correspondant en encadré)
Mohammad Shahin, gardien du plus grand cimetière musulman de New Delhi, voit défiler les morts depuis une dizaine de jours. "Rien qu'hier, on a reçu vingt corps, et le soir j'ai dû en renvoyer trois autres. Les familles doivent revenir aujourd'hui", affirme-t-il au 19h30 de la RTS. Jusqu'à 25 enterrements par jour dans ce cimetière, c'est du jamais vu depuis le début de l'épidémie.
Propagation fulgurante
Durement touchée durant la première vague, l'Inde se croyait pourtant sur la voie de l'immunité collective. Mais après des semaines d'accalmie, le virus circule désormais à une vitesse fulgurante: 315'660 cas déclarés ces dernières 24 heures. Un record mondial depuis le début de la pandémie. Le système de santé ne parvient plus à suivre et les morts se comptent par milliers. L'Inde recense officiellement plus de 2000 décès par jour.
L'un des responsables de cette détresse sanitaire s'appelle B.1.617, ou variant indien. Repéré pour la première fois le 5 octobre 2020 près de Nagpur, dans l'Etat du Maharashtra, au centre du pays et qui abrite la capitale financière Bombay, le variant B.1.617 se trouve déjà dans 60% des échantillons prélevés, a indiqué Sujeet Singh, directeur du Centre national de contrôle des maladies (NCDC) au journal The Indian Express. Il est toutefois trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l'étendue du variant, car trop peu d'échantillons ont été séquencés jusqu'à présent.
Deux mutations connues
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le variant B.1.617 dans la catégorie VOI ("variant of interest" en anglais), soit des variants d'intérêt.
Il est qualifié de "double mutant" parce qu'il est notamment porteur de deux mutations préoccupantes au niveau de la protéine de pointe ("spike") du virus Sars-CoV-2.
La première, E484Q, est proche de la mutation déjà observée sur les variants sud-africain et brésilien (E484K). Elle est soupçonnée d'entraîner une résistance aux vaccins, notamment à adénovirus (AstraZeneca, J&J,...), et présenterait un risque accru de réinfection.
La seconde, L452R, est également présente dans un variant repéré en Californie, qui serait capable d'entraîner une augmentation de la transmission. C'est la première fois que ces deux mutations sont observées ensemble sur un variant ayant une diffusion importante.
Pour autant, rien ne prouve à l'heure actuelle que cette combinaison de mutations soit plus infectieuse et plus résistante aux anticorps issus d'une première infection ou d'un vaccin. Une étude est actuellement en cours dans trois laboratoires indiens et devrait apporter des réponses prochainement.
Relâchement des mesures
Le "double mutant" n'est pas le seul facteur pouvant expliquer les ravages du Covid-19 en Inde. Un relâchement des mesures sanitaires et les grands rassemblements qui ont eu lieu ces dernières semaines expliqueraient aussi la montée en flèche de cette deuxième vague.
Fin mars, de nombreuses personnes se sont en effet rassemblées pour le traditionnel festival Holi, bien qu'il ait été interdit dans plusieurs États, dont celui de New Delhi. D'autres événements de masse, comme la fête religieuse hindoue Khumb Mela, a drainé des millions de dévots depuis janvier. L'intensité de l'épidémie n'a pas non plus dissuadé de nombreux partis politiques d'organiser d'immenses rassemblements en vue des élections législatives dans plusieurs Etats du pays.
Hors des frontières indiennes
Hors des frontières indiennes, le variant B.1.617 a été détecté dans une quinzaines de pays, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou à Singapour, pour citer les plus touchés. La France, la Grande-Bretagne et les Emirats arabes unis ont déjà annoncé la suspension de tous les vols directs avec l'Inde.
En Suisse, il n'y a pour l'instant aucun cas identifié, selon un porte-parole de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP).
Feriel Mestiri
>> Les explications de Delphine Gianora:
Témoignage de notre correspondant en Inde
Interrogé vendredi dans l'émission Tout un monde, Sébastien Farcis, correspondant de la RTS, témoigne de l'ampleur de la crise en Inde. Il explique la surcharge dans les hôpitaux, où il faut entre 2 et 4 jours pour être admis. "Et encore faut-il avoir des contacts avec des médecins ou des officiels pour dépasser les longues filles d’attente."
L'oxygène vient maintenant à manquer, raconte Sébastien Farcis. Les plus grands hôpitaux de New Delhi n’ont que quelques heures de réserve. Un établissement a même dû renvoyer des patients car il n’avait plus que 15 min d’oxygène en stock. Mercredi, dans le sud du pays, un réservoir surchauffé d’oxygène a fui, et entraîné la mort de 24 patients en quelques minutes.
Pénurie mortelle d'oxygène
Même si le pays a augmenté sa production d’oxygène ces dernières semaines, cela n'a pas été suffisant au vu de la situation. "Aujourd'hui, plus d’un patient Covid sur deux en a besoin, ce qui est bien plus que lors de la précédente vague. Depuis jeudi, la production destinée aux industries non-essentielles a été détournée vers les hôpitaux, mais il faudra encore plusieurs jours avant que cela atteigne les patients qui, en attendant, pourraient mourir de ce manque."
Vaccination étendue à toute la population adulte
Pour pallier la crise, le gouvernement indien a annoncé que la vaccination serait étendue à tous les adultes à partir du 1er mai. Pour l'instant, celle-ci est réservée aux plus de 45 ans, aux médecins et policiers. Avec 600 millions de personnes qui pourraient y prétendre, cette mesure risque d'empêcher les personnes les plus vulnérables d'accéder au vaccin. L'Inde ne dispose que de 80 millions de doses par mois, qu'elle produit elle-même. Cette capacité devrait doubler d'ici juillet, mais cela ne sera toujours pas suffisant.
Un mélange de panique et de désespoir
Quant au climat ambiant, Sébastien Farcis le qualifie de "mélange de panique et de désespoir. On a l'impression que le système hospitalier s'est complètement effondré. Les réseaux sociaux débordent d’appel à l’aide, de demandes de lits, d’oxygène. Les numéros de médecins ou de vendeurs de bouteilles se refilent comme de l’eau en pleine sécheresse."
"C’est affolant de voir à quelle vitesse les grandes villes indiennes ont été balayées par ce virus. En dix ans ici je n'ai jamais vu cela. Tout le monde connaît quelqu’un infecté, plus ou moins gravement. La belle mère d’un de mes meilleurs amis, par exemple, attend un lit en soins intensifs. La propagation est tellement plus forte qu’avant, que tous ceux qui peuvent font comme moi: on ne sort plus, en espérant que cette vague se calme dans quelques jours, ou quelques semaines."