Pour Facebook, propriétaire d'Instagram, les jeunes sont une priorité. L'entreprise veut proposer un réseau social sécurisé pour que les jeunes de moins de 13 ans puissent se connecter avec leurs amis sous la supervision des parents, en leur proposant des contenus adaptés à leur âge.
Tiziana Bellucci, directrice générale de la fondation Action innocence, très présente dans les écoles suisses, juge les intentions du géant technologique claires: officiellement ce projet est présenté comme un moyen de proposer aux enfants une expérience plus sûre, mais pour la fondation "les raisons sont purement commerciales".
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"Avoir des enfants de moins de 13 ans, c'est les fidéliser et capter des utilisateurs de plus en plus jeunes afin de s'assurer qu'ils vont continuer à utiliser Instagram par la suite, et ne pas se reporter sur TikTok ou Snapchat qui sont des concurrents", estime la directrice.
"C'est déjà difficile avec les adolescents d'essayer de leur faire prendre du recul, d'avoir un esprit critique sur ce qu'ils font et comment ils le font, alors imaginez à 8-9 ans", s'inquiète Tiziana Bellucci pour qui le projet, s'il aboutit, fera la promotion d'une culture de partage qui pousse les enfants à se mettre en scène.
Interdire n'est pas forcément la solution
Chez les pré-adolescents, le réseau social Instagram existant est déjà très populaire, certains mentant même sur leur âge pour s'y inscrire, parfois avec l'accord des parents. D'après une enquête réalisée par l'association française Génération Numérique auprès de 6500 jeunes de 11 à 18 ans, 62% des 11-12 ans sont inscrits sur un réseau social.
"Offrir un outil au moins de 13 ans qui soit adapté à leur âge et qui permette d'éviter les connections avec des personnes qui sont plus âgées, voire adultes, ce n'est peut-être pas une mauvaise solution", considère le délégué général de l'association Cyril Di Palma.
Selon lui, les efforts doivent avant tout porter sur l'encadrement parental. "Il faut remettre l'éducation au milieu, affirme Cyril Di Palma. Un parent qui autonomise progressivement son enfant va avoir sa part à jouer sur son indépendance numérique."
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La directrice Tiziana Bellucci craint quant à elle qu'avec un réseau qui se dit sécurisé, l'inverse se produise, et que la vigilance parentale soit émoussée et le dialogue familial inexistant.
La sécurité au coeur des préoccupations
Au-delà des questions sur la supervision parentale, les réseaux sociaux posent aussi des problèmes liés au cyberharcèlement, à la sécurité ou encore à la confidentialité. Certaines enquêtes aux Etats-Unis ont démontré que le harcèlement des 12-20 ans sur Instagram est très élevé.
Le réseau social dit vouloir prendre des mesures, mais beaucoup d'associations ne lui font pas confiance, surtout lorsqu'il est question de créer une nouvelle plateforme réellement sécurisée.
D'autant plus que celles destinées aux plus jeunes qui existent déjà, comme Messenger Kids ou YouTube Kids, ont connu des problèmes car elles collectaient des données personnelles des enfants sans le consentement des parents.
Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web: Isabel Ares
Protection des données
Pour les géants du numérique, les données personnelles des utilisateurs sont une manne. L'application chinoise TikTok de microvidéos est par exemple accusée au Royaume-Uni de collecter illégalement les informations privées de millions d'enfants britanniques et européens.
"La politique de confidentialité de TikTok est très opaque, explique Tom Southwell de la firme Scott and Scott qui représente la partie plaignante. Nous pensons qu'ils se servent de données dont ils n'ont pas besoin, principalement pour les vendre à des annonceurs."
"Dans de nombreux pays européens, les jeunes en dessous de 16 ans, et en dessous de 13 ans en Grande-Bretagne, ne peuvent pas donner leur consentement pour l'utilisation de leurs données sans l'accord de leurs parents, ajoute Tom Southwell. TikTok ne respecte pas ces obligations en n'obtenant pas un vrai consentement et en ne disant pas aux utilisateurs ce qu'ils collectent et dans quel but."
Si cette plainte aboutit devant la Haute cour de Londres, le groupe chinois pourrait devoir verser des millions de livres de dédommagements. Les associations de protection des enfants saluent cette action en justice, mais attendent de voir quel sera son impact car les jeunes sont et resteront une cible prioritaire pour les géants du numérique.