"Je suis Claude Nicollier, seul et unique astronaute suisse jusqu'ici, et je cherche quelqu'un pour me succéder. J'ai porté ce flambeau pendant 43 ans depuis ma sélection en 1978 dans le cadre des projets de l'Agence spatiale européenne. Il est temps pour moi de passer ce flambeau. Bonne chance."
Ce message de l'astronaute suisse, premier Suisse de l'espace en 1992, figure sur la page du Secrétariat à la formation, à la recherche et à l'innovation, dont dépend le Swiss Space Office, l'agence spatiale helvétique.
Alors que l'Agence spatiale européenne (ESA), dont la Suisse est membre, a lancé une campagne de recrutement pour trouver de nouveaux astronautes, la Suisse souhaite maximiser ses chances d'avoir un élu dans ses rangs. Le Swiss Space Office organise ce mardi avec l'ESA un événement d'information en ligne dans le but de fournir plus de détails sur les exigences et le processus de candidature. Deux astronautes vont partager leurs expériences dans l'espace, leurs formations et leur vie quotidienne avec les participants, qui pourront poser leurs questions sur la manière de devenir astronaute (il est possible de s'inscrire via un formulaire en ligne).
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Candidatures possibles jusqu'à fin mai
La dernière sélection de l'ESA a eu lieu en 2009, quand six astronautes avaient été recrutés, un septième étant ajouté quelques années plus tard. Actuellement, au vu des activités spatiales européennes, l'agence a besoin de davantage d'astronautes pour couvrir les besoins de la Station spatiale internationale et participer au programme Artemis, qui vise un retour sur la Lune pour les États-Unis et une exploration lunaire pour la première fois pour l'Europe. Les jeunes recrues auront ainsi vocation à voler dans un premier temps vers l'ISS et dans un deuxième temps à participer aux futures missions lunaires.
Les candidatures peuvent être déposées sur le site de l'Agence spatiale européenne entre les 31 mars et 28 mai 2021, l'ESA encourageant fortement les femmes à postuler. Commencera alors un long processus avec diverses étapes de sélection, tout d'abord au niveau cognitif et psychologique jusqu'à fin 2021. Ceux qui auront passé ce premier écueil passeront des tests médicaux au début 2022 avant des entretiens. Le tout durera un peu moins de 18 mois et la décision finale sera annoncée courant 2022.
Les candidates et candidats retenus rejoindront le Centre européen des astronautes situé à Cologne, en Allemagne, pour y suivre l’entraînement de base des astronautes. Commencera alors un long labeur avec des années de préparation, essentiellement sur Terre, avant un éventuel décollage pour l'espace plusieurs années plus tard.
"Je souhaite très fortement que des Suisses et Suissesses aillent jusqu'au bout et qu'on aie, après Nicollier, qui a pris sa retraite et qui lentement s'éloigne du groupe, un ou une astronaute suisse, ou les deux, à la fin de l'année prochaine", a confié Claude Nicollier, 76 ans, lundi dans l'émission T.T.C.
Passionné, en bonne santé et la tête sur les épaules
Dans la vidéo publiée par Swiss Space Office, Claude Nicollier livre également conseils et recommandations aux futurs candidats et candidates. "Pour faire ce métier, il faut être passionné, car c'est le début d'une grande aventure", confie-t-il. Mais au-delà de la fibre spatiale, il faut tout de même remplir certains critères, et en premier être citoyen d'un Etat-membre de l'ESA.
Par ailleurs, l'une des conditions de base est un diplôme universitaire dans un des domaines des sciences, de l'ingénierie ou de la médecine, avec trois ans d'expérience professionnelle. Il faut en outre être en bonne santé, surtout au niveau cardiovasculaire et avoir une vision parfaite, qui peut toutefois être atteinte via des lunettes ou des verres de contact. Et le formulaire de candidature de préciser d'autres critères: "Anglais courant, bonne connaissance d’une autre langue, la tête bien sur les épaules."
Sur ce dernier point, Claude Nicollier précise que pour devenir astronaute, il faut savoir gérer les problèmes au niveau personnel et professionnel, mais surtout qu'il faut avant tout servir les objectifs de la mission plutôt que les siens: "Les astronautes sont des ambassadeurs de l'humanité, il faut mettre de côté son ambition personnelle, il faut avoir une certaine modestie, il faut être humble. On a cette responsabilité d'accomplir en groupe un objectif souvent difficile et qui prend du temps."
Le Vaudois compare aussi cette sélection à un examen universitaire: si on veut être sûr de le passer, il faut se préparer. "Et il faut avoir la soif d'apprendre: un médecin doit devenir un peu ingénieur et inversement." Cet investissement à temps plein demande aussi des sacrifices au niveau de la vie privée, de la famille ou des loisirs. Enfin, dernier critère important selon Claude Nicollier, il faut savoir bricoler et réparer sans difficulté car "sur l'ISS, s'il y a des travaux de plomberie à effectuer, on ne peut pas compter sur un plombier".
Une expérience hors du commun
"Des volontaires pour devenir nos nouveaux collègues? Lancez-vous!!", avait tweeté l'astronaute français Thomas Pesquet lors de la présentation du projet en février dernier, assurant encore avant de s'envoler cette semaine vers l'ISS que l'expérience valait la peine.
Reste à convaincre les Helvètes de se lancer dans l'aventure. Pour y parvenir, Claude Nicollier exhibe deux photos sur le plateau de T.T.C.: la première représente la Terre vue de la Lune, "c'est tellement beau, tellement magnifique". La seconde est celle de la fusée bien connue de Tintin, "c'est mythique, c'est mon inspiration, j'avais dix ans quand ce livre a été publié en 1954".
Car si le rôle principal des astronautes est au final de remplacer les scientifiques qui restent au sol et d'accomplir des expériences scientifiques, ce qui les fait vivre selon le natif de Vevey, "c'est ce mélange de sensations de vivre une expérience totalement unique et hors du commun". Et marcher sur la Lune, probablement au début des années 2030 pour les nouveaux aspirants astronautes, est assurément hors du commun.
Interview TV: Loïs Siggen-Lopez
Adaptation web: Frédéric Boillat
"Faire partie de la grande aventure de l'exploration spatiale"
"Bien sûr que c'est un rêve d'enfant, mais je postule aussi pour faire partie de cette grande aventure de l'exploration spatiale", raconte lundi sur le plateau de T.T.C. Florian Gallien, qui va s'inscrire à l'ESA. Et même s'il explique "aimer partager avec le public", l'aspect "rock star" des astronautes n'est pas sa motivation première.
Quant aux critères importants pour devenir astronaute, Florian Gallien évoque avant tout "la passion pour l'espace". "Il faut aussi être en forme, avoir un bon système cardio-vasculaire et une très bonne vision, mais ils ne cherchent pas de superman!" A la question de savoir si les robots ne pourraient pas effectuer le travail des humains dans l'espace, il rétorque que "l'intuition entre parfois en ligne de compte, et les robots n'en ont pas."
Le candidat explique également que le salaire des astronautes est basé sur la grille salariale des ingénieurs de l'ESA et qu'il se situe entre 5000 et 10'000 euros mensuels selon l'expérience.
"La Suisse est une nation spatiale"
"La Suisse est une nation spatiale, cela ne fait aucun doute, c'est un acteur petit, mais important", se plaît à rappeler Claude Nicollier dans l'émission T.T.C.. La Suisse est en effet l'un des 22 membres de l'Agence spatiale européenne et elle en était même l'un des pays fondateurs en 1975.
Et si la Confédération ne représente que 3,5% de l'ESA, ses activité spatiales y sont très appréciées, parce qu'il existe en Suisse de nombreux talents reconnus, juge le Vaudois, qui cite les horloges atomiques du système Galileo fabriquées à Neuchâtel, le CSEM aussi à Neuchâtel ou encore RUAG à Zurich ou APCO à Aigle (VD). La Suisse participe aussi à la course à l'espace à travers les Ecoles polytechnique de Zurich et de Lausanne.
"Il y a toute une culture de la technologie en Suisse qui est très appréciée par l'ESA, comme la fiabilité, des systèmes qui fonctionnent, des contrats qui sont tenus au niveau des délais et des coûts", estime Claude Nicollier.
En tout, le spatial occupe plus de 200 entreprises en Suisse, pour plus de 1200 emplois au total. Cette activité est estimée à plus de 320 millions de francs par an.
Des firmes romandes dans la course
La véritable bataille économique immédiate se joue également au plus près de la planète, en orbite basse, avec des mini-satellites envoyés par dizaines. SpaceX en possède déjà 1500 et il y en aura trente fois plus d'ici quelques années, notamment pour installer internet à haut débit sur toute la surface du globe.
Mais sur cet enjeu aux perspectives de gains gigantesques, la Suisse ne peut pas régater avec les géants américains. Elle participe toutefois à la course à travers ses écoles polytechniques, ses startups et ses cerveaux.
Des satellites "romands" sont même déjà en orbite depuis le début de l'année et constituent le socle d'un futur "réseau global". Ils sont notamment pilotés depuis Renens (VD) par la firme Astrocast.
Une autre startup romande fait aussi parler d'elle: ClearSpace. Si elle n'a pas encore déployé son produit dans l'espace, elle vient de signer un contrat avec l'Agence européenne pour "nettoyer" les débris, ces dizaines de milliers d'objets périmés qui gravitent en orbite.