En Islande, des chercheurs sondent le souffle des baleines pour mesurer leur stress
Dans la baie de Skjálfandi, à quelques encablures d'Húsavík, les scientifiques de Whale Wise, un organisme pour la conservation marine, se préparent au décollage d'un drone depuis leur petit voilier.
Accrochées au châssis de l'aéronef, deux récipients cylindriques vont permettre de récolter les gouttelettes d'eau expulsées par la baleine à bosse.
"A partir de l'échantillon, nous pouvons examiner des hormones, telles que le cortisol, qui est une hormone liée au stress. Puis nous pouvons déterminer les niveaux de stress physiologique de ces baleines, décrit Tom Grove, cofondateur de Whale Wise, dans Tout un monde.
Collecter plusieurs échantillons
Par essence, la durée de l'échantillonnage est brève, le temps d'une respiration, d'autant que si les drones perturbent moins les cétacés que les navires, ils peuvent toutefois eux aussi troubler leur comportement.
Nous essayons aussi de collecter des échantillons dans différentes régions d'Islande, à différents moments de la journée, pour comprendre comment leurs niveaux de stress peuvent être liés au trafic maritime
Et Tom Grove d'ajouter: "Nous essayons aussi de collecter des échantillons dans différentes régions d'Islande, à différents moments de la journée, pour comprendre comment leurs niveaux de stress peuvent être liés au trafic maritime." Plusieurs échantillons d'une même baleine peuvent être collectés, précise Tom Grove, qui est également doctorant à l'Université d'Edimbourg.
L'objectif des chercheurs est de collecter un échantillon avant que les bateaux d'observation des baleines n'arrivent et attendre qu'ils viennent interagir avec les baleines pendant quelques heures. "Et puis, si nous sommes chanceux, nous reprenons un autre échantillon après. De cette manière, on peut examiner l'impact direct de cette rencontre sur le niveau de stress des baleines", explique Tom Grove, 26 ans.
Méthode inédite
Un double prélèvement "très rare", car il "faut des conditions optimales pendant plusieurs heures", selon le cofondateur de Whale Wise. Enveloppés dans un film plastique de paraffine et congelés, les prélèvements seront envoyés dans un laboratoire pour être analysés.
La méthode utilisée par Whale Wise cet été a déjà été employée ailleurs par des biologistes (lire aussi encadré), mais c'est la première fois que des scientifiques y recourent en Islande. "En termes d'examen des niveaux d'hormones dans ces échantillons de souffles, c'est très novateur. Nous avons donc de faibles a priori où nous nous attendons à ce que les niveaux de cortisol soient plus élevés quand il y a des excursions autour des baleines que quand il n'y en a pas. Mais nous ne pouvons pas vraiment en être certains", souligne Tom Grove.
Les baleines absorbent "énormément" de CO2
Depuis 2018, 59 souffles de baleines ont été collectés. Si seuls 50 seraient nécessaires pour rendre l'analyse pertinente, le scientifique espère en recueillir en tout une centaine.
Cet été, une partie des prélèvements ont été effectués avec une association environnementale française, Unu Mondo Expedition, présente en Islande pendant un mois pour une expédition sur les thématiques liées aux changements climatiques.
Les baleines sont importantes pour nous, pour vivre, parce qu'elles participent à un écosystème sur notre planète
"Les baleines sont importantes pour nous, pour vivre, parce qu'elles participent à un écosystème sur notre planète, souligne Sophie Simonin, 29 ans, cofondatrice de l'association. Elles absorbent aussi énormément de CO2", ajoute la militante écologiste.
D'après une étude de décembre 2019 du Fonds monétaire international, chaque grande baleine séquestre en moyenne 33 tonnes de dioxyde de carbone.
Jérémie Richard/vajo avec afp
Trois fois plus de touristes qu'il y a dix ans
De plus en plus de touristes se pressent pour les admirer, malgré une année quasi blanche en 2020 pour cause de pandémie de Covid-19.
En Islande, plus de 360'000 personnes sont parties en mer en 2019 dans l'espoir d'entrevoir des baleines pérégrinant dans les eaux argentées de l'Atlantique nord, trois fois plus qu'il y a dix ans.
Près d'un tiers d'entre eux ont choisi de voguer depuis Húsavík vers les eaux translucides de la baie de Skjalfandi.
L'étude la plus récente date de 2011
Les précédentes études de l'impact du tourisme sur les baleines, qui se fondaient sur des observations comportementales, avaient conclu à des perturbations mineures liées au tourisme baleinier.
La plus récente, en 2011, avait mis en lumière les troubles liés aux excursions sur les baleines de Minke - aussi appelées petits rorquals - en baie de Faxafloi, à quelques encablures de la capitale Reykjavik, plus au sud.
"Nous avons constaté que les petits rorquals étaient gênés pendant leur repas mais que ce n'était qu'une perturbation à court terme, rapporte l'une des auteurs de l'enquête, Marianne Rasmussen, qui dirige le Centre de recherche de l'Université d'Islande à Husavik. Cela n'a pas affecté (leur) forme physique générale".
Baleines encore chassées en Islande
Attraction touristique, la baleine est également chassée en Islande. La chasse commerciale à la baleine a été interdite en 1986 par la Commission baleinière internationale (CBI), mais l'Islande - qui s'était opposée à ce moratoire - l'a reprise dès 2003. Seule la chasse à la baleine bleue, interdite par la commission, l'est aussi en Islande.
Cependant, en dépit de quotas délivrés jusqu'en 2023, 209 prises pour le rorqual commun et 217 pour la baleine de Minke, aucun mammifère n'a été harponné en 2021, pour la troisième année consécutive.