Une étude publiée il y a quelques jours par la revue scientifique Nature montre que ces fumées ont provoqué la floraison d’une quantité impressionnante de microalgues. Les phytoplanctons, comme on les appelle, s’étalent sur une surface plus grande que l’Australie elle-même, en plein milieu de l’océan austral, aussi nommé "océan Antarctique".
Comment un nuage de fumée peut-il faire apparaître une forme de vie? L’un des coauteurs de cette étude, Joan Llort, de l'Université de Tasmanie, répond à cette question.
"Dans tous les types de fumée, il n’y a pas que des gaz, il y a aussi de petites particules solides", indique le chercheur. "C’est surtout de la matière organique, ce sont des parties d'arbre qui n’ont pas brûlé. Il y a un peu de nitrate, du substrat." Et il y a le fer, qui va jouer un rôle fondamental pour cette région de l'océan.
Dans ces eaux, il y a un fort manque de fer. Au point que, si on en ajoute une petite quantité, cela provoque une forte réponse des phytoplanctons.
La prolifération de ces microalgues après des incendies n’est en soi pas une découverte. Les scientifiques l’avaient déjà constatée, par exemple en Californie, dans des lacs ou des petits cours d’eau. Ce qui est vraiment nouveau, en revanche, c’est que ce phénomène s’est produit en pleine mer, et très loin du lieu des incendies.
Ce qui est vraiment inédit dans notre étude, c’est qu’entre les feux de l’Australie et l’endroit où l'on observe les phytoplanctons, il y a presque 10’000 km de distance.
Les phytoplanctons absorbent du dioxyde de carbone. Les chercheurs supposent donc que ce continent d’algues, créé par la fumée des incendies, a absorbé tout ou une partie des quantités énormes de CO2 qui ont été relâchées dans l’atmosphère. La question est de savoir ce que ce dioxyde de carbone est devenu après avoir été absorbé par les algues. Il y a deux possibilités théoriques.
"Soit le phytoplancton a été mangé par de petits animaux et le CO2 redevient un gaz qui retourne dans l’atmosphère", développe Joan Llort. "Du coup, il n’y a pas d’effet tampon."
Deuxième option: "Le phytoplancton crée des agrégats, qui sont assez grands pour chuter au fond de l’océan. C’est ce qu'on appelle de la séquestration de carbone", propose l'océanographe.
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Le carbone finit au fond de l’océan et peut y rester immobilisé pour une longue durée. Les algues ont donc pu jouer un rôle de bouclier contre les émissions de gaz à effet de serre issues de ces incendies.
Pour l’heure, les chercheurs, qui ont travaillé sur des images satellites, formulent des hypothèses sans savoir ce qu’il est vraiment advenu du CO2. Ils n’ont pas pu se rendre sur place et ne peuvent pas répondre pour l’instant à toutes leurs questions. Mais une partie de l’équipe de recherche envisage de se rendre en bateau à proximité, pour constater de visu ce qui a pu se passer.
Impact sur la vie marine
Les énigmes restent nombreuses. L’une concerne l’impact sur les autres organismes. La zone de l’océan austral où s’est produit ce phénomène est décrite comme un désert océanique. Les formes de vie y sont rares, car on n’y trouve pas grand-chose pour se nourrir. Est-ce que l’apparition des algues en quantité considérable a pu changer quelque chose pour la faune marine?
Là aussi, en l’absence d’observations menées directement sur place, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Mais les chercheurs savent que cela peut se produire. En cas de floraison phytoplanctonique - on parle de "bloom phytoplanctonique" en franglais - il y a bien sûr une réaction de la part des animaux. Elle est plutôt positive lorsqu’on se trouve, comme dans ce cas précis, dans un océan ouvert ou avec une teneur élevée en oxygène. "Quand on observe un “bloom phytoplanctonique" dans l’océan ouvert, c’est la vie qui apparaît", explique Joan Llort.
Il faut s’imaginer le désert et, tout d’un coup, il y a de l’herbe qui apparaît. De là, on va voir des insectes, des petits animaux et c’est toute la chaîne alimentaire qui va démarrer.
Si cela se confirme dans le futur, on pourra se dire que, décidément, la nature est bien faite. Puisque les pires incendies qu’on n’a jamais vus en Australie et sur la planète auront permis de faire apparaître la vie à des milliers de kilomètres, dans une région habituellement très inhospitalière…
Sujet radio: Grégory Plesse
Adaptation web: ami