Modifié

Un temps rejetés par les grands labos, les vaccins à ARN messager ont pris leur revanche

Le développement de la technologie liée aux vaccins à ARN messager a débuté il y a 30 ans. [Reuters - Athit Perawongmetha]
La saga internationale de l’ARN messager: interview de Fabrice Delaye / Tout un monde / 12 min. / le 4 octobre 2021
Apparus en 2020, les vaccins à ARN messager contre le Covid-19, hautement efficaces, ont changé le visage de la pandémie. Les pionniers de ce type de vaccins - un temps pressentis pour le Nobel de médecine 2021 - ont débuté leurs recherches il y a déjà 30 ans.

Pour les scientifiques, l'invention des vaccins à ARN messager (ARNm) est déjà une longue histoire, une saga internationale qui passe par l'Allemagne, la Turquie, les Etats-Unis, la Suisse et bien d'autres pays encore. Cette histoire pleine de rebondissements, le journaliste à Heidi.news Fabrice Delaye la connaît bien, lui qui vient de publier "La révolution de l'ARN messager" chez Odile Jacob.

Une technologie qui ne date pas d'hier

On a l'impression que tout est allé très vite, mais "les vaccins à ARN messager, c'est 30 ans de recherche et développement", a-t-il nuancé lundi dans l'émission Tout un monde de la RTS. Dans son ouvrage, il s'est spécifiquement intéressé au transfert de la science fondamentale vers la sphère de la vaccination.

Si la pandémie de SRAS-CoV-2 a permis d'accélérer la mise au point de cette technologie, le fait qu'elle a éclaté juste au moment où la recherche en la matière était précisément arrivée à maturation tient aussi du coup de chance, note Fabrice Delaye.

Mais la manière dont les vaccins à ARNm sont développés explique aussi pourquoi ils ont pu être adaptés au Covid-19 si rapidement. "Quand on fabrique un vaccin normal, atténué ou tué, il faut d'abord cultiver des quantités phénoménales de virus. Ça n'est pas forcément ce qu'on a envie de faire en raison des risques de contamination des employés ou de fuite du virus que ça représente. Il faut prendre des précautions énormes pour éviter cela. Avec l'ARNm, on ne fait qu'une sous-partie du virus. On ne fait rien qui puisse être contagieux, ce qui permet d'accélérer considérablement", explique le journaliste.

>> Lire aussi : "Un mois suffit" pour élaborer un vaccin à ARN contre une souche résistante

Pas un monde "de bisounours"

Attribuer le prix Nobel à un chercheur, voire à un laboratoire en particulier ne sera pas chose facile, car ils sont plusieurs à avoir fait des découvertes majeures et à avoir fait avancer cette technologie de vaccination, s'appuyant les uns sur les travaux des autres et sur les découvertes de leurs prédécesseurs.

"C'est une entreprise collective, mais pas forcément une entreprise de bisounours! Entre eux, les chercheurs sont souvent en concurrence, ils veulent parfois s'attribuer la paternité d'une découverte", raconte Fabrice Delaye.

Les grands labos n'y ont pas cru

Si les entreprises qui ont finalement gagné la "course" aux vaccins à ARNm sont, plutôt que de grands laboratoires, des startups de la biotech, à l'instar de Moderna et BioNTech. C'est parce que "beaucoup [de grands laboratoires] n'y ont pas cru alors qu'ils ont eu entre les mains la possibilité de développer cette technologie", explique-t-il. "Beaucoup de gens, dans la biologie moléculaire, pariaient plus sur l'ADN (le précurseur de l'ARN messager, qui contient les séquences d'information "transcrites" ensuite, dans les cellules, en ARN messager). Ils pensaient que partir de l'ADN serait plus efficace, car celui-ci est plus stable. En plus, on avait déjà des techniques pour amener du matériel génétique dans les cellules", ce qui n'était pas le cas avec de l'ARNm.

Beaucoup de grands labos ont eu entre les mains la possibilité de développer l'ARN messager, mais ils n'y ont pas cru

Fabrice Delaye, journaliste et auteur du livre "La révolution de l'ARN messager"

Les perspectives de rentabilité peu attractives ont achevé de décourager les grands labos. Par rapport à des traitements anti-cancéreux, par exemple, les vaccins ne sont de loin pas ce qui rapporte le plus, souligne l'auteur de "La révolution de l'ARN messager". En temps normal, du moins...

>> Lire à ce sujet : Les deux producteurs de vaccins ARN réalisent des ventes record

Lutter contre tous les cancers

Loin de se limiter aux vaccins, la technnologie de l'ARNm ouvre de nombreuses perspectives en termes de traitements, notamment dans le cadre de la lutte contre le cancer. Les patrons de BioNTech ambitionnent ainsi d'utiliser cette technologie pour apprendre à notre système immunitaire à vaincre tous les cancers. "Özlem Türeci, la cofondatrice de BioNTech, a évoqué la date de 2022 pour un premier traitement contre le mélanome. Il fait en ce moment l'objet de tests cliniques", annonce Fabrice Delaye.

>> Plus de détails dans notre article : L'ARN messager du vaccin anti-Covid appliqué dans la recherche contre le cancer

Pour parvenir à alerter le système immunitaire, le mécanisme est proche de celui utilisé pour la mise au point des vaccins ARNm anti-Covid: "On cherche à identifier, sur les cellules cancéreuses, des protéines caractéristiques de ces cancers, pour apprendre au système immunitaire à les attaquer et à les détruire. Il devrait le faire naturellement, mais il se trouve que les tumeurs cancéreuses sont capables de lui échapper".

Tout le monde, y compris la grande pharma, est en train de faire route vers l'ARN messager

Fabrice Delaye

Mais ce n'est pas tout. "Etant donné qu'on arrive à produire des protéines et que les protéines font à peu près tout dans le corps humain, dès l'instant où elles fonctionnent mal, sont manquantes ou exprimées sous des formes mutées, on peut tenter de corriger", ajoute Fabrice Delaye. "Ça va bien sûr demander des années de développement clinique et de tests pour savoir si on peut parvenir à obtenir ces nouvelles thérapies. Mais le champ est immense et tout le monde, y compris la grande pharma cette fois, est en train de faire route vers l'ARN messager".

>> Lire aussi : L'ARN messager pour traiter d'autres maladies, comme le cancer

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Vincent Cherpillod

Publié Modifié

Une usine à ARN messager en Suisse?

En Suisse, un projet porté par l'ancien président de l'EPFL Patrick Aebischer ambitionne de doter le pays d'une "usine" à ARN messager. Intitulé "Initiative Lighthouse", il a été présentée le 7 septembre dernier lors du Swiss Biotech Day.

"L'idée est de créer une sorte d'usine pilote qui permettrait aux startups ou aux laboratoires académiques de faire les premiers pas. Dans ce cas-là, les startups n'auraient pas besoin de construire des usines. Il y aurait une usine mutualisée pour toute la Suisse, qui permettrait de faire les premiers développements cliniques, quitte à transmettre ensuite [un projet] à des fabricants plus gros", a expliqué Fabrice Delaye.