Le virus Zika a sévi notamment en 2015 au Brésil. Il est particulièrement redoutable pour les femmes enceintes, car il entrave le développement cérébral des fœtus, avec comme conséquence des microcéphalies, des malformations lourdement handicapantes pour les enfants.
Les scientifiques se sont demandé si certains facteurs extérieurs, des molécules présentes dans l’environnement, n’avaient pas la faculté d'intensifier les effets du virus sur le développement embryonnaire. Certaines régions ont été plus touchées que d'autres par ces microcephalies.
Un pesticide en particulier, le pyriproxyfène, a rapidement été suspecté, car il avait été introduit en 2014 dans les contrées concernées.
Eclairage grâce aux têtards fluorescents
Une étude a été lancée pour mieux connaître la relation entre le produit et la maladie. Il a fallu dans un premier temps établir l’effet de perturbateur endocrinien (c’est-à-dire sur le système hormonal) du pyriproxyfène.
"Nous sommes intéressés par l’hormone thyroïdienne, l’une des plus importantes pour un développement normal du cerveau", indique Pieter Vancamp, post-doctorant au Muséum d’Histoire naturelle de Paris, l’un des scientifiques derrière cette étude.
"Dans notre laboratoire, nous avons des têtards de xénopes (des amphibiens, n.d.l.r) génétiquement modifiés, qui émettent une lumière fluorescente verte lorsqu’ils sont exposés à l’hormone thyroïdienne", détaille le chercheur.
"Quand on les expose à l’hormone thyroïdienne, la couleur verte est très intense, ce qui veut dire que l’hormone est présente et active. Et quand on expose les têtards au pyriproxyfène, le signal chute de façon spectaculaire", poursuit-il.
"C’est un résultat qui prouverait que le pesticide bloque l’action de l’hormone thyroïdienne et qu’il est bien capable de perturber le système hormonal", conclut Pieter Vancamp.
Structure cérébrale déséquilibrée
Cet effet pourrait aussi s’appliquer sur le développement neurologique des mammifères. Il existe plusieurs modèles expérimentaux. Celui de l’équipe de Pieter Vancamp est de cultiver des cellules-souches à l’origine de la construction du cerveau des souris. "Nous les avons exposés à des doses croissantes de pyriproxyfène", explique Pieter Vancamp.
"Les résultats étaient très clairs: plus la dose était élevée, moins de cellules neuronales ou de cellules gliales (qui entourent les premières, n.d.l.r) étaient générées et plus ces dernières mourraient." Ainsi, "la relation entre ces cellules s’en trouvait déséquilibrée, ce qui est néfaste pour établir la structure du cerveau et va l’empêcher de fonctionner normalement plus tard au cours de la vie", note le biologiste.
C’est en effet durant le développement du bébé que l’hormone thyroïdienne est responsable de cet équilibre. Elle va se lier à des récepteurs sur les cellules nerveuses en devenir et les pousser à exprimer certains gènes-clés. Elles vont ainsi soit se transformer en neurones soit en cellules gliales. Le pyriproxyfène entre en compétition avec l’hormone. Avant que cette dernière ne puisse activer ces fameux gènes-clés, le pesticide va colmater des sortes de serrures sur les cellules.
Trouble-fête numéro deux: Zika
La situation se gâte encore davantage avec le virus Zika. Celui-ci est connu pour être un tueur des cellules souches qui forment le cerveau. "Il y a une sorte d’interaction au niveau cellulaire qui aggrave les effets du virus Zika", observe Pieter Vancamp.
De plus en plus d’études soutiennent l’existence de cette triste synergie. "Le combo pyriproxyfène-virus peut aggraver les cas de microcéphalie ou être à la base du taux d’incidence plus important du Nord-Est du Brésil", explique le biologiste.
Le paradoxe du pyriproxyfène
Fait troublant, le pyriproxyfène est utilisé pour son action de perturbation endocrinienne chez les insectes, en particulier pour lutter contre les moustiques. Il entrave le développement des larves, qui n’arrivent pas à l’âge adulte. Ainsi, dans cet état, il leur est impossible de transmettre le virus de la dengue ou le zika.
"C’est un peu paradoxal, le pesticide a bien aidé à éradiquer des populations de moustiques", remarque Pieter Vancamp. "Mais les moustiques qui restaient ont infecté des femmes enceintes."
C’est le combo pyriproxyfène-zika, qui a aggravé les effets négatifs sur le développement cérébral du fœtus.
Du reste, entre le début de l’utilisation du produit et ses résultats, il y a un laps de temps qui permet au duo chimio-biologique de déployer tous ses effets nocifs.
"Pendant ce temps-là, le pesticide était utilisé intensivement", précise le chercheur. "Et maintenant, le problème est que des résistances de la part des moustiques surviennent. Il faut de très hautes doses, désinfecter intensivement et répéter ce processus presque tous les jours. Mais c’est impossible de tuer tous les moustiques."
Zika quasi contrôlé, mais pas éliminé
L’épidémie du virus Zika est presque sous contrôle au Brésil. 16'000 cas ont été signalés en 2020, essentiellement des adultes chez qui l’infection est moins grave. Mais le virus n’est pas encore éradiqué.
On estime à 6000 le nombre de bébés nés avec une microcéphalie, un chiffre à prendre avec précaution, car les statistiques ne sont pas forcément à jour.
D’autres pays, en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, ont également été touchés par ce virus. La transmission se fait uniquement par les moustiques, ce qui explique peut-être qu’on ait échappé à une pandémie.
Covid, même combo?
Dernière question et pas des moindres: peut-on imaginer ce genre d’interaction inquiétante entre le Sars-Cov2 et certains pesticides? Pieter Vancamp peut répondre par l’affirmative à cette question, même si de nombreuses énigmes subsistent.
"Récemment, des études scientifiques ont révélé l’association entre un taux sanguin élevé d’acide perfluorobutanoic - un perturbateur endocrinien, qu’on utilise beaucoup, par exemple, comme retardateur de flamme - et le risque accru de développer une forme plus grave du Covid-19", expose-t-il. "Et même chez des gens qui sont exposés à de très faibles doses. C’est très alarmant, parce qu’on ne connaît pas les mécanismes. On sait que ces perturbateurs s’accumulent dans les poumons et sont partout dans l’environnement", constate le chercheur, dépité.
Sujet radio: Huma Khamis
Adaptation web: Antoine Michel