C'est la première fois depuis 1995 et des recherches sur le trou de la couche d'ozone en chimie qu'un Nobel scientifique est remis à des travaux directement liés au changement climatique – mais dans un contexte d'urgence complètement différent.
Le Prix Nobel de Physique 2021 récompense pour moitié deux chercheurs en météorologie: Syukuro Manabe, 90 ans, et Klaus Hasselmann, 89 ans, "pour la modélisation physique du climat de la Terre et pour en avoir quantifié la variabilité et prédit de façon fiable le réchauffement climatique", selon le jury. Les deux chercheurs ont jeté les bases de notre connaissance du climat de la Terre et de la manière dont l'humanité l'influence.
L'autre moitié revient à Giorgio Parisi, 73 ans, "pour la découverte de l'interaction du désordre et des fluctuations dans les systèmes physiques de l'échelle atomique à planétaire". L'Italien est récompensé pour ses contributions révolutionnaires à la théorie des phénomènes désordonnés et aléatoires. Ce dernier était très content de recevoir la moitié du prix, se réjouissant également pour les deux autres lauréats, comprenant bien la relation entre ses recherches et les leurs.
Du très petit au très grand
Des atomes aux planètes, il y a des structures à étudier. La complexité s'y retrouve à toutes les échelles: les scientifiques se demandent jusqu'à quel niveau de détail il faut aller pour expliquer et comprendre le climat. Avec leurs recherches, les lauréats ont trouvé des modèles cachés dans le climat et dans d'autres phénomènes complexes.
Le Prix de Physique 2021 se focalise sur la façon dont fonctionne le climat de notre planète. Des recherches qui remontent jusqu'en 1824, lorsque s'est posée la question de savoir comment la chaleur du soleil influence celle que l'on ressent sur Terre, puis comment celle-ci se répercute sur l'atmosphère: ce qui a été ensuite appelé l'effet de serre et qui a mis des décennies pour être compris.
Un prix d'actualité
Avec ce prix en pleine crise climatique, le comité Nobel récompense les travaux fondateurs de Syukuro Manabe sur l'effet de serre dans les années 1960, par lesquels il a montré que les niveaux de CO2 dans l'atmosphère correspondaient à la hausse des températures terrestres. Il a été le premier à explorer l'interaction entre le bilan radiatif et le transport vertical des masses d'air. Ses travaux ont jeté les bases du développement des modèles climatiques.
L'Allemand Klaus Hasselman est lui crédité pour être parvenu à établir des modèles climatiques fiables malgré les grandes variations météorologiques. Il a également mis au point des méthodes permettant d'identifier les signaux spécifiques – les empreintes digitales – que les phénomènes naturels et les activités humaines impriment dans le climat. Ses méthodes ont été utilisées pour prouver que l'augmentation de la température de l'atmosphère est due aux émissions humaines de dioxyde de carbone.
Les travaux ardus de Giorgio Parisi, dans les années 1980, ont été parmi "les contributions les plus importantes" à la théorie dite des systèmes complexes. Son travail permet de comprendre et de décrire de nombreux matériaux et phénomènes complexes différents et apparemment totalement aléatoires, non seulement en physique mais aussi dans d'autres domaines très différents, comme les mathématiques, la biologie, les neurosciences et l'apprentissage automatique – le "machine learning".
"Grande nouvelle"
A Genève, l'Organisation Météorologique mondiale (OMM) a salué une "grande nouvelle". "Cela démontre à nouveau que la science climatique est fortement valorisée et doit être fortement valorisée", a déclaré son secrétaire général Petteri Taalas.
A un mois de la COP26, sommet mondial pour le climat organisé à Glasgow, la récompense aux deux experts en météorologie et climatologie aura nécessairement un fort écho politique.
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"Je pense qu'il est très urgent que nous prenions des décisions très fortes (pour le climat). Il est clair que nous devons agir très vite et sans délai en faveur des générations futures", a affirmé Giorgio Parisi lors d'une conférence de presse téléphonique avec la Fondation Nobel.
Al Gore et les experts onusiens du GIEC de l'ONU sur le climat avaient remporté le Nobel de la Paix en 2007.
Stéphanie Jaquet et les agences
"Il était temps" que des climatologues soient récompensés
Professeur de physique du climat à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), Reto Knutti n'aurait jamais pensé que des climatologues seraient un jour récompensés d'un Prix Nobel de physique. "Il était temps", selon lui.
Quant à savoir si le comité Nobel a voulu donner un signal politique, on ne peut que spéculer, a ajouté le chercheur. Il a qualifié les travaux de Syukuro Manabe de pierre de fondation de la recherche climatique.
Le météorologue japonais a marqué ce domaine de son empreinte pendant un demi-siècle, souligne le Professeur Knutti. En 1967 déjà, il a démontré dans un modèle que le CO2 contribue effectivement au réchauffement de la planète.
Syukuro Manabe a réalisé ses calculs sur un ordinateur un milliard de fois plus lent que les machines actuelles, mais il est parvenu à identifier les éléments importants, posant les bases physiques des modèles climatiques actuels, note le chercheur zurichois.
Klaus Hasselmann est quant à lui un pionnier de la recherche sur l'attribution des causes du changement climatique. Il a publié en 1993 une étude sur le sujet. "Hasselmann a posé les bases qui nous permettent aujourd'hui de dire clairement que le changement climatique est d'origine humaine", conclut Reto Knutti.
ats/sjaq
Il y a cent ans, un lauréat nommé Albert Einstein
C'est en 1921 que le plus célèbre des physiciens reçut son Prix Nobel. Albert Einstein est alors récompensé non pas pour sa théorie de la relativité générale (1915), mais pour son explication de l'effet photoélectrique: il parle alors du concept de "particules de lumière" – ce qui est aujourd'hui appelé "photons".
Le compte Twitter du Prix Nobel lui a rendu un hommage aujourd'hui avec une citation sur la persévérance: "Je pense et réfléchis pendant des mois et des années, nonante-neuf fois, la conclusion est fausse. La centième, j'ai raison."
A noter qu'en 2017, le Nobel de Physique a récompensé les trois Américains Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne, pour l'observation des ondes gravitationnelles... Elle confirmait une prédiction d'Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale: c'était la dernière du grand scientifique qu'il restait encore à prouver.
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