Que va voir le télescope James Webb, alors qu'il a atteint son orbite finale?
Le télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA, conçu pour donner au monde un aperçu sans précédent des premiers stades de l'univers, est arrivé dans son espace gravitationnel lundi.
Il sera désormais en orbite autour du Soleil, à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre. L'endroit de l'espace où il se trouve est connu comme le point Lagrange 2 (L2): une position de stabilité orbitale entre la Terre et le Soleil.
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Depuis ce point d'observation, James Webb suivra une trajectoire spéciale, en alignement constant avec la Terre. Notre planète et le télescope tournent autour du soleil en tandem, ce qui permet un contact radio ininterrompu, via le Deep Space Network, un réseau de trois grandes antennes à Canberra (Australie), Madrid (Espagne) et Goldstone (Californie).
En comparaison, le prédécesseur de Webb, le télescope spatial Hubble, âgé de trente ans, tourne autour de la Terre à "seulement" 547 kilomètres de distance, entrant et sortant de l'ombre de notre planète toutes les 90 minutes.
Pour bien comprendre comment l'appareil va fonctionner et ce qu'il va pouvoir observer, le Space Telescope Science Institute a produit une vidéo très éclairante.
Le miroir de JWST est perpendiculaire à son pare-soleil, afin de fonctionner à sa température idéale de -233 degrés Celsius – côté Soleil, il y fait 85°.
C'est pour cette raison que le télescope ne peut faire que certains mouvements restreints, afin que la surface réfléchissante et ses instruments restent dans l'ombre, au frais (0'34'' sur la vidéo). Le JWST va du reste prendre du temps pour bien refroidir avant de pouvoir fonctionner correctement.
En pivotant sur lui-même, James Webb voit le ciel à 360° (0'46'') et, comme il orbite autour du Soleil, différents objets célestes entreront dans son champ de vision chaque mois. A tout moment, JWST pourra accéder à la moitié du ciel et, en six mois, il aura capturé sa totalité.
Les observations scientifiques seront programmées très précisément afin d'utiliser cet observatoire de la façon la plus efficace. Les images seront publiées pour le grand public sur Twitter par le Space Telescope Science Institute.
>> Explorer l'univers de manière interactive et avec des vidéos: viewspace.org
La vision en infrarouge
Les images obtenues en infrarouge sont très différentes de celles visibles avec une optique ressemblant à ce que voit notre œil. Voici pour exemple Herbig Haro 666 (HH 666), une jeune étoile qui émet des jets étroits et en faisceaux dans des directions opposées, dans la nébuleuse de Carina.
Cette étoile se trouve dans une pouponnière stellaire tumultueuse, à 7500 années-lumière de nous. Avec les images optiques de cette région, on découvre de grands nuages vaporeux de gaz et de poussières. Mais des étoiles naissantes sont nichées à l'intérieur de cette structure si dense.
Il est possible de les voir facilement dans l'infrarouge ou une longueur d'onde proche: cette fréquence du spectre électromagnétique semble gommer tous les nuages. La combinaison des deux images prises par Hubble donne une idée plus précise de la réalité astronomique en révélant de nouveaux détails. Cela permet à la communauté scientifique de mieux comprendre les objets célestes.
James Webb les étudiera en lumière infrarouge avec une clarté et une sensibilité bien plus grandes que jamais. Avec l'expansion de l'univers, la lumière émise par les objets observés parcourt toujours plus de chemin pour atteindre l'observateur, et ce faisant elle "rougit". Comme le bruit d'un objet qui s'éloigne s'assourdit, l'onde lumineuse s'étire et passe de la fréquence visible à l'oeil nu, à celle de l'infrarouge.
Ces caractéristiques devraient marquer le début d'une révolution en astronomie, en donnant une première vue des galaxies naissantes datant de seulement 100 millions d'années après le Big Bang, le moment explosif théorique qui a mis en mouvement l'expansion de l'univers connu, il y a environ 13,8 milliards d'années.
>> Parcourez des images astronomiques capturées à différentes longueurs d'onde de la lumière et notez ce que chacune révèle et dissimule: Infrared video gallery
Les instruments de Webb sont également idéaux pour rechercher des signes d'atmosphères potentiellement propices à la vie autour d'un grand nombre d'exoplanètes déjà documentées – des corps célestes en orbite autour d'étoiles lointaines. Il pourra aussi observer des mondes beaucoup plus proches de nous, comme Mars et Titan, la lune glacée de Saturne.
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Du carburant pour vingt ans
Et une très bonne nouvelle: le télescope va pouvoir travailler plus longtemps que prévu. "Le lancement avec la fusée Ariane était vraiment optimum: il reste deux-tiers du fuel", remarque le professeur Daniel Schaerer, astrophysicien à l'Observatoire de Genève.
"C'est extrêmement intéressant parce que c'est cette quantité qui va déterminer la durée de la mission. Pour rester autour de ce point Lagrange (lire encadré), il faudra que tous les vingt-et-un jours soit faite une petite correction pendant une minute pour rester en orbite. Car si on ne peut pas rester là-bas, la mission se termine. Là, la NASA estime qu'il y a du fuel pour vingt ans. Nominal, c'était prévu pour cinq ans et tout le monde espérait qu'on pourrait faire dix ans. Et, donc, si c'est vraiment comme ça, c'est vraiment fabuleux et on est tous extrêmement enthousiastes!", se réjouit-il au micro de La Matinale.
Une possibilité, qui n'est pas envisagée pour le moment, serait qu'une mission future aille dans l'espace pour pour alimenter le télescope en carburant.
Les premières images arriveront sur Terre dans le courant de l'été, vraisemblablement en juin ou juillet, après trois ou quatre mois de réglage des instruments du James Webb Space Telescope (lire encadré).
Stéphanie Jaquet avec les agences
Dernière manœuvre à 20h en Suisse
Le télescope James Webb a atteint son orbite finale, à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, a annoncé la NASA lundi soir. La dernière manœuvre de correction de la trajectoire de l'appareil par les propulseurs de la fusée a eu lieu à 20h en Suisse.
"Bienvenue à la maison, Webb!", s'est exclamé le patron de l'agence spatiale américaine, Bill Nelson, dans un communiqué.
Les propulseurs ont été activés par les ingénieurs du contrôle de mission de l'Institut scientifique du télescope spatial de Baltimore, puis l'équipe au sol "utilisera des signaux radio pour confirmer que Webb a été inséré avec succès en orbite", a déclaré Eric Smith, le scientifique de la NASA chargé du programme Webb.
L'attraction combinée du Soleil et de la Terre au niveau L2 maintient le télescope fermement en place, il faut donc peu de poussée supplémentaire des fusées pour empêcher JWST de dériver. Utilisée par plusieurs autres satellites de l'espace lointain au fil des ans, la position L2 permet d'utiliser "une quantité minimale de carburant pour rester en orbite", selon Eric Smith.
James Webb ne sera pas exactement au point L2 mais oscillera autour de lui en "halo" à une distance similaire à celle de la Terre et de la Lune, selon un cycle de six mois (voir illustration).
Le centre d'opérations a également commencé à peaufiner le miroir primaire du télescope – un ensemble de dix-huit segments hexagonaux fait dans un métal nommé le béryllium et recouvert d'or – mesurant 6,4 mètres de diamètre, soit beaucoup plus que le miroir principal de Hubble qui en mesure 2,4.
Prochaines étapes
Il faudra encore plusieurs mois de travail pour préparer James Webb pour ses débuts en astronomie. Les dix-huit segments de son miroir principal ont été déployés avec le reste de ses composants structurels pendant les deux semaines qui ont suivi son lancement, le 25 décembre.
Ces segments ont récemment été libérés des attaches qui les maintenaient en place pour le lancement. Ils ont été lentement déplacés vers l'avant – d'un peu plus d'un centimètre – par rapport à leur configuration initiale, ce qui a permis de les ajuster en une surface unique et continue de collecte de la lumière.
Ces dix-huit segments doivent maintenant être alignés pour obtenir la bonne mise au point du miroir, un processus qui prendra trois mois. Au fur et à mesure de l'alignement, les équipes au sol commenceront à activer le spectrographe, la caméra et les autres instruments de l'observatoire. Cette étape sera suivie de deux mois d'étalonnage des instruments eux-mêmes.
Si tout se passe bien, JWST devrait être prêt à commencer ses observations au début de l'été, avec quelques premières images envoyées pour démontrer que les instruments fonctionnent correctement.