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Franklin Servan-Schreiber: "Le nucléaire est l'énergie fondamentale de l'Univers"

L'invité de La Matinale - Franklin Servan-Schreiber, entrepreneur et auteur
L'invité de La Matinale - Franklin Servan-Schreiber, entrepreneur et auteur / La Matinale / 9 min. / le 18 février 2022
Face à la crise climatique, les énergies renouvelables ont longtemps été perçues comme la seule solution. Depuis peu, en Suisse et en Europe, le nucléaire est toutefois un mot qu'on ose à nouveau prononcer. Invité de La Matinale vendredi, Frankin Servan-Schreiber explique ce début d'inflexion dans les mentalités.

Franklin Servan-Schreiber est le patron de Transmutex, une start-up genevoise qui ambitionne de redonner du souffle à une énergie qu'on croyait depuis de nombreuses années en état de mort cérébrale en Suisse: le nucléaire.

Cet ingénieur de formation n'est pourtant pas du sérail. De la gestion de crise au CIO au magazine Elle et à Sony Electronics, en passant par une croisade contre les plastiques dans les océans, son profil détonne. Son but et son rêve, produire du nucléaire sans risque et qui ne nuirait pas à l'environnement.

"L'énergie nucléaire est l'énergie fondamentale de l'Univers, donc il faut aller vers ça, mais il faut que cela soit sans risque (...) moi je ne viens pas du nucléaire, je viens de la lutte contre les déchets plastiques dans les océans (...) mais le constat est assez flagrant, on n'avance pas assez vite avec les énergies renouvelables. On en a besoin, mais je ne pense pas que ce sera l'énergie de l'avenir très durable", explique-t-il au micro de la RTS.

Utilisation d'un accélérateur de particules

Pour produire du nucléaire propre et sûr, l'idée de la société Transmutex est d'utiliser un accélérateur de particules et de remplacer l'uranium par du thorium.

"On combine un accélérateur de particules avec un réacteur, comme ça si l'accélérateur s'arrête, le réacteur s'arrête tout de suite. On n'a même plus le droit de dire que c'est un réacteur, c'est un chaudron. Un chaudron où l'on met du combustible et qui est extrêmement sécurisé, car il ne peut pas y avoir de réaction en chaîne qui se soutient elle-même", détaille Franklin Servan-Schreiber.

Mais si cette technologie est si efficace, pourquoi n'est-elle pas déjà utilisée partout? L'ingénieur estime qu'il a fallu du temps pour prendre en compte les problématiques du nucléaire classique et que certains événements, comme Fukushima, ont marqué un frein important au développement du secteur.

"Dans les années 2000, au moment où cette technologie est sortie, il n'y avait pas vraiment de problèmes de déchets nucléaires, les gens pensaient qu'on allait les enterrer. Aux Etats-Unis, ils avaient commencé à creuser un trou et puis, en 2009, ils ont arrêté, en disant qu'ils ne pouvaient pas garantir pendant 10'000 ans la sécurité de ce trou où on allait mettre les déchets nucléaires (...) la solution a donc été remise sur la table et puis Fukushima est arrivé et le nucléaire a été balayé avec le tsunami."

>> Réécouter également le reportage de CQFD sur l'intelligence artificielle qui pourrait maîtriser la fusion nucléaire :

Plasma à l'intérieur du tokamak TCV. 
Curdin Wüthrich/SPC
EPFL [EPFL - Curdin Wüthrich/SPC]EPFL - Curdin Wüthrich/SPC
Une AI pour maîtriser la fusion nucléaire / CQFD / 11 min. / le 17 février 2022

"Avant d'être face au mur, on ne veut pas de grands projets compliqués"

Longtemps déconsidérée, la musique du nucléaire se refait donc peu à peu entendre. La cause principale semble être la peur du blackout, littéralement le risque de manquer d'énergie. Une partie de la classe politique suisse ose à nouveau parler du nucléaire, Emmanuel Macron relance la construction de centrales en France et la Commission européenne explique désormais que l'énergie nucléaire "fait partie des énergies de transition".

>> Réécouter dans Forum l'interview de la PLR Johanna Gapany qui évoque l'énergie nucléaire :

Johanna Gapany, vice-présidente du PLR. [Keystone - Gaetan Bally]Keystone - Gaetan Bally
La construction de nouvelles centrales nucléaires au programme du PLR: interview de Johanna Gapany / Forum / 5 min. / le 12 février 2022

Pour Franklin Servan-Schreiber, on assiste ici à une constante, celle d'une humanité qui réalise de grands projets quand elle se retrouve en face des plus grands périls.

"Maintenant, nous sommes face au mur du problème de la transition énergétique. Ce serait dommage de ne pas reconsidérer une énergie qui est un million, 10 millions de fois plus puissante que les énergies fossiles ou renouvelables (...) On l'oublie, mais il y a des grands projets dans l'histoire du monde qui nous donne la possibilité de notre civilisation. Les égouts, c'est très compliqué et ce sont de très gros projets. Il a fallu trois épidémies de choléra à Londres avant qu'on les fasse. La pénicilline, même chose, elle existe parce qu'il y avait tellement de blessés pendant la Seconde Guerre mondiale qu'on a été forcés de la faire. Donc maintenant, il faut se donner les moyens de rêver, parce qu'on a besoin d'une nouvelle énergie qui soit décarbonnée", explique-t-il.

"La Chine fait 15 centrales nucléaires par an"

Le directeur général de Transmutex estime par ailleurs que le problème du CO2 doit s'appréhender à l'échelle globale. Et de prendre l'exemple de la Suisse: "Résoudre le problème du CO2 de la Suisse ne résoudra pas le problème du CO2 pour la Suisse, car le problème du CO2 de la Suisse, c'est la Chine, c'est l'Inde, c'est l'Amérique."

Et d'ajouter: "Il faut donc essayer de participer au mouvement mondial de la transition énergétique en offrant des solutions qui peuvent s'appliquer au reste du monde."

Interrogé sur les coûts du nucléaire, Franklin Servan-Schreiber dit ne pas s'inquiéter. Il explique également que le but n'est pas d'abandonner les énergies renouvelables: "En Chine, il font quinze centrales nucléaires par an et prévoient de le faire pendant les dix prochaines années et je peux vous dire qu'ils les font. Et c'est quand même eux qui font des panneaux solaires."

Des énergies qui ne seraient donc pas antagonistes mais plutôt complémentaires, le nucléaire servant aussi à compenser la lenteur et les limites du renouvelable. "Je pense que cela ne va pas assez vite. Je regarde l'Allemagne, dix ans d'expérience sur les renouvelables et pour l'instant, cela ne va pas très loin", juge-t-il.

"Inventer un nouveau monde"

En conclusion, Franklin Servan-Schreiber estime surtout qu'il est désormais impératif "d'inventer un nouveau monde", non pas dans une idée d'immédiateté mais pour que les générations futures, "dans les 200, 300 à 500 ans à venir", puissent profiter d'une sécurité énergétique et d'un monde sans carbone.

Concernant Transmutex enfin, il espère pouvoir commencer la production énergétique d'ici moins de 10 ans: "On a prévu de ne pas tout faire nous-mêmes, car on pense qu'il faut aller beaucoup plus vite que ça. On a donc fait des alliances à travers le monde et l'on va rassembler des technologies déjà bien avancées. On espère un horizon pour 2030."

Propos recueillis par David Berger

Adaptation web: Tristan Hertig

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