Une des premières répercussions de la guerre lancée en Europe, c'est l'arrêt des lancements de fusées Soyouz: Roscosmos, l'agence spatiale russe, a rapatrié tout son personnel de la Guyane française. Sans lui, aucune fusée ne peut décoller et le lancement des satellites de navigation Galileo, prévu début avril, devra sûrement être repoussé.
>> Le message de Roscosmos sur Twitter:
En réponse aux sanctions de l'UE contre nos entreprises, Roscosmos suspend la coopération avec des partenaires européens pour organiser des lancements spatiaux depuis le cosmodrome de Kourou et retirer son personnel, y compris l'équipage de lancement consolidé, de la Guyane française.
Pareil pour la mission ExoMars qui veut étudier s'il y a eu de la vie sur la planète rouge: elle devrait décoller de Baïkonour en octobre, avec une fusée russe. Il est prévu qu'elle dépose le robot européen Rosalind Franklin sur Mars avec un module d'atterrissage, russe lui aussi. Selon l'ESA, un lancement en 2022 est très improbable.
Et il y a aussi, bien évidemment, l'ISS, la station spatiale internationale, où les astronautes russes, américains et européens cohabitent: le symbole de la collaboration spatiale. Et la Russie détient des modules essentiels, comme les éléments pour la maintenir sur son orbite.
Pour l'instant, la collaboration se poursuit: les agences spatiales rassurent. Mais, désormais, le domaine spatial peut être un moyen de pression pour les Russes dans les discussions diplomatiques (lire encadrés).
Un trampoline pour l'espace
Ce n'est pas la première fois que la situation ukrainienne provoque des remous spatiaux. En 2014, après de premières sanctions américaines ayant suivi l'annexion de la Crimée, Dmitry Rogozin, alors Premier ministre russe adjoint chargé de l'espace, avait suggéré que les Etats-Unis "utilisent un trampoline pour acheminer leurs astronautes vers l'ISS".
Ils ne disposaient en effet plus à l'époque de vaisseaux américains, et utilisaient donc les fusées Soyouz russes. En 2020, après le premier vol de SpaceX vers l'ISS ayant mis fin à ce monopole, le patron de l'entreprise, Elon Musk, avait déclaré, provocateur: "Le trampoline fonctionne".
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Sujet radio: Alexandra Richard
Version web: Stéphanie Jaquet et les agences
Arianespace et Roscosmos
Dans le domaine spatial, Arianespace dispose d'une coentreprise avec l'agence russe Roscosmos, Starsem, pour exploiter la fusée Soyouz. Elle doit ainsi lancer en 2022 huit fusées Soyouz, trois depuis Kourou en Guyane française – dont le satellite espion français CSO-3 – et cinq depuis le cosmodrome russe de Baïkonour au Kazakhstan.
Contacté par l'AFP, Arianespace a indiqué être en train d'évaluer si les sanctions européennes devaient ou non avoir un impact sur son activité.
En l'absence de fusées Soyouz, l'Europe n'aurait pas de capacité propre de lancement de certains satellites avant la mise en œuvre d'Ariane 6, dont le premier vol est attendu en fin d'année.
Le patron de l'agence spatiale européenne (ESA) Josef Aschbacher a de son côté affirmé sur Twitter que "malgré le conflit en cours, la coopération spatiale civile reste un pont" et que l'ESA "continu(ait) de travailler sur tous ses programmes" avec Roscosmos, qu'il s'agisse de la Station spatiale internationale ou de la mission ExoMars, qui doit être lancée en septembre. "Nous continuons à suivre l'évolution de la situation", a-t-il ajouté.
L'ESA fait partie des partenaires internationaux de l'ISS, avec le Japon et le Canada.
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Les Etats-Unis et la Russie collaborent dans l'espace depuis 20 ans
Sur Terre, l'invasion de l'Ukraine a porté les tensions entre les Etats-Unis et la Russie à leur comble. Mais dans l'espace, des ressortissants russes et américains cohabitent dans la station spatiale internationale, dont le fonctionnement exige une coopération entre les deux pays.
Cette collaboration a, pour l'instant, surmonté toutes les secousses diplomatiques depuis plus de vingt ans.
Jeudi, le président américain Joe Biden a annoncé des sanctions contre la Russie en riposte à son offensive militaire en Ukraine. Celles-ci "vont détériorer leur industrie aérospatiale, dont leur programme spatial, et nuire à leur capacité de construire des vaisseaux", a-t-il déclaré.
En réponse, le directeur de l'agence spatiale russe Dmitry Rogozin, un proche du Kremlin habitué des déclarations tonitruantes, a publié des tweets incendiaires, accusant les Etats-Unis de "chantage" et de vouloir "détruire la coopération" concernant l'ISS. Or, sans la Russie, "qui sauvera l'ISS d'un désorbitage non contrôlé et d'une chute sur les Etats-Unis ou l'Europe?", a-t-il demandé, menaçant.
Pas d'alternative
Les corrections d'orbite de l'ISS reposent effectivement sur le système de propulsion des vaisseaux russes. Mais le segment américain comporte, lui aussi, des fonctions vitales indispensables.
Cette interdépendance a précisément été pensée pour empêcher "les dérapages dus à l'actualité", explique à l'AFP Julie Patarin-Jossec, auteure d'un essai sur l'ISS et ex-enseignante à l'université d'Etat de Saint-Pétersbourg. Moscou n'a en outre aucun intérêt à rompre les liens: "Si la Russie se retirait de l'ISS, ce qui est relativement impossible du fait de l'encadrement juridique du programme, cela voudrait dire qu'elle n'aurait plus de programme spatial habité", a ajouté la sociologue.
De son côté, la NASA a cherché à arrondir les angles, en déclarant "continuer à travailler avec les partenaires internationaux", dont l'agence spatiale russe Roscosmos, "pour la sûreté des opérations actuelles" de l'ISS.
Collaboration avec la Chine
Les Etats-Unis ont dit vouloir prolonger l'ISS jusqu'en 2030, mais la Russie n'est, pour le moment, engagée que jusqu'en 2024. Elle a décliné de participer au programme américain Artémis de retour sur la Lune.
Elle a en revanche annoncé vouloir construire sa propre station spatiale, ainsi que la construction conjointe d'une station lunaire avec la Chine.