Sa peau est comme parcheminée... Elle est allongée, nue, deux bandeaux recouvrant ses seins et son pubis. Ses mains délicates sont posées sur son abdomen.
Cette femme d'1m42 semble endormie, alors que son décès remonte à il y a plus de trois siècles. Au lieu de se détériorer, son corps s'est momifié à cause des vapeurs de mercure qu'elle a inhalées, un traitement de l'époque contre la syphilis (lire encadré).
Le mercure, hypertoxique, tue les bactéries responsables de la dégradation de la peau: celle qui recouvre les os se dessèche. Comme cette femme était assez forte, la peau sans les muscles et la graisse s'est plissée sur les os. Cette momification naturelle n'a pas eu lieu aux extrémités, par conséquent les os du crâne et des pieds sont visibles.
Enterrée deux fois
Cette momie a été découverte à Bâle lors de travaux de restauration de l'église de Barfüsserkirche réalisés en 1975: "On a trouvé des centaines de squelettes et une momie", explique Gerhard Hotz, conservateur en anthropologie du Musée d'Histoire naturelle de Bâle. Il coordonne ces recherches depuis 2015.
Des écrits ont permis de dire que cette femme se nommait Anna Catharina Bischoff: "Il existe un registre des morts de cette église, mais à l'époque où elle est morte, il n'y a pas de nom dans ce registre, rien. C'était vraiment difficile. On a recherché dans tous les actes et on n'a retrouvé une note qu'en 1843. On a exhumé pour la première fois cette momie avec deux autres momies; elles ont été décrites, leur noms ont été écrits et elles ont été réenterrées", raconte ce spécialiste des ossements humains au micro de CQFD.
Une enquête longue et minutieuse
Pour faire parler la momie, une véritable enquête s'est déroulée pendant trois ans à partir d'indices biologiques extraits du corps, mais également de documents d'archive historiques. Un voyage très compliqué, car Anna Catharina Bischoff est décédée en 1787, deux ans avant la Révolution française et de nombreux documents d'époque ont disparu.
Et pour lire la masse de registres d'état civil, de mariage, et y retrouver la trace de cette femme du XVIIIème des citoyennes et citoyens bénévoles de Bâle ont prêté main forte à l'équipe historique avec un projet de science participative.
Aujourd'hui, on sait qu'Anna Catharina est née en 1719: "Elle était la fille d'un pasteur de Bâle, mais né à Strasbourg. Elle avait quatre frères et sœurs. Le père est mort très tôt et toute la famille retourne à Strasbourg; la mère meurt deux ans plus tard". Deux ans après, elle épouse un prêtre qui occupe la même position que son père: "Elle passe presque tout son temps à Strasbourg et donne la vie à sept enfants", précise Gerhard Hotz. Elle décède à l'âge de 68 ans.
Jeune fille, Anna Catharina Bischoff a passé la Sarine: "Elle est venue en Suisse romande pour apprendre le français: on le sait grâce à des lettres", mais qui ne sont pas de sa main: "On a fait de nombreuses recherches pour en trouver, car je suis sûr qu'elle en a beaucoup écrit. Mais pas de chance. Nous n'avons pas non plus trouvé de portrait de cette dame: je suis sûr qu'elle en a eu, mais soit ils ont été perdus, soit on ne les a pas encore trouvés".
Seules quatre de ses signatures ont été découvertes, ainsi que bon nombre de lettres rédigées par son mari et son père: "Quand c'est un homme, on trouve des documents. Mais quand c'est une femme, c'est très très difficile de trouver des traces!" Le conservateur est toutefois persuadé qu'il mettra un jour la main sur d'autres informations, grâce à une collaboration avec le Musée historique de Strasbourg, notamment.
Seize générations et ...Boris Johnson!
La descendance d'Anna Catharina Bischoff a été reconstituée sur seize générations, jusqu'à aujourd'hui, grâce à des analyses génétiques faites notamment sur l'ADN mitochondrial, transmis uniquement par la mère.
"Chaque fois qu'une femme se marie, elle change de nom: ça a été vraiment très difficile de trouver sa descendance. Finalement, on a trouvé Rosemarie Probst-Ryhiner, qui est une descendante directe".
Ce lien a été prouvé grâce à la dent d'Anna Catharina et à la salive de Rosemarie: "Elles sont parentes avec une certitude de 99,9%!", affirme Gerhard Hotz.
Et parmi toutes ses descendantes et descendants, au milieu des diplomates, des révolutionnaires et des poétesses, les scientifiques ont eu une surprise: "On a appris que Anna Catharina Bischoff est la grand-grand-grand-grand-grand-grand-grand-mère de Boris Johnson, le Premier ministre britannique. On l'a invité à Bâle: on espère qu'il va venir. On verra!"
Sujet radio: Cécile Guérin
Article web: Stéphanie Jaquet
Une momification au mercure
La dépouille d'Anna Catharina Bischof s'est momifiée naturellement à cause du mercure inhalé qui était utilisé à l'époque pour traiter la syphilis. L'équipe scientifique ne sait pas comment elle est tombée malade. Cette maladie sexuellement transmissible ne cadre pas forcément avec une femme de pasteur ayant eu sept enfants, décédée à 68 ans.
L'équipe de recherche a une théorie, narrée par Gerhard Hotz: "Anna Catharina Bischoff a dû aller rendre visite à des malades dans les hôpitaux pour les personnes atteintes par la syphilis, car elle est la femme d'un pasteur. Pas pour les soigner mais pour parler avec les malades, leur donner du courage. Et si une personne est fraîchement infectée par la syphilis, elle est hautement contagieuse. Nous pensons que c'est ainsi qu'elle a contracté la syphilis".
Beaucoup d'indices
Les scientifiques n'ont pas la certitude qu'elle soit morte de cette maladie: "On ne peut pas le prouver, mais il y a beaucoup d'indices qu'elle l'a eue, notamment des changements dans son crâne, qui sont typiques de la syphilis. On a fait des examens histologiques, des scanners et moi je pense qu'avec le mercure qu'il y a dans son corps et les changements pathologiques constatés, elle avait la syphilis", conclut le conservateur. .
Pour en avoir la certitude, il faudrait pouvoir retrouver la bactérie responsable de la maladie. Des recherches continuent, notamment avec Albert Zinc, le chercheur qui pratique des analyses génétiques sur Ötzi, l'homme des glaces momifié.
Une momie exposée temporairement
Les descendantes et descendants directs d'Anna Catharina Bischoff ont donné leur accord pour que la momie soit exposée avec les résultats de cette recherche.
Les restes de cette femme du XVIIIe siècle sont exceptionnellement visibles jusqu'au 24 avril dans une exposition au Musée d'Histoire naturelle de Bâle. Ensuite elle reposera à l'abri des regards du public, dans les collections.
Un livre publié en allemand en octobre dernier résume cette enquête de quarante spécialistes menée sur la momie la mieux conservée de Suisse.