Faut que j'aille racheter de la litière pour mon chat... ah, et c'est à quelle heure, déjà, que je vais manger avec mon ami Thierry? Tu oublies tout, ma pauvre!
Est-ce que tout le monde conduit ainsi des dialogues intérieurs? Des monologues sans fin? "C'est une excellente question que je me pose de plus en plus et je songeais justement à faire des études très spécifiques pour s'intéresser à cette question", remarque Anne-Lise Giraud, professeure de neurosciences à l'Université de Genève, codirectrice du Pôle de Recherche National (NCCR) Evolving Language.
"Je pense que tout le monde ne se parle pas à soi-même avec le même degré, c'est évident. Il y a des gens qui sont très linguistiques et puis d'autres qui sont peut-être en conversation avec eux-mêmes, mais sur un mode beaucoup moins linguistique, beaucoup plus visuel, beaucoup plus multiforme", avance la directrice du tout nouvel Institut de l'Audition de l'Institut Pasteur à Paris.
Quelle est la différence entre penser et se parler à soi-même? "Penser, ça peut être juste se laisser aller à une relaxation qui s'accompagne de pensées multiformes, venant de toutes les régions différentes de notre cerveau. Ça peut prendre une forme visuelle, auditive, on peut penser à des voix mais sans qu'il y ait un contenu. Et c'est vrai que se parler à soi-même, c'est du langage".
Pensée pragmatique ou conceptuelle?
Quand on pense à quelque chose, on ne met pas forcément un mot dessus: en pensant au gâteau qu'on a cuisiné, on voit sa jolie forme dodue, on arriverait presque même à en percevoir le goût si délicieux. Mais on ne dit pas forcément le mot "gâteau" dans sa tête.
En revanche, si on dit ce mot in petto, "cela prend un canal très particulier dans notre cerveau qui va impliquer des régions de notre cerveau très particulière aussi", note la chercheuse: "La pensée, elle est stockée partout. Mais notre petite parole intérieure, elle va être stockée dans le réseau du langage, donc dans notre hémisphère gauche, entre le lobe temporal et le lobe frontal (...) Ces deux régions se parlent entre elles continuellement quand nous parlons oralement mais également lorsque nous pensons la parole".
Pour la parole interne, c'est un brin différent: elle active des régions qui sont très similaires à celle qui sont mobilisées lorsque la parole est vraiment prononcée, avec une différence toutefois: "Les niveaux d'activation ne seront pas les mêmes et les synchronisations entre les différentes régions vont être un petit peu moins marquées", selon Anne-Lise Giraud.
Plus on pense à des choses spécifiques, plus on les voit précisément au fond de sa tête. Et quand on a l'intention de prononcer un mot, le cerveau réagit différemment: "Si je vous dis le mot 'liberté'... 'Liberté' n'a pas besoin d'avoir une forme articulatoire particulière, mais si je veux le prononcer, je vais devoir le mettre en forme et dire LI-BER-TÉ".
Et quand ça ne marche pas?
Il y a plusieurs façons d'exprimer quelque chose: sous forme de concept, d'images, de sons ou sous forme motrice pure, quand on veut dire le mot.
Et parfois, le système dysfonctionne, avec des lésions motrices ou dégénératrices. Suite à un accident vasculaire cérébral, de l'aphasie peut survenir: des morceaux entier de cortex ne peuvent plus du tout fonctionner.
Là, la chercheuse essaie de comprendre les signaux émis par nos neurones qui communiquent entre eux grâce à une activité électrique repérable sous forme d'ondes de différentes fréquences: "On travaille sur des haut-parleurs de neurones, mais s'il y avait juste le côté haut-parleur, on entendrait krrr, krrrr, krrr!", s'amuse-t-elle.
Tant de signaux à décrypter! Pour savoir la suite, il va falloir écouter Micro Sciences... le podcast qui nous parle dans la tête!
Sujet radio: Huma Khamis
Article web: Stéphanie Jaquet