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Le trou noir supermassif au centre de notre galaxie enfin photographié

Le trou noir de notre galaxie a pu être photographié pour la première fois: interview de Roland Walter
Le trou noir de notre galaxie a pu être photographié pour la première fois: interview de Roland Walter / Forum / 5 min. / le 12 mai 2022
La collaboration internationale d'astronomes EHT et l'Observatoire européen austral (ESO) ont prouvé jeudi en image l'existence de Sagittarius A* (Sgr A*), le trou noir supermassif au cœur de notre Voie lactée. Et ceci, trois ans après la première photo d'un trou noir situé dans une galaxie lointaine.

"Je peux vous présenter l'image du trou noir Sgr A* au centre de la galaxie", a annoncé sous les applaudissements Huib Jan Van Langevelde, directeur du projet EHT, lors d'une conférence de presse à Garching en Allemagne.

C'est un étrange ballet d'étoiles au centre de la Voie lactée qui a d'abord permis de comprendre qu'il y avait vraisemblablement un trou noir à cet endroit: Andrea Ghez et Reinhard Genzel ont du reste reçu le prix Nobel de physique en 2020 pour leur "découverte d'un objet compact supermassif au centre de notre galaxie".

L'équipe avait même réussi à déterminer sa masse exacte. Et, grâce aux observations dévoilées aujourd'hui, sa taille a pu également être évaluée. Deux paramètres essentiels pour prouver de manière certaine son existence; jusqu'à présent, seules des observations indirectes en attestaient.

Sagittarius A*, qui doit son nom à sa détection dans la direction de la constellation du Sagittaire, a une masse d'environ quatre millions de soleils et se trouve à 27'000 années-lumière de la Terre. Son existence a été supposée depuis 1974, avec la détection d'une source radio inhabituelle au centre de la galaxie.

>> Ecouter l'astrophysicien Stéphane Paltani, de l'Université de Genève, au micro de CQFD :

La première photo du trou noir Sagittarius A* (Sgr A*). [EHT Collaboration]EHT Collaboration
La première photo du trou noir Sagittarius A* / CQFD / 11 min. / le 13 mai 2022

De la matière avalée

Techniquement, on ne peut pas voir un trou noir, car l'objet est si dense et sa force de gravité si puissante que même la lumière ne peut s'en échapper. Mais on peut observer la matière qui circule autour, avant d'y être avalée: sa silhouette se découpe sur ce disque lumineux.

"Nous avons une preuve directe que cet objet est un trou noir", a expliqué ensuite Sara Issaoun, du Centre d'astrophysique d'Harvard, en décrivant "le nuage de gaz [autour du trou noir] qui émet des ondes radio et que nous avons observé".

"L'objet est entouré d'une surface nommée l'horizon des événements", explique l'astrophysicien Roland Walter, de l'Observatoire de l'Université de Genève, spécialiste des trous noirs. Au micro de Forum, il explique que l'ombre du milieu est "la signature de la présence du trou noir". Il a été plus difficile à saisir, car il est "bien plus petit, moins lumineux et il y a beaucoup de matière entre lui et nous", remarque-t-il.

Les télescopes doivent l'observer bien plus longtemps pour obtenir quelque chose d'utilisable: "En enregistrant ces données et en les corrélant, on peut reconstruire cette image".

>> Comparaison de la taille des trous noirs Messier 87* et Sagittarius A* : Comparaison de la taille des trous noirs M87*, au cœur de la galaxie Messier 87, et Sagittarius A* (Sgr A*), au centre de la Voie lactée. Pour échelle, les orbites de Pluton et de Mercure, ainsi que le diamètre du Soleil et la position actuelle de la sonde spatiale Voyager 1, le vaisseau spatial le plus éloigné de la Terre. En raison de leur distance relative à notre planète, les deux objets semblent avoir la même taille dans le ciel. [EHT collaboration - Lia Medeiros, xkcd]
Comparaison de la taille des trous noirs M87*, au cœur de la galaxie Messier 87, et Sagittarius A* (Sgr A*), au centre de la Voie lactée. Pour échelle, les orbites de Pluton et de Mercure, ainsi que le diamètre du Soleil et la position actuelle de la sonde spatiale Voyager 1, le vaisseau spatial le plus éloigné de la Terre. En raison de leur distance relative à notre planète, les deux objets semblent avoir la même taille dans le ciel. [EHT collaboration - Lia Medeiros, xkcd]

Deuxième image historique

La technique utilisée pour cette image est l'interférométrie millimétrique radio, very long baseline interferometry, en anglais (lire encadré). L'EHT, un réseau international de huit observatoires radio-astronomiques, avait apporté en avril 2019 l'image historique de M87*, un trou noir supermassif de six milliards de masse solaires dans sa galaxie, Messier 87, située à 55 millions d'années-lumière.

>> Lire : L'Humanité voit de ses yeux un trou noir pour la première fois de l'Histoire

Désormais pourvu de onze observatoires, l'EHT a portraituré Sgr A* avec ses quatre millions de masse solaire... un poids plume dans le bestiaire des trous noirs supermassifs.

Les scientifiques y voient la preuve que les mêmes mécanismes de la physique sont à l'œuvre au cœur de deux systèmes de taille très différente: "Les trous noirs sont des objets absolument fascinants. Ils sont prédits par la relativité générale d'Einstein, mais la physique moderne repose beaucoup sur la mécanique quantique. Les deux ne sont pas compatibles et ne prédisent pas la même chose sur ce qui se passe à la surface d'un trou noir", note Roland Walter.

"Et le trou noir est l'endroit dans l'Univers où on arrive à mettre ces deux théories ensemble" et peut-être même trouver une théorie qui les unifie! Ce n'est pas le cas actuellement: "C'est un endroit où on peut vraiment faire de la physique fondamentale", se réjouit l'astrophysicien.

Stéphanie Jaquet et les agences

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Prouesse technologique

Prendre pareille image à quelque 27'000 années-lumière de nous est une véritable prouesse technologique sur laquelle ont travaillé des centaines de chercheuses et chercheurs, pendant presque une décennie.

"La caractéristique de ce télescope est de résoudre des objets extrêmement petits", souligne Stéphane Paltani, rappelant que, durant la conférence de presse en Allemagne, une image parlante avait été évoquée: "C'est comme être capable de voir une bulle dans un verre de bière à New York depuis Munich: c'est absolument exceptionnel!".

"Pour avoir des images détaillées, il faut avoir le télescope le plus gros possible", explique-t-il au micro de CQFD. Mais comme il n'est pas envisageable de transformer notre planète en un gigantesque observatoire, une autre technique a été utilisée: l'interférométrie, soit utiliser plusieurs télescopes, séparés par une grande distance. "Chacun va voir une scène légèrement différente. Chaque télescope va faire une image de piètre qualité, mais la légère différence va être utilisée pour affiner l'image jusqu'à obtenir l'image dévoilée".

L'intensité de la lumière ainsi que tous ses détails sont ainsi recueillis, générant "des quantités de données terrifiantes, des milliards de giga-octets". Résultat, une sorte de donut brillant, flou: "Ce que l'on voit, c'est la matière autour qui se déplace à la vitesse de la lumière. Et, comme le trou noir est mille fois plus petit [que M87*], faire le tour est mille fois plus court. Cette matière se déplace et c'est comme si on prenait la photo de quelqu'un qui court en laissant son appareil de photo ouvert longtemps: vous allez juste voir une traînée. Pour voir une vraie image, il faut faire des photos très courtes et en faire beaucoup".

Et c'est là que résidait une difficulté supplémentaire par rapport à l'image du trou noir situé dans la galaxie Messier 87: "Vous ne pouvez pas juste ouvrir votre appareil photo et attendre. Il fallait couper l'observation en des centaines d'images et analyser chacune d'elles indépendamment et ensuite, seulement, les recoller les unes sur les autres", résume l'astrophysicien.

Anatomie d'un trou noir supermassif

Cette vue d'artiste représente un trou noir supermassif en rotation rapide entouré d'un disque d'accrétion. Ce mince disque de matière en rotation est constitué des restes d'une étoile semblable au Soleil qui a été déchirée par les forces de marée du trou noir.

Les différentes parties du trou noir sont indiquées en anglais, ce qui permet de comprendre l'anatomie de cet objet fascinant.

Représentation d'un trou noir supermassif en rotation rapide entouré d'un disque d'accrétion. [ESO]
Représentation d'un trou noir supermassif en rotation rapide entouré d'un disque d'accrétion. [ESO]

La singularité est le centre du trou noir, une région de densité infinie. L'horizon des événements est le rayon autour de la singularité: rien ne peut ressortir du trou noir une fois cette frontière franchie. C'est la partie "noire" du trou noir.

"L'horizon sépare fondamentalement deux endroits de l’Univers: vous ne pouvez pas aller de l'intérieur du trou noir à l'extérieur. Dès que vous en êtres trop proche, vous finissez irrémédiablement dedans", note le professeur Paltani. "La zone noire à l'intérieur de l'image est le résultat de cet horizon: toute la lumière qui va dans la mauvaise direction finit dans le trou noir". "L'ombre du milieu est le résultat direct de la présence d'un horizon qui trahit en réalité le trou noir qui aspire toute la lumière à l'intérieur d'une certaine distance".

Le disque d'accrétion est composé de gaz surchauffés et de poussières tourbillonnantes qui se déplacent à des vitesses sensationnelles, produisant des radiations électromagnétiques (rayon-X, optique, infrarouge et radio) qui révèlent la position du trou noir.

"On ne verra jamais un trou noir, ce qu'on voit, c’est la matière qui est autour, qui tombe sur le trou noir en tournant, du plasma – un gaz très très chaud, des particules chargées piégées dans des champs magnétiques qui s'enroulent  autour de ces lignes et émettent un rayonnement sychrotron, millimétrique et radio. C'est le chant du cygne de la matière, parce qu'elle est destinée à tomber à l'intérieur du trou noir", précise Stéphane Paltani.