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Une preuve que l'Homme de Denisova vivait également sous les tropiques

La molaire d'une fillette de Denisova du milieu du Pleistocène, trouvée dans le nord du Laos. Spécimen nommé TNH2-1.
Des hommes de Denisova au Laos / CQFD / 9 min. / le 19 mai 2022
La dent d'une enfant vieille d'au moins 130'000 ans découverte dans une grotte au Laos témoigne de la présence des Hommes de Denisova dans le climat tropical d'Asie du Sud-Est, levant une partie du voile sur le mystère de cette espèce disparue, selon une étude.

On en sait très peu sur les Dénisoviennes et les Dénisoviens, un groupe humain archaïque cousin de Néandertal, qui fut identifié pour la première fois en 2010 dans une grotte de Sibérie. D'un simple morceau de phalange, les paléontologues ont pu séquencer un génome complet.

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En 2019, les scientifiques ont ensuite trouvé une mandibule munie de grandes dents sur le plateau tibétain, prouvant que l'espèce avait aussi vécu dans cette partie de la Chine.

En dehors de ces rares fossiles, l'Homme de Denisova n'avait laissé aucune trace de son passage... Sauf dans les gènes puisque qu'avant de disparaître, cette espèce dite archaïque s'est métissée avec Homo sapiens. Elle a légué une part de son ADN à des populations actuelles du Sud-Est asiatique et d'Océanie: Negritos des Philippines, Papous de Nouvelle-Guinée et Aborigènes d'Australie détiennent une grande proportion de génome dénisovien – jusqu'à 5%.

Les généticiens en ont déduit que "les ancêtres modernes de ces populations s'étaient 'hybridés' avec des Dénisoviens en Asie du Sud-Est", explique le paléoanthropologue Clément Zanolli, coauteur de l'étude parue mardi dans Nature Communications.

Une molaire comme preuve

Mais il manquait la "preuve physique" de leur présence dans cette partie du continent asiatique, loin des montagnes froides de la Sibérie ou du Tibet, ajoute ce chercheur CNRS.

Une vue de la grotte du Cobra, Tam Ngu Hao 2, dans le nord du Laos, où a été trouvée la molaire de la petite Dénisovienne. [Twitter - Kira Westaway/Fabrice Demeter]
Une vue de la grotte du Cobra, Tam Ngu Hao 2, dans le nord du Laos, où a été trouvée la molaire de la petite Dénisovienne. [Twitter - Kira Westaway/Fabrice Demeter]

Jusqu'à ce qu'une équipe de scientifiques entreprenne de fouiller la grotte du Cobra, dans le nord-est du Laos.

La cavité, située sur un massif, fut découverte en 2018 par des spéléologues à proximité du site de Tam Pa Ling, connu pour avoir déjà livré des restes d'humains très anciens, "de 60 à 70'000 ans", note Clément Zanolli au micro de CQFD. Les sédiments conservés dans les murs de la grotte contenaient des fragments osseux d'animaux, dont des dents, ainsi qu'une molaire.

La dent présentait d'emblée une morphologie "typiquement humaine", raconte le chargé de recherche à l'Université de Bordeau. Elle devait appartenir à un enfant de 3 à 8 ans car elle était encore en croissance dans la mâchoire, précise l'étude.

Mais de quelle époque, quelle espèce? La dent était trop ancienne pour une datation au carbone 14, qui ne permet de remonter que jusqu'à 50'000 ans. "Et son ADN était mal préservé en raison du climat chaud et humide", souligne le paléoanthropologue Fabrice Demeter, coauteur.

L'équipe de recherche a donc contourné l'obstacle en utilisant notamment l'uranium et en datant les sédiments contenant la dent et les restes de faune, puis la couche supérieure, pour obtenir une fourchette allant de 160'000 à 130'000 ans.

Caractéristiques communes avec Homo neanderthalensis

Elle a ensuite étudié l'intérieur de la dent – exportée temporairement au Danemark – grâce à différentes méthodes comme la microtomographie à rayons X et la paléoprotéomique, soit l'analyse des protéines. "Des molécules qui se préservent mieux et qui sont plus résistantes" que l'ADN, précise Clément Zanolli.

"Les protéines nous ont permis d'identifier le sexe, féminin, et d'affirmer son appartenance au genre Homo", détaille Fabrice Demeter, chercheur à l'Université de Copenhague affilié au Muséum nationale d'histoire naturelle de Paris.

Et, surprise, la structure interne de la dent s'est révélée proche de celle des molaires du spécimen de Denisova du Tibet: "Je m'attendais vraiment à un Homo erectus!", se souvient le paléoanthropologue.

Mais pas de doute, la molaire était facile à distinguer de cette espèce ancienne, ainsi que d'autres groupes éteints endémiques des Philippines et d'Indonésie, Homo floresiensis et Homo luzonensis, qui ont des dents bien plus petites. Et bien sûr de l'être humain moderne.

Seul hic: elle présentait des caractéristiques communes avec les Néandertaliens, génétiquement proches des Dénisoviens – les deux espèces auraient divergé il y a environ 350'000 ans: "Mais on a penché pour Denisova car nous n'avons jamais trouvé la trace du passage de Néandertal aussi à l'Est", précise Clément Zanolli.

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"Polyvalence" de Denisova

Les Dénisoviens ont donc bel et bien occupé cette partie de l'Asie, signe d'une adaptation à une large palette d'environnements, des altitudes froides au climat tropical, conclut l'étude. Une "polyvalence" que ne semblait pas posséder leurs cousins Néandertaliens, plus "spécialisés" sur les régions froides de l'Ouest, détaille Fabrice Demeter.

C'est sous les tropiques que les derniers Dénisoviens auraient pu rencontrer et s'hybrider avec les groupes humains modernes locaux de l'époque du Pléistocène, qui ont transmis leur héritage génétique aux populations actuelles du Sud-Est asiatique.

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Stéphanie Jaquet et l'afp

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