Cette nouvelle enquête de Marie-Monique Robin, réalisatrice de "Le monde selon Monsanto", démontre le lien entre la destruction de la biodiversité et l’augmentation des maladies infectieuses liées aux animaux.
Pour de nombreux scientifiques aujourd'hui, l’enjeu principal est de prévoir où et quand apparaîtra la prochaine maladie émergente. Dans une étude bouclée deux mois avant le signalement des premiers cas de Covid-19 en Chine, l’écologue Rodolf Goslan et l’épidémiologiste Mathieu Nacher avaient prédit qu’une pandémie risquait d’émerger à Wuhan, à l'est de la Chine.
"De nombreuses maladies totalement différentes ont des points communs d’émergence", explique Rodolf Goslan dans le documentaire. "Notre approche est d'essayer de comprendre les liens entre les changements écologiques et l’apparition des maladies infectieuses sur une échelle mondiale." A Wuhan, tous les facteurs favorables à une pandémie étaient réunis: la déforestation, des élevages intensifs d’animaux et une grande densité de population.
Plus on déforeste, plus on perd de biodiversité, plus on a d'épidémies.
"Lorsqu'on compare les cartes de la déforestation avec celles des épidémies: elles se superposent" observe Serge Morand, parasitologue et écologue, interrogé dans la "Fabrique des pandémies". "Il y a aussi une corrélation parfaite entre le nombre d’espèces animales en voie de disparition et le nombre d’épidémies de maladies infectieuses liées aux animaux."
Un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extension dont un quart des mammifères. La majorité des espèces en danger vit dans les forêts tropicales.
Les espèces les plus susceptibles de nous transmettre de nouveaux agents pathogènes sont les mêmes qui prospèrent lorsque la biodiversité diminue.
Au cours des vingt dernières années, soixante millions d’hectares de forêt tropicale ont été arrachés. L'équivalent de quinze fois la superficie de la Suisse. On déforeste pour l’exploitation du bois, des mines d’or ou de cuivre. Pour créer des zones de pâturage et pour développer les monocultures de soja transgénique destiné à nourrir les élevages intensifs européens.
L'implantation des palmiers à huile utilisée par l’industrie agroalimentaire ou comme bio-carburant est également une cause de la déforestation.
Les documentaires RTS - Muriel Reichenbach
"La fabrique des pandémies" un documentaire de Marie Monique Robin avec la participation de Juliette Binoche, diffusé le 22 mai sur RTS1 à 22h55.
Le cycle infernal
Lorsqu'on déforeste, on détruit la biodiversité et on condamne toute une partie de la faune qui permet la dilution naturelle des virus. Les animaux survivants se déplacent, s’approchent des zones habitées et des élevages d’animaux génétiquement uniformes. Ce qui est une aubaine pour les virus qui se diffusent bien plus rapidement au sein des troupeaux que si les espèces étaient variées. Un mammifère comme le cochon est à 95% génétiquement identique à l’homme. Il va permettre au virus de "s’humaniser" puis de nous contaminer.
La propagation rapide à l’échelle mondiale est possible grâce à la fréquence de nos déplacements. "En 1970, nous étions 400 millions à prendre l’avion. En 2019: 4,3 milliards. La même augmentation est constatée pour les transports maritimes et routiers. On déplace tout: les humains, les animaux, les végétaux: c'est banco pour un virus en quelques mois, il est sur toute la planète," rappelle Serge Morand.
Le poids des élevages intensifs dans l’apparition des pandémies
Le soja planté à la place des forêts sert à nourrir les animaux de boucherie pour notre consommation de viande en constante augmentation. "Aujourd’hui, on élève plus d’1,6 milliard de vaches. Leur poids sur la planète est plus élevé que celui des humains. Autre exemple: en 1960, le nombre de poulets d'élevage était de 5 milliards. En 2020, on en comptait 30 milliards," poursuit Serge Morand.
"Ces animaux sont tous génétiquement uniformes. Et ce sont des amplificateurs fantastiques de transmission entre la faune sauvage, qui diminue drastiquement, et l’humain", rappelle le parasitologue et écologue.