"Ils ne parlent pas, bien sûr, si l'on prend comme référence le langage humain", prévient le biologiste évolutionniste Cédric Girard-Buttoz, principal auteur de l'étude publiée lundi dans Nature Communications Biology. Mais les chimpanzés ont une capacité hors normes à combiner une gamme réduite de cris, "douze vocalisations simples" selon le chercheur, en au moins 390 séquences distinctes.
Cette sorte de syntaxe, dont il reste à préciser la signification, associe de deux jusqu'à dix cris: "On a quelques idées sur la signification de certaines séquences, dont une par exemple est liée exclusivement à la nidification et qui est sans aucun rapport avec le sens des cris pris isolément", explique le chercheur CNRS de l'institut des sciences cognitives Marc Jeannerod.
L'équipe, dont certaines personnes sont aussi affiliées à l'institut allemand d'anthropologie évolutionniste Max Planck, a travaillé sur la base de près de 5000 enregistrements effectués auprès de 46 chimpanzés adultes sauvages dans la réserve ivoirienne du parc national de Taï.
Une étudiante thésarde, Tatiana Bortolato, y a enregistré six mois durant plus de 800 heures de vocalisations, qui ont été ensuite recensées et classées avec l'aide de "codeurs" humains. Une méthode inédite, et peut-être à utiliser avec d'autres primates, comme le bonobo ou l'orang-outang.
"Hou"
Les douze types de vocalisations chez le chimpanzé comprennent le très courant "hou", associé ou pas à un halètement, ou encore le grognement ou l'aboiement. Elles sont bien connues des spécialistes et leur signification peut varier avec l'intensité. "Le 'hou' lié à un cri d'alarme est plus fort en tonalité que celui qui est lié au repos, plus doux", note Cédric Girard-Buttoz. Le "hou" lié à un halètement sert, par exemple, à s'identifier entre individus.
Certains animaux ont un "vocabulaire" plus riche, des espèces de singes ayant jusqu'à 38 types de cris. "On peut considérer le répertoire vocal des chimpanzés, qui est inné, comme limité", remarque le scientifique, mais l'espèce, qui a une vie sociale très complexe, a peut-être trouvé avec les séquences une façon de "générer de nouveaux sens qui permettent d'étendre sa capacité de communication".
L'étude a montré qu'un tiers des vocalisations étaient des séquences associant plusieurs des douze cris, dont toute la gamme était utilisée à un moment ou un autre. Elle a établi aussi une notion d'ordre, certains cris se trouvant toujours ou presque dans la même position dans un "bigramme", une séquence qui associe deux cris. "Par exemple le 'hou' est quasiment tout le temps en première position, ce qui indique potentiellement une structure de communication récurrente", remarque le chercheur.
Syntaxe à structure stable
Plus fort, certains bigrammes sont réutilisés, peut-être comme des mots-clé, dans des séquences plus longues, avec cinq ou six autres cris, preuve supplémentaire d'une structure stable de cette syntaxe simiesque. Reste à comprendre la relation entre les éléments de ces séquences, et notamment si certaines sont généatrices d'un nouveau sens.
Les chercheurs ont remarqué ainsi des variations entre populations de chimpanzés sur l'ordre des cris dans certaines séquences, et ce "de manière très consistante", souligne Cédric Girard-Buttoz. Ce qui impliquerait un apprentissage de ces séquences vocales au sein du groupe, et donc une flexibilité de ce mode de communication.
Pour aller plus loin, les scientifiques vont devoir chercher la signification des séquences, avec des expériences de playback. "On enregistre un son et on le joue au singe en forêt pour étudier sa réaction", dit le chercheur. La tâche sera d'ampleur, compte tenu du nombre de séquences identifiées.
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afp/sjaq