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Podcast – Pourquoi connaît-on si peu de femmes scientifiques?

Les grands scientifiques ayant marqué l'Histoire ne sont-ils que des hommes? Pourquoi si peu de femmes de sciences sont-elles passées à la postérité? Micro sciences, le podcast qui transforme l'absence de femmes scientifiques en grandes réponses historique et agnotologique.

Pour la semaine du 10 au 14 avril, le Point J rediffuse des épisodes du podcast Micro sciences.

Pourquoi les scientifiques connus ne sont presque que des hommes? Les femmes se sont-elles effacées face à la Science ou les a-t-on effacées de l'Histoire?

Essayez donc de nommer cinq femmes scientifiques... allez, à part Marie Curie – qui a obtenu deux Prix Nobel! – qui pouvez-vous citer?

Marie la juive représentée dans le livre de Michael Maier, "Symbola Aureae Mensae Duodecim Nationum", 1617. [archive.org]
Marie la juive représentée dans le livre de Michael Maier, "Symbola Aureae Mensae Duodecim Nationum", 1617. [archive.org]

Aude Fauvel, historienne à la faculté de biologie et médecine de l'Université de Lausanne, explique que la première femme connue dans notre espace géographique, en Occident, autour de la Méditerranée, fut une personne nommée Marie la Juive.

Une scientifique qui a vécu à Alexandrie entre le III et le II siècle avant Jésus-Christ: "On dit qu'elle est reconnue, parce qu'elle est citée par ses pairs scientifiques. On la prend au sérieux, elle est reprise, comme une scientifique parmi d'autres, pour ses découvertes", précise l'historienne. Considérée comme l'une des fondatrices de l'alchimie, elle est aussi connue pour le bain-marie!

"On sait qu'elle a écrit un traité dont on n'a malheureusement pas de trace à l'heure actuelle; mais ça ne veut pas dire qu'on ne va pas retrouver ce texte. Elle s'est intéressée à des instruments, à des mesures. Le bain-marie, elle s'en servait pour des mesures d'alchimie, ce qu'on appellerait aujourd'hui la chimie; on dit que ce serait une technique qu'elle aurait inventée."

Chercher les femmes

Hildegard von Bingen reçoit l'inspiration divine et la dicte à son scribe. Manuscrit médiéval, auteur inconnu, 1151. [Wikimedia - Miniature du Codex Rupertsberg du Liber Scivias]
Hildegard von Bingen reçoit l'inspiration divine et la dicte à son scribe. Manuscrit médiéval, auteur inconnu, 1151. [Wikimedia - Miniature du Codex Rupertsberg du Liber Scivias]

L'Histoire semble ne pas s'être beaucoup intéressée aux femmes de sciences: "Que ce soit à l'Antiquité ou à des époques plus récentes, les femmes ont beaucoup été supprimées de l'Histoire ou en tout cas invisibilisées. Souvent, il faut aller les chercher. Il faut ruser et, en plus, les historiens ont été peu à s'intéresser à cette question jusqu'à une époque récente", remarque Aude Fauvel.

Aux alentours des XIe et XIIe siècles, les premières universités sont fondées: les femmes n'en sont pas exclues. Peu ont étudié, mais il y a eu des femmes médecins, biologistes, chimistes, notamment dans les monastères: Hildegard von Bingen (1098-1179), moniale bénédictine, fut une botaniste reconnue en Allemagne.

En Italie, Trota de Salerne (?-1097) a laissé des traités fondateurs en gynécologie: "Elle est vraiment très très connue et continue d'être citée pendant des siècles. C'est gênant de dire que les femmes sont incapables de faire des sciences, car elle, elle trône en plein milieu de la Science".

Mais des historiens, au XX siècle, ont assuré "que Trota de Salerne était en fait un homme qui se maquillait et qui aurait fait semblant d'être une femme pour mieux passer au niveau de ses découvertes gynécologiques. C'est seulement au XXI siècle, qu'il a été démontré par une historienne, une fois pour toute, que Trota de Salerne était une femme qui a bel et bien écrit, qui a bel et bien existé et qui a été médecin et reconnue comme telle".

Et de souligner: "A l'époque moderne et à l'époque contemporaine, nous avons été infiniment plus barbares – par exemple au XX siècle – pour évincer les femmes de l'Histoire, au sens de dire qu'elle n'y sont pas. Et d'affirmer, quand elles y sont, que ce sont en fait des hommes qui se déguisent en femme. Ça, ce n'est pas quelque chose qu'on retrouve par exemple au XII siècle".

Une éviction tardive

Du XVI au XVIII, les universités vont devenir de plus en plus fortes et diversifiées. Le monde scientifique devient rentable économiquement et, logiquement, les femmes veulent participer à ce mouvement et faire de la Science: "Et là, cela va un petit peu coincer pour des raisons de représentation sociale: on pense que les femmes doivent rester à la maison. Elles sont pénibles, elles ne sont pas suffisamment costaudes, par exemple, pour ouvrir des corps si elles doivent faire de la médecine. On en reste là jusqu'à l'ouverture majeure des universités au XIX où cela devient un phénomène d'ampleur", note la chercheuse.

L'illettrisme recule, les sociétés sont plus prospères et les femmes désirent s'inscrire officiellement pour obtenir des diplômes et des doctorats. C'est là que le monde académique va interdire l'accès aux femmes: "Elles sont exclues dans les règlements des universités. Alors elles vont essayer de continuer: il va y avoir le féminisme de la première vague pour forcer les universités à ouvrir leurs portes. Les femmes vont continuer dans les cercles d'amateurs, etc. Mais la vraie grande fermeture, c'est à la fin du XIX siècle: une époque très très récente".

Agnotologie

Quand on est une femme – ou quand on est une personne hors normes – il est difficile de se faire reconnaître. Les scientifiques appellent ce phénomène l'agnotologie, soit la science de l'ignorance: "On produit des sciences, on produit des connaissance, mais on produit aussi de l'ignorance et on a tendance à invisibiliser ce qui ne rentre pas bien dans les logiques qu'on aimerait de la Science".

"Si vous allez regarder n'importe quelle galerie de scientifiques, vous verrez que ce sont tous des hommes blancs, distingués, en costume, avec des barbes. Dès qu'on sort un petit peu de cela, on a du mal à trouver des représentations".

Matilda Electa Joslyn Gage (1826-1898), féministe, abolitionniste et écrivaine américaine. En 1870, elle publie "Woman as Inventor" où elle dénonce la minimisation des femmes dans la recherche scientifique. En 1993, Margaret W. Rossiter dénomme le phénomène de minimisation des réalisations des femmes qu'elle étudie "effet Matilda" en son honneur. [Wikimedia]
Matilda Electa Joslyn Gage (1826-1898), féministe, abolitionniste et écrivaine américaine. En 1870, elle publie "Woman as Inventor" où elle dénonce la minimisation des femmes dans la recherche scientifique. En 1993, Margaret W. Rossiter dénomme le phénomène de minimisation des réalisations des femmes qu'elle étudie "effet Matilda" en son honneur. [Wikimedia]

Et ce n'est pas pour rien, selon l'historienne: "Ce n'est pas que les autres personnes – d'autres provenances ou d'autres genres – n'ont rien fait. C'est tout simplement qu'il est difficile de se faire reconnaître". Il faut pouvoir faire des études et publier les résultats de ses recherches.

Matthieu ou Matilda?

Et il y a un effet qui fait toujours effet, même au XXIe siècle: "Si vous publiez sous le nom de Matthieu et non pas de Matilda, vous avez plus de chance – même si ça dépend des revues et des disciplines – dans l'absolu de subir un biais intégré, pas forcément conscient: avec un prénom masculin, vous avez plus de chance d'être publié qu'avec un prénom féminin". C'est "l'effet Matilda" (lire encadré).

Dans le passé, pour être publiées, des femmes ont pris un pseudonyme masculin ou ont publié sous la tutelle d'un homme: avec leur mari ou sous le nom de leur directeur de thèse ou de la personne qui dirigeait le laboratoire. "Ce qui veut dire qu'elles apparaissent comme deuxième auteure ou qu'elles n'apparaissent pas: elles sont remerciées. C'est donc compliqué pour la reconnaissance. Si vous n'existez pas à l'université ou dans les publications, même si on le voudrait, on ne pourra pas savoir qui vous êtes".

Il y a donc toujours eu des femmes scientifiques, "mais on le ne les voit pas, on ne les a pas vues et, même quand on les voyait, elles ne rentraient pas dans les cases permettant d'avoir des récompenses telles que les prix Nobel", note Aude Fauvel.

>> Dans l'émission CQFD, "L'effet Matilda, ou quand le rôle des femmes en sciences n'est pas reconnu" :

Rosalind Franklin, pionnière de la biologie moléculaire qui a pris le premier cliché de l’ADN.
From the personal collection of Jenifer Glynn/MRC Laboratory of Molecular Biology
CC 4.0 [CC 4.0 - From the personal collection of Jenifer Glynn/MRC Laboratory of Molecular Biology]CC 4.0 - From the personal collection of Jenifer Glynn/MRC Laboratory of Molecular Biology
Lʹeffet Matilda ou quand le rôle des femmes en sciences n'est pas reconnu / CQFD / 14 min. / le 20 mars 2019

Sujet radio: Huma Khamis
Article web: Stéphanie Jaquet

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"J'ai changé l'astronomie pour toujours. Il a reçu le Prix Nobel pour ma recherche"

Jocelyn Bell Burnell est née en 1943 et a grandi dans un foyer quaker, où elle a été élevée dans la conviction qu'elle avait autant droit à l'éducation que n'importe qui d'autre. Mais dans les années 1940, en Irlande du Nord, son enthousiasme pour les sciences se heurte à l'hostilité des enseignants et des élèves masculins. Sans se décourager, elle a poursuivi ses études en radioastronomie à l'Université de Glasgow, où elle était la seule femme dans beaucoup de ses classes.

En 1967, Jocelyn Bell Burnell fait une découverte qui a modifié notre perception de l'Univers. Alors étudiante en doctorat à l'Université de Cambridge, où elle assistait l'astronome Anthony Hewish, elle découvre les pulsars – des objets célestes compacts et tournoyants qui émettent des faisceaux de rayonnement, comme des phares cosmiques.

Mais, comme le montre le court documentaire du New York Times "The Silent Pulse of the Universe" de Ben Proudfoot, le monde n'était pas encore prêt à accepter qu'une percée en astrophysique puisse venir d'une jeune femme.